Chapitre 912 – L’Âme d’un Homme

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Le premier infecté est un jeune soldat de l’unité du Sergent Gere. Les deux autres étaient des réfugiés — un homme d’une trentaine d’années et une femme qui pouvait être la grand-mère de Sunny.

Tous trois n’avaient pas l’âge habituel d’un Dormeur, mais le soldat, au moins, était jeune et fort. Il avait plus de chances de survivre, d’après ce que Sunny avait pu constater… mais personne ne savait vraiment comment et pourquoi les gens avaient survécu au Premier Cauchemar. La raison pour laquelle le Sortilège s’était finalement concentré sur les adolescents de seize à dix-huit ans, après avoir dévasté la Première Génération sans distinction, restait un mystère.

Mais même à l’époque, les jeunes avaient plus de chances de survivre. Les humains n’en connaissaient peut-être pas la raison, mais ils étaient très doués pour rassembler des statistiques.

Cela avait peut-être un rapport avec l’âme. Certains pensaient qu’il était difficile pour une âme de former un noyau stable après avoir pris ses habitudes… ainsi, il était possible qu’une personne plus âgée survive à son Cauchemar, mais qu’elle meure tout de même après que son âme se soit effondrée en essayant de créer un noyau.

Ça ne semble pas très juste…

Mais l’équité était un concept humain, en fin de compte. Le Sortilège avait ses propres principes, qui ne coïncidaient pas toujours avec ce que les humains considéraient comme juste.

…Actuellement, le soldat et le réfugié s’agitaient, comme s’ils étaient sur le point de se réveiller. Sunny les observait d’en haut, l’Éclat de Lune à la main.

Il était étrangement fasciné.

À ses yeux, les changements qui s’opéraient dans les âmes des Dormeurs étaient révélés en détail. La faible lumière dorée qui les habitait tourbillonnait et se déplaçait, prise dans les affres d’une agitation croissante.

Sunny avait lui-même suivi ce processus à de nombreuses reprises. Pour autant, il ne l’avait jamais vu se produire sous ses yeux, sur quelqu’un d’autre.

Pour l’instant, les âmes des deux hommes étaient faibles et… insubstantielles. Elles ressemblaient plus à une idée de quelque chose qu’à une chose réelle. Elles étaient vivantes et avaient des ombres, mais c’était à peu près tout. Cependant, par un processus mystérieux, l’état informe d’une âme terrestre était galvanisé, créant lentement une forme plus solide.

Un noyau d’âme n’était pas une âme. Il existait plutôt à l’intérieur de l’âme, lui servant à la fois de point d’appui et de nœud. Du moins, c’est ainsi que Sunny le percevait. L’existence d’un noyau conférait de nombreux avantages à l’âme, mais lui imposait également un fardeau. Toutes les âmes n’étaient pas assez puissantes et vastes pour en supporter un, et encore moins plusieurs.

La preuve en était la terrible douleur qu’il éprouvait à chaque fois que sa Classe augmentait.

Quoi qu’il en soit, le soldat et le civil semblaient suffisamment résistants pour la tâche qui les attendait. La faible lumière dorée qui saturait leurs corps devint légèrement plus intense, et des traînées d’un éclat plus puissant apparurent. Ces traînées s’écoulaient vers leur poitrine et tourbillonnaient, se transformant lentement en sphères de lumière brillante. Tout ce processus semblait miraculeux.

Au fur et à mesure que les deux sphères s’agrandissaient et se définissaient, les formes familières de deux noyaux d’âme commencèrent à émerger de l’éclat.

Mais il y eut un changement.

Le noyau d’âme naissant du jeune soldat explosa dans un flot de flammes éthérées, qui traversa son corps comme une vague rayonnante, le rajeunissant.

Le civil, quant à lui…

Alors que Sunny observait la scène d’un air sombre, une graine ténébreuse apparut au centre du noyau en formation. Elle s’étendit rapidement, comme une tumeur cancéreuse. Des veines répulsives de ténèbres se répandirent dans la lumière mourante, la consumant.

Plus la lumière était consumée, plus elle se propageait rapidement.

…Corruption.

Sunny était presque certain que c’était ce qu’il observait. Un être vivant succombant à la Corruption. La Corruption existait bien avant le Sortilège du Cauchemar, et bien qu’il n’en connaisse ni la source ni le but, il savait que c’était un ennemi.

