Chapitre 908 – Délégation

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Après une courte halte, le convoi meurtri se remit en route… le Rhino roulait à l’avant, suivi par les cinq transports civils. Deux véhicules militaires les encadraient, et deux autres protégeaient l’arrière. Il ne serait pas possible de maintenir la formation plus haut dans les montagnes, mais pour l’instant, les routes étaient suffisamment larges.

Ils prirent un virage et s’éloignèrent de la côte, s’élevant lentement vers la périphérie des montagnes. En observant la multitude d’écrans dans la suite de commandement du Rhino, Sunny se félicita d’avoir repéré toute cette zone avec ses ombres il y a un mois, alors qu’il se rendait à LO49.

Il connaissait à peu près les méandres des routes montagneuses, la forme des pentes et des profonds canyons, et savait quel chemin emprunter. Il savait où se trouvaient les endroits les plus dangereux, où une embuscade de grande envergure pouvait les attendre, et où il était possible de camper.

Cette partie des montagnes était un véritable labyrinthe, et avec les transports civils qui suivaient le Rhino, sa mobilité était fortement réduite. Il n’y avait qu’un nombre limité de chemins que le convoi pouvait emprunter… heureusement, Sunny se souvenait de tous ces chemins.

Bien sûr, beaucoup de choses auraient pu changer en un mois. La bataille dévastatrice entre les trois Saints et un Titan inconnu avait détruit quelques pics montagneux plus au nord, et provoqué un puissant tremblement de terre. Bien que seul un faible écho de cet affrontement ait atteint cette région, il était néanmoins suffisant pour modifier potentiellement la topographie.

Des éboulements avaient bloqué des routes auparavant dégagées, tandis que d’autres s’étaient tout simplement effondrées. Un ou deux glaciers auraient pu se détacher, détruisant tout sur leur passage. Et, bien sûr, il y avait des essaims de Créatures du Cauchemar qui rôdaient dans l’obscurité.

Il y avait aussi de la neige. Le blizzard semblait s’affaiblir, mais il avait déjà recouvert le monde. Le Rhino fut donc contraint d’abaisser son bélier et de dégager la voie pour le convoi. C’est ainsi que la fière machine de guerre fut réduite à jouer le rôle d’un chasse-neige.

La progression était d’une lenteur affligeante.

Sunny devait à la fois faire des repérages et réfléchir à la manière de gérer le convoi. Il voulait envisager autant de problèmes que possible avant qu’ils ne se produisent, pour espérer les prévenir. Il avait été facile de commander une petite cohorte, mais à présent, des centaines de personnes dépendaient de lui. La complexité de la tâche et la quantité de pièces mobiles qui la composent lui donnaient mal à la tête.

Sans parler de l’épreuve intimidante qui consistait à oser guider une caravane de réfugiés à travers une étendue apocalyptique du continent, déchirée par la guerre et lentement dévorée par l’inéluctable marée de ténèbres.

…Au moins, il n’y a pas de tour géante cette fois-ci.

Sunny sourit amèrement et tourna la tête, fixant Beth qui regardait la caméra externe d’un air détaché.

Sentant son regard, elle se retourna.

“…Quoi ?”

Sunny l’étudia quelques instants.

“Beth, tu as de l’expérience dans l’administration, n’est-ce pas ?”

La jeune femme fronça les sourcils, confuse.

“Oui, bien sûr. J’avais l’habitude de faire ce genre de choses pour le compte du Professeur. Gérer un centre de recherche demande beaucoup de paperasse, tu sais.”

Il acquiesça.

“C’est bien. Alors, félicitations. Désormais, tu es responsable des réfugiés.”

Beth cligna des yeux plusieurs fois.

“Quoi ? Attends… qu’est-ce que tu veux dire ?!”

Sunny haussa les épaules.

“Je veux dire que tu es responsable de leur bien-être. La nourriture, l’eau, la santé, le moral. Trouve des personnes responsables parmi les civils et coordonne-toi avec eux pour résoudre les problèmes dont tu peux t’occuper toi-même. Rapporte-moi le reste. Tu seras un filtre entre moi et les civils, compris ?”

Elle se renfrogna.

“Oui, mais ma priorité est le Professeur.”

Sunny secoua la tête et fit un geste dédaigneux de la main.

