Chapitre 1019 – La Chute de Falcon Scott (37)

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Un peu plus loin, la fleur éthérée se mit soudain à tourbillonner, ses magnifiques pétales s’envolant comme un courant de soie blanche. Des tentacules fantomatiques d’étoffe fluide se dirigèrent vers le Saint qui chargeait, trop rapides et insidieux pour être esquivés.

Sous les yeux effrayés de Sunny, la tête de Flot Sanglant fut enveloppée par la soie, et ses yeux brillants disparurent de la vue. Le corps du monstrueux orque frémit, bougea faiblement, puis devint étrangement immobile.

Mon Dieu…

Il vit également quelque chose de bien plus effrayant.

Deux des pétales les plus longs volaient déjà à travers l’abîme sombre, s’approchant de Sunny et Naeve. Ils étaient rapides… trop rapides. Inévitable.

Il n’avait pas le temps d’esquiver, ni même de réagir. Il n’y avait pas de serviteurs assez proches pour se cacher dans leur ombre, et il n’avait pas le temps d’essayer de s’enfuir à la nage. Tout ce que Sunny parvint à faire, c’est de trancher dans le vif avec le Péché de Réconfort. La lame de jade rencontra le pétale blanc, coupant le tissu. Un petit morceau s’envola, mais le pétale ne fut pas du tout ralenti.

Il sembla se déployer en une vaste étendue de soie, entourant Sunny de toutes parts. Puis, il fut enveloppé dans la blancheur froide, englobé et immobilisé par elle. La sensation du satin lisse frôlant sa peau nue fit frissonner Sunny.

Bor… del…

Puis le monde s’arrêta.

L’abîme sombre de l’océan disparut, remplacé par une éternité de tissu blanc flottant.

Son épuisement et sa peur disparurent également.

Sa mémoire, sa prévoyance, sa conscience, son intention et sa détermination disparurent.

Son esprit était vide.

Sunny se souvenait vaguement d’avoir eu des pensées, des désirs et des espoirs. Mais ces mots lui semblaient insensés à présent, leur signification insondable. En fait, le mot qu’il avait utilisé pour se décrire — Sunny — était, lui aussi, dépourvu de sens. Quel étrange mot…

Entouré de soie, il perçut un mouvement. Il y avait des ombres qui se déplaçaient autour de lui. Il bougeait lui aussi, se rapprochant de la plus grande d’entre elles.

À chaque instant, son sentiment d’identité se dissolvait un peu plus. Bientôt, il disparaîtrait complètement. Et alors, quelque chose de nouveau, quelque chose d’ancien, quelque chose de plus sombre, quelque chose… qui attend… allait prendre sa place.

Il se sentait en paix avec cela.

Il se sentait… vide.

Le vide était réconfortant.

Il n’y avait qu’une seule chose qui venait troubler le calme et la blancheur impeccable du monde de satin vide.

…Une voix sinistre et moqueuse. Elle murmurait à son oreille, jubilant :

“Nous y voilà. Une fin pathétique pour un idiot pathétique.”

Poussé par cette voix haineuse — sa propre voix — Sunny se souvint tout à coup.

Perdu de la Lumière.

C’était son nom.

Ce seul souvenir déverrouillait tous les autres comme une clé.

Qu’est-ce qui se passe ?

Il se débattit contre le tissu blanc qui enveloppait son corps, mais c’était sans espoir. La compréhension terrifiante inonda son esprit, lui faisant rappeler ce qui s’était passé, ce qui était en train de se passer.

Ce qui était probablement sur le point de se produire.

La conscience de Sunny était étrangement divisée, une partie ressentant la réalité d’être traîné dans la masse d’eau par l’un des pétales de la Terreur, l’autre étant toujours perdue dans l’étendue infinie de la soie ondoyante.

Il pouvait sentir une présence étrangère sans limites empiéter sur les deux, voir à travers ses yeux, penser ses pensées, et en vouloir toujours plus. Sa progression était lente et laborieuse, mais inévitable. Sunny tenta de lutter contre l’envahisseur, jetant toute sa volonté dans un assaut féroce, mais elle se brisa simplement contre l’énorme, ancienne et malveillante énormité de la chose, comme du verre.

