Chapitre 1059 – La Chute de Falcon Scott (77)

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Tout cela n’était qu’un pari. Les soldats de la Première Armée pariaient leur vie contre la Bête Hivernale sans même savoir s’ils parviendraient à l’atteindre, et encore moins à la blesser.

Ils avaient peut-être fait ce pari par désespoir, mais ils l’avaient aussi fait par nécessité. Tous avaient eu l’occasion de partir, et tous l’avaient refusée. Certains l’avaient fait par sens du devoir, par camaraderie ou par bravoure mal placée. D’autres s’étaient tout simplement insensibilisés aux horreurs de la guerre.

Quant à Sunny, il ne savait pas vraiment ce qui l’avait conduit ici. Il était venu sur cette terre brisée à la recherche de pouvoir, mais cette quête lui paraissait si puérile aujourd’hui. L’Antarctique avait remis beaucoup de choses en perspective… cependant, ce changement de perspective ne faisait qu’obscurcir les choses au lieu de révéler la vérité.

Tout ce qu’il savait, c’est qu’il hésitait farouchement à laisser le travail inachevé et qu’il ne voulait pas décevoir les soldats qui lui avaient confié leur vie. Sunny n’avait jamais voulu être responsable de qui que ce soit, mais maintenant qu’il l’était, leurs espoirs et leurs désirs pesaient sur lui comme des chaînes. Étrangement, il ne voulait pas refuser ce fardeau.

Il s’en sentait même le protecteur. C’était peut-être ce que Maître Jet avait voulu dire lorsqu’elle avait déclaré que personne n’était libre dans ce monde.

Quelle que soit la raison, Sunny sentait un espoir frénétique brûler dans sa poitrine alors qu’il marchait dans le blizzard.

Allez, allez… on peut y arriver…

Derrière lui, la troupe de soldats grelottants avançait obstinément à l’intérieur d’une cage de flammes. Les fantassins étaient tous enfermés dans des armures motorisées, hermétiques et isolées, capables de résister aux environnements les plus dangereux. Les Éveillés étaient tous bien plus résistants, et nombre d’entre eux possédaient en plus des Mémoires protectrices.

Et pourtant, ils souffraient tous de ce froid terrifiant. Il était tout simplement trop insidieux, trouvant un moyen de passer à travers toutes les formes de défense. Même Sunny se sentait mal à l’aise à cause de la tempête de neige. Pire encore, le froid devenait de plus en plus intense au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans le blizzard.

Ils devaient rapidement trouver le véritable corps de la Bête Hivernale.

Ce froid… il y a quelque chose qui ne va pas. Il ne ressemble pas à… une force… naturelle…

Même ses pensées étaient lentes et glaciales.

Mais ils ne pouvaient plus reculer. Tout ce que Sunny pouvait faire, c’était avancer et endurer, en espérant que lui et ses soldats parviendraient à atteindre le cœur du blizzard.

Le feu produit par les MWP aidait à atténuer le froid dans une certaine mesure. Mais peu à peu, la chaleur des flammes furieuses se faisait de moins en moins sentir. Les lance-flammes crachaient toujours de longs jets de combustible brûlant, mais c’était comme si le feu lui-même avait été privé de sa chaleur.

Comment le feu pouvait-il être froid ? Sunny ne le savait pas, mais il avait l’impression que les flammes ne contenaient plus aucune chaleur. Elles étaient comme des prédateurs ayant perdu toutes leurs dents.

Bon sang…

Il jeta un coup d’œil en arrière, voyant quelques soldats ordinaires tituber en marchant, puis serra les dents et continua d’avancer.

La tempête de neige ne devait pas être trop étendue. Ils devaient se rapprocher de son centre… tout ce qu’ils avaient à faire était d’endurer un peu plus longtemps.

Réprimant un soupçon de peur, Sunny envoya ses ombres en éclaireur. Dès que son corps perdit leur soutien, le froid l’assaillit avec une force renouvelée. Il poussa un juron et se concentra pour résister à la furie hurlante des vents.

Derrière lui, les Éveillés et les soldats ordinaires se protégeaient le visage et se penchaient en avant pour résister à la force de la tempête. Même les imposantes machines de guerre luttaient pour garder l’équilibre — elles avaient une masse importante, mais aussi une surface beaucoup plus grande que le vent pouvait attaquer. Les pilotes contrôlaient leurs machines lourdes avec une grande habileté, les maintenant debout et les faisant avancer.

