Chapitre 1232 – Perdu dans la Brume

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

Sunny atteignit le bord de son radeau de fortune et se figea, les doigts plongés dans l’eau. Une copie parfaite de lui se tenait immobile à quelques mètres de là, regardant vers le bas avec un sourire moqueur sur les lèvres.

Le visage pâle, les yeux couleur onyx, les cheveux noir corbeau… tout était pareil. Mais l’apparition était bien plus posée et pleine de malice que Sunny. Un océan de folie sans limite se cachait derrière la noirceur froide de son regard amusé.

Pendant un instant, Sunny fut convaincu qu’un des Reflets de Mordret l’avait retrouvé dans la brume. Mais le ton avec lequel l’apparition parlait était tout simplement trop familier. Avec un frisson, il comprit que cette copie de lui était la manifestation du Péché de Réconfort.

Cependant…

“Mon Dieu ! Tu as l’air si pathétique.”

Oui… c’est bien cette maudite épée.

Mais comment est-ce possible ?

Au début, Sunny n’avait entendu que des chuchotements indistincts lorsqu’il tenait le Péché de Réconfort. Plus tard, il avait pu entendre clairement sa voix. Et plus tard encore, après Falcon Scott, une vague silhouette illusoire le suivait partout… maintenant, cependant, cette silhouette semblait parfaitement réelle.

Mais ce détail ne fut pas le plus effrayant.

Le plus effrayant était que Sunny n’avait pas invoqué le Péché de Réconfort. Comment l’esprit de l’épée maudite pouvait-il être ici, si l’épée elle-même reposait toujours dans les ténèbres de son âme !

Soudain, un frisson parcourut l’échine de Sunny.

Comme s’il lisait dans ses pensées, le Péché de Réconfort se mit à rire.

“Ah, comme c’est amusant. Je te reconnais un mérite, Perdu de la Lumière… tu ne manques jamais de m’amuser, en tout cas. Quoi, tu as peur de moi maintenant ?”

Sunny détestait l’admettre, mais c’était le cas. Il ne savait pas à quoi s’attendre de la part du jian maudit… il était lié à Ariel, après tout, qui était à la fois le Démon de l’Effroi et l’architecte de la pyramide des cauchemars. Même si la Mémoire Transcendante ne contenait qu’un fac-similé d’un murmure lointain laissé par l’ancien daemon, elle n’en restait pas moins un artefact d’une puissance terrifiante.

Il ne connaissait que trop bien ce pouvoir. Sunny avait tué de nombreuses Créatures du Cauchemar Corrompues avec son aide — dont certaines qu’il n’aurait jamais dû pouvoir tuer — et, en conséquence, avait été exposé à son influence destructrice à son tour. Il pensait avoir bien géré l’influence insidieuse du Péché de Réconfort…

Mais si c’était le cas, pourquoi l’apparition lui semblait-elle plus réelle que jamais ? Comment avait-elle pu apparaître devant lui sans même qu’il ne tienne l’épée maudite ?

Sunny resta silencieux un moment, puis se força à sourire.

“Peur de toi ? C’est absurde ! Bien sûr que non.”

Le Péché de Réconfort pencha légèrement la tête, étudiant Sunny avec un certain intérêt.

“Oh… mais je pense que tu devrais.”

Sa voix semblait détendue, mais cela ne faisait que rendre les mots plus glaçants à entendre.

Sunny expira toutefois de soulagement..

“Pourquoi le ferais-je ? Tu n’es pas réel. Suis-je censé avoir peur de tous les salauds imaginaires ? La vie est trop courte pour ça.”

Le jeune homme à l’allure de poupée qui lui faisait face haussa un sourcil.

“Tu es sûr que je ne suis pas réel ?”

Sunny se moqua.

“Je ne l’étais pas avant, mais je le suis maintenant. Je m’en doutais depuis longtemps, bien sûr, mais comme tu n’étais pas assez ennuyeux pour que je perde mon temps à aller au fond des choses, j’ai préféré me concentrer sur d’autres sujets. Mais bon, puisqu’il n’y a plus que nous deux, je vais mettre les choses au clair.”

Il s’éloigna du bord du radeau de fortune et regarda le Péché de Réconfort tout en restant en position assise.

“Il est inutile de prétendre être ce que l’on n’est pas. Et ce que tu n’es pas, c’est un être réel… non, tu n’es qu’une petite partie insignifiante de mon esprit que les enchantements du Péché de Réconfort ont retourné contre moi. Et comment je le sais ? Eh bien, tu es une partie de moi, donc tu devrais déjà en être conscient.”

L’apparition resta silencieuse, le regardant avec curiosité.

Sunny secoua la tête.

“Je le sais parce que je peux mentir quand je te parle, et je ne suis pas non plus obligé de répondre à toutes tes questions. Ce n’est possible que lorsque je me parle à moi-même. Tu m’as demandé si j’avais fini de m’apitoyer sur mon sort ? Je n’étais pas obligé de répondre. Tu m’as demandé si j’avais peur de toi ? Pendant un moment ou deux, j’ai eu peur, et pourtant j’ai été capable de dire que je n’avais pas peur. Alors…”

Il grimaça.

“Vraiment, j’aurais dû m’en rendre compte la première fois que tu m’as distrait avec des questions ennuyeuses et que je t’ai dit de te taire au lieu de te donner une vraie réponse. Ah… J’ai honte d’avoir mis autant de temps.”

Le Péché de Réconfort s’esclaffa.

“Oh, mais ton Défaut est une chose subjective, non ? Peut-être que tu peux me mentir non pas parce que je suis une partie de toi, mais simplement parce que tu crois que je suis une partie de toi.”

Sunny sourit.