Ah… pas bon…

Ses pensées ralentissaient.

Se doutant que combattre la Terreur dans le paysage mental était une entreprise futile, Sunny tenta de se libérer de ses liens physiques. Cependant, ses bras étaient serrés contre son corps, et le tissu blanc refusait de se séparer devant la lame de Péché de Réconfort, comme le faisait habituellement la chair des autres Créatures du Cauchemar. Il n’allait pas le couper en ne pouvant bouger qu’un tout petit peu son poignet.

Maudite soit-elle !

Sunny pouvait vaguement sentir les ombres de Naeve et Flot Sanglant quelque part à côté de lui. Il semblait être le seul à essayer de lutter contre les pétales de la Terreur. Tous deux étaient probablement encore hypnotisés… pourquoi lui ne l’était-il pas, alors ?

Le Péché de Réconfort et la possession d’un Vrai Nom avaient peut-être aidé, mais ce n’était pas la seule raison. Flot Sanglant était aussi le Vrai Nom de l’énigmatique Saint, et pourtant le monstrueux orque était immobile, dérivant silencieusement sur les courants, dans l’effroyable étreinte de la soie blanche.

Ce qui signifiait que ce petit degré de conscience était probablement le résultat de la résistance déraisonnablement élevée de Sunny aux attaques mentales. Même s’il partageait désormais sa tête avec la Terreur, une partie de son esprit luttait encore contre elle.

Mais à quoi bon, puisque Sunny ne pouvait ni se libérer, ni empêcher la créature de se substituer à lui ?

Alors qu’il se rapprochait de plus en plus de la belle fleur de soie blanche, il se sentait devenir… insubstantiel. Ses pensées devenaient de moins en moins les siennes. Ses yeux fixaient le voile de soie, se déplaçant seuls. Comme si quelque chose d’autre regardait à travers eux.

Enfin, Sunny ressentit une véritable horreur.

Il avait déjà eu peur, mais jamais comme ça. Sentir quelque chose d’autre prendre possession de son corps, alors qu’il était totalement impuissant à résister à la lente dissolution de sa volonté… c’était la réalisation de toutes ses peurs les plus profondes et les mieux gardées.

Et c’était la Terreur de LO49 qui s’en chargeait… la détestable et abominable créature qui l’avait déjà vaincu une fois.

Empli d’un sombre ressentiment, Sunny serra les dents et invoqua deux Mémoires. C’est du moins ce qu’il pouvait encore faire.

L’une était une petite lanterne taillée dans de l’obsidienne.

L’autre était un masque effrayant en bois laqué noir, avec des crocs vicieux et trois cornes acérées et torsadées.

Le Masque de Weaver… Sunny ne l’avait pas invoqué depuis longtemps.

Cela l’effrayait aussi, presque autant que la Terreur.

Essayant de ne pas penser à ce qu’il allait faire, Sunny activa l’enchantement unique de la Lanterne Fantôme, lui ordonnant de dévorer toute la lumière autour d’elle.

Il n’y avait pas de lumière à dévorer dans l’abîme sombre, mais ce n’était pas ce qu’il voulait. Ce qu’il voulait vraiment, c’était que la Mémoire divine engloutisse le plus possible de son essence.

La Lanterne Fantôme brûla la plus grande partie de l’essence de Sunny dans le temps qu’il fallut à la spirale de soie blanche pour l’amener jusqu’à la fleur blafarde. Il n’en restait que très peu, à présent…

Sunny avait l’impression que son esprit avait presque disparu.

Luttant pour arracher le contrôle de son visage à la présence terrifiante, il se força à sourire. Il voulait que ce sourire soit menaçant, mais il n’était que faible et effrayé.

Dommage…

Il sentit qu’une ombre immense, pleine d’une méchanceté déchirante, se rapprochait de lui, et pensa :

Tu voulais voir à travers mes yeux ? Eh bien, dans ce cas… regarde…

Sur ces mots, Sunny plongea la main dans le Masque de Weaver et activa son deuxième enchantement…

[Où est mon œil ?]