Les ombres volèrent dans la tempête. Même si elles ne pouvaient pas voir à travers la neige, elles avaient d’autres moyens de percevoir le monde. Sunny espérait qu’au moins l’une d’entre elles parviendrait à découvrir le véritable corps de la Bête Hivernale — après tout, il n’était pas difficile de la chercher.

Tout ce qu’il avait à faire, c’était de suivre la direction où le froid était le plus intense.

Plus on s’approchait du cœur du blizzard, plus le froid artificiel devenait terrible… et en effet, ses ombres purent bientôt découvrir la bonne direction.

Elles ne parvinrent cependant pas à atteindre l’œil du cyclone. Sunny se sentit un peu ébranlé lorsqu’il réalisa que, plus loin dans le blizzard… même les ombres commençaient à souffrir du froid impitoyable.

Cela n’avait aucun sens, puisque les ombres étaient des êtres incorporels, mais c’était néanmoins vrai. Une fois qu’ils s’enfoncèrent suffisamment dans la tempête de neige, le pouvoir de la Bête Hivernale sembla transcender la logique et la raison. Elle était capable de geler même les choses qui auraient dû être incapables d’être gelées.

Comment… comment peut-elle…

À sa grande horreur, Sunny réalisa que la lenteur glaciale de ses pensées n’était pas seulement le fruit de son imagination. Si le Titan Corrompu était capable d’affecter les ombres avec ses pouvoirs, pourquoi ne serait-il pas capable d’affecter les esprits ?

Rien dans le domaine enneigé de la Bête Hivernale ne pouvait échapper à son pouvoir.

Se souvenant des ombres, Sunny frissonna et continua à marcher dans la direction qu’elles avaient découverte. Chaque pas qu’il faisait semblait plus lourd que le précédent.

Derrière lui, un soldat tomba à terre. D’autres tentèrent de l’aider à se relever, mais rien n’y fit, l’homme ne bougeait plus. Ses camarades n’eurent d’autre choix que d’abandonner leurs vaines tentatives. La troupe passa devant la silhouette immobile, et très vite, elle fut engloutie par la brume du blizzard, disparaissant ainsi de la vue de tous.

Peu de temps après, quelqu’un d’autre se laissa tomber.

Sunny sentit l’effroi s’installer dans son cœur.

Non, non… nous devons continuer. Je refuse… je refuse d’abandonner ! Je refuse de croire que le pouvoir de l’abomination ne peut être brisé !

Il continua à marcher avec une expression hideuse sur le visage, se penchant bien bas pour résister au vent fracassant.

Peu après, d’autres personnes tombèrent dans la neige. Sunny pouvait sentir leurs ombres devenir sans vie au loin. Chaque mort le transperçait comme un couteau.

Au début, il n’y avait que des soldats ordinaires. Un instant plus tard, une puissante bourrasque s’abattit sur lui, faisant vaciller et s’effondrer l’imposante machine. Finalement, même les plus faibles des Éveillés commencèrent à mourir.

Puis le plus fort d’entre eux.

Animée d’une sinistre intrépidité et d’une détermination à toute épreuve, la brigade continua à lutter pour avancer. Les autres brigades avançaient également dans le blizzard à ses côtés. Cependant, leur rythme de progression devenait de plus en plus lent.

Plus ils se rapprochaient du cœur de la tempête de neige, plus le froid devenait meurtrier, plus les vents se renforçaient, et plus il était difficile de faire ne serait-ce qu’un pas en avant. Il semblait qu’une force irrésistible repoussait Sunny tout en essayant de le priver de sa vie, frappant son corps avec des lames de vent et de glace.

Bon sang… bon sang…

Au début, un ou deux soldats tombaient chaque minute. Puis, presque toutes les secondes, un nouveau corps tombait dans l’étreinte de la neige.

Sunny ressentait une… une angoisse immense et insupportable. Et une profonde et mordante réticence.

Et de la peur. Pas pour lui, mais pour la mission.

Mais alors, il eut peur pour lui aussi.

À un moment donné, Sunny réalisa qu’à cause du froid diabolique qui imprégnait son esprit, il ne pouvait plus sentir l’ancre du Royaume des Rêves. Elle existait toujours, quelque part, mais c’était comme si la connexion mystique était déformée par un mur de neige flou. Sunny ne pouvait pas sentir l’ancre, et ne pouvait pas l’atteindre.

Il n’avait nulle part où fuir, tout comme le reste de ses soldats.

Est-ce que… est-ce que nous allons perdre, juste comme ça ?