L’ennemi, peut-être.

Sunny se doutait qu’il avait été à deux doigts de se faire corrompre, au deuxième niveau de la Tour d’Ébène. La terrible pourriture qui avait rongé le bras de Weaver et forcé l’astucieux daemon à le couper… n’était-ce pas la même chose, mais sous une forme bien plus pure et éprouvante ?

Sous les yeux de Sunny, les tentacules répugnants de la Corruption se répandirent dans le corps de l’homme, ne faisant plus qu’un avec lui.

Puis, le corps commença à changer.

La peau devint sombre et les dents s’allongèrent soudainement, perçant les lèvres. Les os craquèrent, se réarrangèrent…

Mais avant que quoi que ce soit d’autre ne se produise, la lame étroite de l’Éclat de Lune transperça la poitrine de l’homme, lui transperçant le cœur. Le noyau d’âme en formation, désormais parasité par la Corruption, fut brisé. Le corps grotesque se convulsa et s’immobilisa, son dernier souffle s’échappant dans un râle rauque.

Sunny soupira et regarda le mort avec regret.

Au bout d’un moment, il murmura :

“Repose-toi, maintenant. Ton Cauchemar est terminé…”

Trouve la paix en moi.

Sunny s’attarda quelques instants, puis jeta un coup d’œil à l’autre. Tout semblait aller pour le mieux pour le jeune soldat. Son noyau d’âme était pratiquement formé, et de faibles courants d’essence parcouraient son corps. Celui-ci était en train de se reconstruire, devenant plus sain et plus fort… se rapprochant de la perfection.

D’ici peu, le convoi accueillerait un autre Dormeur.

Sunny resta immobile un moment, puis rapprocha sa chaise et s’assit, écartant l’Éclat de Lune. Plusieurs tentacules ombrageux sortirent du sol et traînèrent le cadavre du malheureux réfugié.

À bien y penser, ils n’étaient pas très pratiques pour ce genre de tâches… un simple tentacule était la forme la plus facile à créer et demandait le moins d’essence pour être maintenu, mais il n’était pas très fonctionnel et polyvalent. Peut-être devait-il trouver une meilleure forme.

Quoi qu’il en soit, pour l’instant, Sunny ne pouvait qu’attendre.

Soudain, il se sentit très fatigué.

À ce moment-là, la première des ombres était déjà revenue de son voyage au sommet d’une montagne voisine, alors il ferma les yeux et observa l’infirmerie à travers elle.

Une minute passa, puis une autre. Puis quelques autres. Tout était calme.

…Quelque temps plus tard, le soldat ouvrit lentement les yeux. Un soupçon de conscience lui revint et le jeune homme regarda autour de lui, confus.

La pièce à peine éclairée, les murs en métal rouillé, les trois lits de fortune, dont l’un était trempé de sang… et un jeune homme pâle assis sur une luxueuse chaise en bois, comme sur un humble trône.

Le jeune homme ressemblait presque à un humain… était-il humain ?

Ses yeux étaient fermés. Était-il vivant ou était-ce un cadavre ?

…Était-il à la fois vivant et mort ?

C’est à ce moment-là que Sunny dit :

“Qu’est-ce que tu regardes ?”

Le soldat recula. Puis, frissonnant, il demanda quelque chose de stupide :

“…Suis-je mort ?”

Sunny fronça les sourcils.

Il n’était pas surprenant que ce type soit confus. Il était perdu dans le Premier Cauchemar depuis plusieurs jours. Pour ce qu’il en savait, le convoi aurait dû être en train de rouler vers LO49, pour rejoindre l’Ariadne. Il avait dormi pendant la réunion avec les Irréguliers, la prise de commandement de Sunny et le court trajet jusqu’au bunker.

Pour lui, tout devait paraître étrange et effrayant.

Avec un soupir, Sunny ouvrit les yeux, se pencha en avant… et gifla le soldat au visage. Pas trop fort, mais juste assez pour le sentir.

Alors que le jeune homme glapit et se saisit la joue, Sunny secoua la tête.

“Est-ce que ça te ferait aussi mal si tu étais mort ? Tu n’as pas la chance de mourir, idiot. Bienvenue dans le monde réel, Dormeur… euh… quel que soit ton nom…”