Chapitre 1020 – La Chute de Falcon Scott (38)

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Sunny n’avait jamais songé à utiliser cet enchantement mortel par la suite. À l’époque, quelques instants avant de tomber dans le Ciel Inférieur, il l’avait activé par pur désespoir.

Son pari avait été payant, mais il avait failli lui coûter la vie.

[Où est mon œil ?] permettait au porteur du masque de contempler la tapisserie du destin dans toute sa splendeur. L’éternité magnifique et sans fin des fils tordus fixait toute l’existence, s’étendant à l’infini dans toutes les directions, ainsi que dans le passé, le présent et l’avenir. Elle reliait tout et tout le monde comme une toile inconcevable et inconnaissable.

Weaver était peut-être capable d’être le témoin de cette grande tapisserie… mais ce n’était pas le cas de simples mortels comme Sunny.

Un seul regard sur le destin avait failli faire s’effondrer son esprit. Si son essence ne s’était pas épuisée après cet instant, il aurait certainement été tué, sa tête explosant de la manière la plus violente qui soit. Heureusement, il s’en était tiré à bon compte en ne subissant qu’une douleur inimaginable et une agonie pure, dont le souvenir le faisait encore frémir.

…La Terreur était la bienvenue pour essayer de faire la même chose.

Alors que la dernière essence de Sunny disparaissait, lui causant un douloureux contrecoup, l’inconcevable vision de la grande tapisserie du destin se superposa à travers et au-dessus du monde. C’était aussi stupéfiant, à couper le souffle, et tout à fait écrasant que dans ses souvenirs… cependant, de façon assez amusante, Sunny voyait les magnifiques fils différemment cette fois-ci.

Pour lui, ils ne ressemblaient plus qu’à des chaînes.

Certes, il ne s’attarda pas à regarder, ne faisant qu’apercevoir la tapisserie cosmique. Préparé à ce qui allait suivre, Sunny utilisa une petite astuce, mais plutôt sournoise.

Sa conscience était encore partagée entre la réalité et l’illusion de l’étendue infinie de soie blanche flottante que la Terreur avait créée pour hypnotiser ses proies. Sunny s’était donc rendu aveugle au monde réel, se concentrant entièrement sur le royaume illusoire de blancheur pure.

C’est pourquoi la Terreur, qui lui avait presque volé son corps et regardait maintenant le monde à travers ses yeux, était la seule à contempler l’infini angoissant.

Sunny sentit la soie blanche qui l’enveloppait frémir, comme si la fleur pâle se convulsait.

Même si sa tête était pleine de douleur à cause de ce bref aperçu des fils du destin, son faible sourire se transforma finalement en un vrai rictus.

…Fais bonne figure, misérable.

Une fraction de seconde plus tard, son essence se tarit et l’enchantement mortel se désactiva. La tapisserie du destin disparut, et Sunny se retrouva soudain libéré de la présence étrangère qui dévorait son esprit… ou plutôt, elle était toujours là, mais à présent assommée et se tordant de douleur.

Le lien physique fait de soie blanche qui enveloppait son corps s’était aussi un peu relâché.

Sans perdre un instant, Sunny profita de ce relâchement pour pousser sa main vers l’avant. La pointe du Péché de Réconfort perça la paroi de la prison de tissu, puis remonta vers le haut, y creusant une fissure verticale.

Une seconde plus tard, il ouvrit le pétale blanc et s’élança dans l’eau sombre, incroyablement heureux d’être à nouveau dans l’étreinte oppressante de l’océan noir.

Sunny se hâta d’étudier son environnement, sachant qu’il n’avait pas beaucoup de temps.

La tapisserie du destin ne l’avait pas tué en tant que Monstre Éveillé, il doutait donc qu’elle puisse tuer une Terreur Corrompue — si c’était vraiment ce qu’était l’effroyable fleur de soie. Quoi qu’il en soit, la créature ne resterait probablement pas assommée très longtemps.

Pour l’heure, la fleur blafarde semblait se gripper, ses pétales se contorsionnant dans des convulsions grotesques. L’harmonie gracieuse de leur danse étrangement belle avait été rompue, remplacée par des mouvements chaotiques et saccadés dépourvus de toute logique.

Les serviteurs semblaient également souffrir et être désorientés.

En regardant l’agonie qui consumait l’abominable créature, Sunny devint encore plus convaincu que le destin était quelque chose que seuls les dieux étaient censés voir… ou peut-être personne tout court. Si même une abomination Corrompue d’une grande et terrible puissance était réduite à un désordre convulsif, comment les simples humains pouvaient-ils espérer résister à la vue de l’éternité ?

Faisant fi de sa propre douleur, Sunny jeta un bref coup d’œil à Naeve et Flot Sanglant. Ils semblaient montrer des signes de vie, mais n’avaient pas encore commencé à essayer de se libérer. Il y avait fort à parier que la Terreur reprendrait ses esprits avant eux.

Il fallait qu’il finisse la bataille lui-même.

Saisissant la poignée du Péché de Réconfort, Sunny se propulsa en avant. Il lutta contre la faiblesse qui avait été laissée derrière lui en drainant toute son essence, poussant son corps à travers l’eau aussi vite qu’il le pouvait.

La Prise Agile s’était transformée en un filet inutile, son enchantement actif s’étant désactivé. Heureusement, l’enchantement de la Perle Essentia était passif, et il pouvait encore respirer.

Ses muscles et ses poumons brûlaient lorsqu’il atteignit la fleur blanche. Cela ne faisait qu’une douzaine de secondes, mais les convulsions des pétales s’affaiblissaient déjà.

Sentant une terreur froide lui saisir le cœur, Sunny serra les dents et plongea dans la masse de soie blanche.

Son objectif était la petite forme cachée au centre des pétales.

Nageant entre les bandes de tissu blanc qui dansaient, Sunny ne pouvait se défaire du sentiment qu’il serait rattrapé à tout moment. Que son esprit serait dévoré et que sa volonté serait remplacée par quelque chose d’étranger et de vil.

Malgré tout, il continua à avancer.

Après une éternité de peur, il atteignit enfin le cœur de la fleur blafarde.

Et là, il vit…

Sunny se figea un instant.

Devant lui, une forme enveloppée de soie blanche. Il distinguait les vagues contours d’un corps humain, desséché et de petite taille. C’était une forme féminine et petite, presque délicate. Pressé contre les enveloppes, on pouvait discerner un visage… deux creux à la place des yeux, et une bouche plus grande qui semblait ouverte dans un cri silencieux et éternel.

Il comprit alors froidement ce qui se passait. En regardant l’étendue de tissu blanc qui dépassait du corps enveloppé, il réalisa que ce qu’il avait pris pour une fleur n’en était pas une du tout… c’était simplement un grand linceul funéraire de soie blanche, dont les manches et les drapés dérivaient dans l’eau froide et sombre.

Sunny ne s’attarda qu’une fraction de seconde, puis s’agrippa au corps desséché, se retrouvant face à face avec lui, et planta son épée dans son cœur.

Une étrange sensation de tristesse l’envahit instantanément.

Après quoi, l’étoffe blanche qui entourait Sunny se mit soudain à bouger frénétiquement, avant de s’immobiliser.

Dans le silence qui suivit, le Sortilège lui chuchota solennellement à l’oreille :

[Vous avez tué une Terreur Corrompue…]