Cette pensée le remplit d’une colère et d’un chagrin indescriptibles.

Il pouvait voir qu’ils se rapprochaient du cœur du blizzard. Ils n’étaient plus très loin, maintenant…

Mais la tempête de neige était devenue trop calamiteuse.

Sunny ne comptait plus le nombre de soldats qu’il avait perdus. En fait, ses sens — même celui de l’ombre — lui faisaient lentement défaut. Il ne voyait plus très loin, et ne percevait plus très loin. Le monde s’était réduit à une sphère brumeuse d’une douzaine de mètres, tandis que tout le reste était obscurci par la neige.

Dans cette sphère, il n’y avait que quelques Éveillés. Pour autant qu’il le sache, tous les autres avaient déjà succombé au froid impitoyable.

Mon Dieu… ça ne peut pas être… ça ne peut pas être comme ça, bon sang !

Au fond de lui, Sunny aurait pu accepter qu’ils parviennent à atteindre le véritable corps de la Bête Hivernale, mais qu’ils ne réussirent pas à la vaincre. Mais l’idée d’être anéanti sans même avoir atteint l’œil du cyclone suffisait à le rendre fou.

Merde, merde, merde !

Et à chaque seconde, le froid devenait de plus en plus insupportable.

…Mais au final, ce fut exactement ce qui se passa.

Finalement, toujours entouré par le mur de neige hurlante, Sunny se rendit compte qu’il pouvait à peine faire un pas en avant. Il avait perdu de vue la brigade et ne savait pas si ses soldats étaient encore en vie. Il n’y avait que trois Éveillés à ses côtés… Belle, Dorn et Samara.

Et à chaque seconde, le froid devenait de plus en plus pénible.

Il ferma les yeux.

…Admets-le.

Sunny hésita, fixant le blizzard.

Admets-le. Tu as perdu.

Il frissonna.

Imbécile… Qu’est-ce que tu attendais d’autre ?

C’était presque comme si le Péché de Réconfort lui parlait. Mais non… ce n’était que ses propres pensées. Il n’avait même pas encore invoqué l’épée de jade.

Ses propres pensées étaient bien plus accablantes.

Sunny poussa un léger soupir, puis se retourna et regarda ses soldats.

Les membres de sa cohorte étaient serrés les uns contre les autres, des morceaux de glace recouvrant leurs cheveux. Leurs Mémoires lumineuses s’étaient affaiblies, et leurs lèvres étaient bleues.

Leurs yeux, cependant… étaient bien plus calmes que les siens.

Sunny étudia leurs visages pendant quelques instants, essayant de trouver une idée solide.

Finalement, il murmura simplement :

“…Je suis désolé.”

Belle sourit du coin des lèvres, puis secoua légèrement la tête. Ce seul geste sembla lui enlever quelque chose, et l’épéiste vacilla légèrement.

Samara tendit la main pour le soutenir, et il posa une main sur son épaule, la serrant fermement. Dorn se débattit un peu et se tourna vers eux. Il fit un signe de tête chaleureux à son compagnon Éveillé, puis continua à les regarder sans rien dire. Peut-être ne pouvait-il pas.

Sunny resta immobile, observant.

Il les regarda s’immobiliser lentement.

Puis, il vit l’étincelle de vie s’éteindre progressivement en eux. Samara fut la première, puis Dorn. Belle fut le dernier à s’éteindre.

Ce n’est que lorsque leurs ombres devinrent vides et sans vie que Sunny se laissa dissiper dans les ténèbres, échappant au froid meurtrier.

…Dans l’étreinte des ombres, le pouvoir de la Bête Hivernale n’était pas aussi écrasant. Elle pouvait encore arriver jusqu’ici, d’une manière ou d’une autre, mais dans un état affaibli.

Sunny hurla de chagrin et de fureur en s’enfonçant dans le blizzard. Même si tout était perdu, il voulait encore essayer d’atteindre la misérable abomination… il voulait la blesser, la briser et la tuer…

Mais il échoua.

Même si le froid n’était pas aussi terrifiant dans les ombres, il était toujours là. Et plus Sunny s’approchait du cœur du blizzard, plus le froid devenait annihilant. Il continua à avancer, sentant son âme geler et commencer à s’immobiliser, à mourir, pendant un certain temps. Il y parvint presque.

Mais finalement, Sunny dut faire demi-tour.

Il s’enfuit.

Il s’enfuit et se cacha en attendant que la tempête de neige passe.

Il survécut.