“Ne serait-ce pas génial si mon Défaut était si facile à tromper ? Non… ce n’est pas le cas. De plus, je n’avais aucune raison de croire que tu n’étais pas une entité réelle avant. C’est plutôt l’inverse qui se serait produit.”

L’apparition resta immobile, le fixant d’un air sombre. Puis, l’esprit de l’épée maudite… le petit morceau brisé de l’esprit de Sunny… soupira.

“Très bien, tu m’as eu. Je ne suis pas réel. En fait, je ne suis que le fruit de ton imagination.”

Le Péché de Réconfort resta silencieux quelques instants, puis grimaça.

“Mais, n’as-tu pas pensé… que, peut-être, se disputer et converser avec un morceau de ton propre esprit est un peu plus effrayant que d’être hanté par une épée maudite ?”

Il rit.

“Je veux dire, cela ne signifierait-il pas que tu as complètement perdu la tête ? Perdu de la Lumière… fichu fou… oh, c’est tout simplement merveilleux !”

Sunny fixa la copie riante de lui-même avec une expression sombre.

Pour une fois, il n’avait rien à dire.

Après quelques longs instants, il se détourna et prononça en serrant les dents :

“…Tais-toi !”

***

L’eau murmurait doucement tandis que le fort courant tirait le radeau de fortune vers l’avant. La brume devenait lentement moins épaisse, mais Sunny ne pouvait toujours pas voir ou sentir quoi que ce soit.

Lorsqu’il avait soif, il invoquait le Printemps Sans Fin et s’en abreuvait, regardant l’eau claire autour de lui avec méfiance. Lorsqu’il eut faim, il invoqua le Coffre de la Convoitise et en sortit des rations.

J’aurais dû faire des réserves avant de quitter la capitale de siège.

À la grande déception de Sunny, ses réserves commençaient déjà à s’épuiser. Il avait gardé le Coffre bien rempli lorsqu’il était éclaireur, mais depuis qu’il était devenu l’envoyé du Clan Valor, il n’avait plus besoin de le faire. Il ne restait donc plus grand-chose d’utile dans le coffre sans fond au début du Cauchemar.

Il était également difficile de savoir combien de temps s’était écoulé depuis l’entrée de Sunny dans le Cauchemar. Le faible crépuscule qui imprégnait la brume ne s’éclaircissait ni ne s’assombrissait. Pourtant, il avait l’impression qu’il ne s’était écoulé que quelques jours.

Il avait passé le plus clair de son temps à regarder, engourdi, le grain du bois de son radeau de fortune. Pour une raison ou une autre, il lui semblait étrangement familier. Cet étrange sentiment de familiarité rendait Sunny fou…

Mais d’un autre côté, c’est peut-être le fait qu’il soit devenu fou qui a provoqué ce sentiment irrationnel de familiarité avec un simple morceau de bois.

Après tout, il devait bien y avoir une raison pour que l’esprit du Péché de Réconfort fût soudainement beaucoup plus visible, effroyablement réel, et même capable d’apparaître sans que Sunny n’invoque l’épée maudite. Plus son état mental était instable, plus la présence de l’apparition était censée être substantielle.

Sunny ne se sentait pas particulièrement fou, juste engourdi, le cœur brisé et émotionnellement vidé. Mais quel fou était conscient de sa folie ?

Le Péché de Réconfort, quant à lui, se comportait de façon plutôt étrange. Sunny était douloureusement conscient de ses nombreux échecs, aussi s’attendait-il à ce que l’apparition l’accable de moqueries et de mépris. Voulais-tu protéger les habitants de l’Antarctique ? Pensais-tu que ta pathétique personne était capable de protéger quoi que ce soit ?

Des choses comme ça.

Bon sang… après cette dernière conversation avec Morgan, Sunny savait que le monde réel était plus ou moins condamné. Il ne savait même pas si Rain s’en sortirait. Le Péché de Réconfort aurait pu se servir de ce fait pour lui enfoncer un clou dans le cœur.

Mais l’épée maudite resta le plus souvent silencieuse.

À un moment donné, Sunny jeta un coup d’œil à l’apparition, qui se tenait toujours à l’endroit où elle était apparue, et haussa les sourcils :

“Hé… Tu ne vas pas te moquer de moi ? Tu ne veux pas me rappeler à quel point je suis pitoyable et pathétique ?”

La copie parfaite de Sunny le fixa quelques instants, puis détourna le regard avec indifférence.

“…C’est devenu obsolète depuis longtemps. Je ne veux plus m’en préoccuper.”

Sunny fronça les sourcils.

“En y réfléchissant… comment se fait-il que tu n’aies pas bougé d’un seul centimètre depuis tout ce temps ?”

Le Péché de Réconfort se moqua.

“Où suis-je censé aller ? Ce radeau n’est pas très grand… Bon, je pourrais aussi bien me tenir sur l’eau, c’est vrai. Mais pourquoi devrais-je le faire ?”

Sunny l’étudia un peu, puis secoua la tête.

“Non… Je crois que tu caches quelque chose.”

Son hallucination se mit à rire.

“Ah oui ? Alors, maintenant, tu es paranoïaque ?”

Au lieu de répondre, Sunny se leva de son siège et fit un pas vers le Péché de Réconfort. Sa copie fronça les sourcils.

“Qu’est-ce que tu crois…”

“Va te faire voir.”

Sunny poussa l’apparition sur le côté, la forçant à reculer d’un pas et à se balancer dangereusement au bord du radeau de fortune, tombant presque dans l’eau.

Le Péché de Réconfort poussa un juron, mais Sunny ne lui prêta aucune attention. Au lieu de cela, il fixa l’endroit où l’hallucination se tenait depuis tout ce temps.

…Intéressant.

Une seule rune était grossièrement gravée dans le bois.