“C’est un civil aussi, non ? Maintenant que nous escortons un convoi de réfugiés, il est dans ton intérêt de t’assurer que tout se passe bien. Plus le convoi sera en sécurité, plus le vieil homme le sera aussi. Quoi qu’il en soit, je dois déléguer ces tâches à quelqu’un. Sinon, je ne pourrai pas me concentrer sur l’aspect militaire et notre sécurité, y compris celle du Professeur, sera compromise. Préfères-tu que je confie l’aspect civil des choses à quelqu’un qui ne se soucie pas autant de lui ?”

Elle le dévisagea quelques instants, puis se moqua.

“Très bien. Je suppose que je serai la gouvernante, alors. Toi, tu seras le chien de garde.”

Sunny sourit.

“Ça a l’air génial. D’après ce que j’ai entendu, tout ce que les chiens font, c’est dormir toute la journée et recevoir des friandises. Qui ne voudrait pas vivre comme ça ?”

La jeune femme lui jeta un regard étrange et ne répondit pas.

***

Au-dessus d’une route de montagne qui s’accrochait au flanc d’un canyon, une haute falaise se dressait, couverte de neige. Sur une profonde corniche découpant sa face, voilée par les ténèbres, une douzaine de formes monstrueuses étaient allongées, se cachant du vent hurlant.

Les Créatures du Cauchemar se reposaient, leurs yeux injectés de sang fixant sans but le blizzard.

Puis, quelque chose changea.

Comme si elles avaient senti une légère odeur, les abominations s’agitèrent. Leurs gueules s’ouvrirent et leurs muscles roulèrent sous leurs peaux desséchées. Une à une, elles s’extirpèrent de la neige et écoutèrent.

De loin, on entendait le ronronnement à peine audible des moteurs et le bruissement des roues. Des flammes frénétiques s’allumèrent dans les yeux des ignobles créatures et des grognements rauques s’échappèrent de leurs gueules. Utilisant leurs membres puissants, les Créatures du Cauchemar se dirigèrent vers le bord de la corniche, désireuses de planter leurs crocs dans la chair humaine.

…Mais avant qu’elles n’y parviennent, une ombre se déplaça soudain entre elles, et quelque chose atterrit au milieu de la meute, projetant de la neige dans l’air. Les abominations n’eurent qu’un instant pour voir ce que c’était.

Entre eux, une gracieuse guerrière en armure d’onyx se tenait debout, levant un magnifique jian de jade. Une fraction de seconde plus tard, la lame blanche scintilla.

…De retour à l’intérieur du Rhino, Sunny ferma les yeux un instant, écoutant la voix du Sortilège chuchoter à ses oreilles. Le convoi s’élevait dans les montagnes. Il avançait lentement, mais n’avait pas encore rencontré de sérieux problèmes.

Quelques minutes plus tard, il reçut soudain une transmission radio de l’un des véhicules de flanc.

“M… tre Sunl… ss !”

La voix du Sergent Gere lui parvint, brouillée par des interférences. Sunny manipula quelques interrupteurs pour améliorer la qualité et demanda :

“Qu’est-ce qu’il y a ? Y a-t-il un danger ?”

L’homme répondit après une courte pause, le doute dans la voix.

“Non… oui. Je ne sais pas, monsieur. C’est juste que le flanc de la falaise devant nous… il y a du sang qui coule.”

Sa voix était nerveuse.

La réponse vint une seconde plus tard, faisant sursauter le soldat.

“…Ne t’en fais pas. La situation est sous contrôle. Garde les yeux bien ouverts et avance.”

Gere fixa la radio dans sa main, puis jeta un coup d’œil au soldat près de lui.

“Il a dit que la situation était sous contrôle.”

L’autre soldat frissonna.

“…Alors je suppose que c’est le cas.”

Ils s’approchèrent de la falaise qui semblait suinter du sang et la dépassèrent. Rien ne se passa.

Quelques heures passèrent encore, remplies d’événements tout aussi étranges. Mais aucune abomination ne parvint à s’approcher suffisamment du convoi pour le menacer sérieusement. Le soir, alors que le blizzard s’était suffisamment estompé pour que l’on puisse voir les étoiles dans le ciel, ils atteignirent enfin leur destination.

Devant eux, cachée entre de hautes falaises, se trouvait l’entrée du vieux bunker abandonné.

C’est là qu’ils allaient passer les deux prochains jours.