Chapitre 968 – Changement d’Échelle

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Quelques jours de plus s’écoulèrent dans la clameur des tirs et les hurlements frénétiques de Créatures du Cauchemar agonisantes. Le sombre paysage du Centre de l’Antarctique défilait devant la caravane qui se déplaçait sans cesse, la lumière des étoiles et le spectacle ondulant des aurores australes apparaissaient enfin derrière les nuages de cendres, avant d’être dévorés par le voile de neige.

Le blizzard reprenait de plus belle, amenant Sunny à se demander s’il allait rencontrer le second titan sévissant dans la région. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’était pas très enthousiaste à l’idée de faire sa connaissance.

Le voyage… était étrange. Sunny était habitué à ce que les choses se dégradent rapidement, mais la situation de la caravane était très différente. Au lieu que quelque chose de terrible et de dévastateur se produise d’un seul coup, leur situation devenait de plus en plus désastreuse à chaque heure, les rapprochant peu à peu de l’anéantissement.

Le rythme confiant que la caravane avait établi après avoir quitté la station de réapprovisionnement avait disparu depuis longtemps. Au lieu de rares escarmouches avec de faibles essaims de Créatures du Cauchemar, ils étaient maintenant engagés dans une bataille presque inarrêtable avec les abominations marines qui inondaient le nord du Centre de l’Antarctique.

La pression exercée sur les Éveillés et les pilotes de MRW s’était considérablement accrue, et les fantassins avaient déjà dû faire usage de leurs baïonnettes à plus d’une reprise.

Le pire, c’était la corrosion inéluctable que la multitude de Portes exerçait sur leur technologie. Les véhicules militaires étaient protégés des effets néfastes de l’Appel dans une certaine mesure, mais très peu avaient les mêmes modifications rares et coûteuses que le Rhino. Ils s’en sortaient pour l’instant, mais il était impossible de savoir combien de temps cela durerait.

Les problèmes se multipliaient.

…Les pertes augmentaient également.

Au cours de l’éprouvante avancée vers Erebus Field, Sunny n’avait perdu qu’une poignée de personnes, victimes des caprices du Sortilège et du creuset mortel de la bataille. Ces pertes étaient suffisamment peu nombreuses pour que chacune d’entre elles soit considérée comme un événement poignant.

Il n’en était pas de même pour l’étape actuelle du voyage.

La caravane s’était trop agrandie, et les combats qu’elle devait mener étaient trop fréquents et intensifs pour éviter de perdre des soldats. Le taux d’attrition n’était pas terrible, et restait même admirablement bas, mais il semblait qu’à chaque fois que Gere le contactait pour faire le point sur l’état du convoi, d’autres noms devaient être ajoutés à la liste.

Sunny en était étrangement gêné. Il avait pensé qu’avec l’augmentation drastique des effectifs, la perte de soldats individuels ne l’affecterait pas trop, surtout si les pertes étaient inférieures aux prévisions. Il avait également pensé qu’il finirait par s’endormir à la nouvelle de la mort de personnes sous son commandement.

Mais ce ne fut pas le cas.

Plus ses soldats mouraient — même s’ils étaient peu nombreux — plus il ressentait de l’amertume et de la colère. Cependant, l’émotion la plus forte qu’il ressentit fut plutôt inattendue : l’indignation.

Sunny s’indignait de devoir regarder mourir des hommes et des femmes bons, de voir des humains ordinaires risquer leur vie pour protéger des réfugiés sans défense… alors que les êtres les plus puissants étaient absents, empêtrés dans leurs propres luttes intestines.

Maudits bâtards…

Finalement, il n’était peut-être pas fait pour être un leader.

…Cela ne voulait pas dire que Sunny était inefficace. Au contraire, il faisait du bon travail en dirigeant la caravane et en se faisant passer pour un commandant intrépide. Mais tout cela lui était étranger. Il le faisait parce que les circonstances l’y avaient contraint, et non parce qu’il souhaitait jouer ce rôle.

Vivre seul dans l’Obscurité avait été bien plus confortable.

Ah, le bon vieux temps.

Il y avait une chose étrange dans l’avancée de la caravane vers le nord… une chose à laquelle Sunny aurait dû s’attendre, mais qu’il n’avait pas réussi à prendre en compte.

Malgré la lente attrition, le nombre de personnes sous son commandement ne diminuait pas. Au contraire, il augmentait… s’envolait même. Plus ils avançaient, plus la caravane s’agrandissait.

Il y avait d’autres grands groupes de personnes qui s’étaient échappées d’Erebus Field, des escouades de soldats qui avaient perdu le contact avec le Commandement de l’Armée à cause du blizzard, et des convois d’évacuation qui étaient restés coincés dans les limbes après que leur destination ait été détruite. Tous étaient heureux de voir une force bien organisée se diriger vers le nord, d’autant plus qu’elle était dirigée par un Maître.

Ils rejoignirent donc la caravane. Sunny ne pouvait pas vraiment repousser les retardataires, et à ce stade, il n’y avait aucune raison de le faire.

Ainsi, les quatre mille réfugiés sous sa protection se transformèrent en cinq, puis six, puis douze. Les cinq cents soldats se transformèrent en plus de mille.

Les trois cohortes d’Éveillés passèrent à sept, et il y avait maintenant deux cohortes de Dormeurs auxiliaires au lieu d’une.

Il y avait aussi beaucoup plus de véhicules. La caravane gonflée s’étendait sur deux kilomètres à présent, et ne montrait aucun signe d’arrêt de son expansion rapide.

Sunny ne put s’empêcher de secouer la tête en la regardant.

C’est la recette d’un désastre…

À ce rythme, il allait finir par diriger une division entière lorsqu’ils atteindraient Falcon Scott. S’ils l’atteignaient.

Avec un peu de chance, il tomberait sur un colonel ou deux et leur confierait rapidement la responsabilité du commandement. Si le colonel n’était pas un idiot, bien sûr.

…Sunny venait de s’occuper d’un très méchant Démon Déchu en embuscade sur le chemin de la caravane et retourna à la tête du convoi. Dès qu’il sortit de l’ombre sur le toit du Rhino, Crow descendit et se percha sur son épaule, les plumes ébouriffées et couvertes de flocons de neige.

Il jeta un coup d’œil à l’oiseau malheureux et soupira.

“Quoi ? Tu as vu quelque chose ?”

Le petit monstre hocha la tête.

“Crro ! Vu !”

Sunny attendit que le corbeau continue, sachant qu’il devait être mauvais pour l’Écho de le chercher. Le monstre volant poussa un nouveau croassement :

“Morde ! Horde !”

Sur ces mots, l’oiseau tourna la tête et pointa son bec dans une certaine direction.

Quelle poisse !

Une horde de Créatures du Cauchemar se trouvait devant lui… une horde que Crow ne savait pas comment éviter. Les craintes de Sunny se réalisèrent enfin.

Il se dépêcha d’envoyer l’ombre la plus proche de la direction indiquée par l’Écho en avant. Elle était déjà partie en éclaireur, mais apparemment pas assez loin.

Aussitôt, les yeux de Sunny se rétrécirent.

Il y avait effectivement une vaste horde d’abominations, et il était hors de question de la contourner.

Enfin… à moins d’emprunter l’autoroute côtière, bien sûr.

Dans ce cas, la caravane aurait une chance de contourner la mer d’abominations sans être inquiétée. Une chance infime, d’ailleurs.

Ils risquaient également de rencontrer quelque chose d’encore pire.

…Bon sang.