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Chapitre 906 – Énigme Morale

 

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

 

Sunny n’avait jamais vu quelques mots écraser l’esprit d’un homme aussi profondément.

…Sauf peut-être lui-même, lorsque Nephis avait prononcé son Vrai Nom et lui avait ordonné de la laisser pour morte sur le Rivage Oublié.

Le soldat parvint à rester debout, mais il ressemblait à une marionnette dont on aurait coupé les fils. Toute lumière s’était éteinte dans ses yeux. Il resta immobile un moment, puis se tourna légèrement, jetant un regard désolé sur le petit convoi malmené derrière lui.

Sunny pouvait imaginer ce qu’il ressentait. Après avoir survécu à la destruction cataclysmique de la capitale de siège, ces gens avaient affronté des horreurs inouïes pour arriver jusqu’ici en vie. Ce qui les avait fait tenir, c’était probablement l’espoir que le salut se rapprochait de plus en plus. Et maintenant, alors qu’ils étaient presque arrivés à destination, cet espoir était cruellement anéanti.

Il soupira.

“C’est arrivé il y a quelques jours. La nouvelle ne vous serait pas parvenue. Mon groupe et moi sommes les seuls à avoir survécu.”

Le soldat baissa les yeux, silencieux.

Il finit par demander :

“Si je peux me permettre. Quels sont vos plans maintenant, monsieur ?”

Sunny le regarda d’un air impassible.

“Mes ordres sont de me rendre à la capitale de siège d’Erebus Field pour rejoindre une autre cohorte de la Première Compagnie Irrégulière.”

Soudain, une étincelle hésitante apparut dans les yeux du soldat.

“Maître Sunless. Voulez-vous prendre…”

Sunny savait ce qu’il allait dire. Ce n’était pas si difficile à deviner.

…Il avait envie de rire.

En fait, il faillit le faire. Il lui fallait beaucoup de maîtrise de soi pour rester calme en apparence. Un rire amer, familier et désordonné resta coincé quelque part dans sa gorge.

Bien sûr, Sunny le savait. Le soldat allait demander si les Irréguliers escorteraient le convoi civil en lieu sûr. Pourquoi ne le ferait-il pas ? Cela faisait une semaine qu’ils persévéraient sans aucun Éveillé pour protéger la poignée de transports contre les Créatures du Cauchemar en furie. Et même si leur espoir de naviguer en sécurité à bord de l’Ariadne s’était envolé, un véritable Maître se tenait devant eux.

Et pas n’importe quel Maître, mais l’un des plus mortels de la Première Armée, accompagné d’une cohorte d’élites absolues. Les Irréguliers étaient la crème de la crème des forces humaines.

Ils ne laisseraient certainement pas des civils sans défense derrière eux.

Assurément…

Le problème était que cette décision n’était pas facile à prendre. Le Rhino, lourdement blindé et extrêmement maniable, pouvait potentiellement parcourir les mille bornes qui le séparaient du Mont Erebus. En revanche, les transports civils fragiles et endommagés… leur capacité à traverser les montagnes était douteuse. Tout au moins, ils ralentiraient et limiteraient la polyvalence de l’APC.

Ce qui mettrait son équipage en danger.

En acceptant de prendre en charge le convoi, Sunny allait non seulement rendre sa tâche beaucoup plus difficile, mais aussi augmenter drastiquement le risque de mort de ses propres soldats.

C’est pourquoi il avait envie de rire.

Lors de la dernière conversation de Sunny avec Verne, le robuste Maître lui avait dit qu’il était impossible de faire traverser les montagnes à des centaines de civils en vie. À l’époque, Sunny avait répondu que les gens ne pouvaient pas savoir ce qui était impossible tant qu’ils ne l’avaient pas essayé.

Et maintenant, il devait soit laisser ces gens mourir…

Ou avaler ses propres paroles, et joindre le geste à la parole.

Oh, elle est bien bonne celle-là. Elle est géniale ! Je te vois, [Destin]…

Les mots du soldat moururent sur ses lèvres en regardant le visage immobile de Sunny. Sunny resta silencieux.

Alors, que devait-il faire ?

Devait-il prendre la responsabilité de centaines de réfugiés, aux dépens de ses soldats et du Professeur Obel ? Ou suivre la logique froide et faire ce qui doit être fait, les abandonner à leur sort ? Non, mais il ne faut pas se cacher derrière les mots. Il n’y avait pas de destin, dans ce cas, seulement la mort.

Quel était le bon choix ?

Un étrange sourire se dessina sur son visage.

“Que ferait un homme de conviction ? Ah, un homme de conviction serait probablement resté à LO49 et serait mort. Comme c’est compliqué !”

Malgré son aspiration à trouver cette chose insaisissable qu’est la conviction et à devenir plus fort grâce à elle, Sunny n’y était pas encore parvenu. Il ne défendait toujours rien et était aussi déstabilisé qu’il l’avait été au début. Certaines personnes pouvaient avoir un sens moral inébranlable, mais ce n’était pas le cas de Sunny. Le plus souvent, Sunny agissait sur un coup de tête et poursuivait ses intérêts étroits. En fait, le simple fait d’entendre quelqu’un parler de moralité le rendait toujours méfiant.

Il n’avait donc pas de réponse claire à la question de savoir quelle était la bonne chose à faire dans cette situation.

Cependant…

Sunny ne savait peut-être pas en quoi il croyait — si tant est que cela existe — mais il savait très bien ce qu’il méprisait. Il y a quelques jours à peine, il était assis sur le toit du Rhino, plein de mépris pour les salauds qui auraient pu sauver d’innombrables vies en Antarctique, mais qui avaient décidé de ne pas le faire. Ces maudits Souverains.

Alors, en suivant cette logique… ne ferait-il pas la même chose en laissant mourir les réfugiés pour servir ses intérêts personnels ?

Quelle étrange et perverse façon de voir les choses !

Sunny n’était honnêtement pas sûr de la validité de cette conclusion, ni même qu’elle ait un sens. Mais c’était la meilleure qu’il avait trouvée.

Après un long moment de silence, il reprit la parole :

“Combien de nourriture et d’eau propre vous reste-t-il ?”

Le soldat ne sembla pas comprendre sa question. Il fixa Sunny dans le vide pendant quelques instants, puis se redressa un peu.

“Nous avons un large surplus de nourriture et d’eau, monsieur. C’est une chose dont nous ne manquons pas… nous avons aussi un filtre à eau qui fonctionne.”

Sunny resta silencieux un moment, puis acquiesça.

“D’accord. Alors vous allez nous suivre jusqu’à Erebus Field. Notez que nous traverserons les montagnes… mais ne vous inquiétez pas. Ma cohorte a repéré les routes de ce secteur du Centre de l’Antarctique. On vous guidera au mieux.”

Le soldat inspira d’un souffle tremblant et salua.

“Oui, monsieur !”

Sunny s’attarda quelques instants, puis demanda :

“Quel est ton nom et ton grade ?”

L’homme répondit après une courte pause, tripotant le col de son manteau :

“Je suis le Sergent Gere, monsieur.”

Sunny jeta un coup d’œil à la caravane de véhicules abîmés derrière lui et soupira.

“Voici mes ordres, Sergent Gere. À partir de maintenant, je vais prendre le commandement de ce convoi. Tu as bien fait de les amener jusqu’ici. Laisse-moi m’occuper du reste…”

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