Chapitre 573 – La Faim

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Enjambant le cadavre qui gisait sur le seuil de leur cellule, Sunny et Cassie pénétrèrent dans le couloir sombre et vide et s’arrêtèrent quelques instants. Et écoutèrent attentivement l’écho du silence qui régnait, puis avancèrent prudemment.

La plupart des humains se seraient sentis perdus dans cette obscurité impénétrable, mais ni l’un ni l’autre ne s’y sentaient à l’aise. D’un pas souple, ils se dirigèrent vers l’entrée de la cage d’escalier la plus proche, les ombres glissant devant eux pour repérer les dangers potentiels.

Sunny ne laissa pas les ombres aller trop loin, sachant qu’il pourrait avoir besoin de leur aide à tout moment.

Au cours des dernières semaines, il avait appris tout ce que Cassie savait sur le Temple de la Nuit, si bien qu’il avait une image mentale claire de son intérieur dans sa tête — les parties de la grande cathédrale que la jeune aveugle connaissait, du moins.

Actuellement, ils se trouvaient au niveau le plus bas de l’un des sept clochers, sous l’anneau extérieur de la structure principale. Il y avait deux autres clochers dans l’anneau extérieur, et l’anneau lui-même ainsi que les trois tours qui en descendaient restaient inhabités. Elles étaient pour la plupart vides ou occupées par des salles de stockage, des ateliers et d’autres installations utilisées par les Égarés pour l’entretien de la Citadelle.

…Pourtant, il n’y avait aucun moyen de savoir ce qui avait pu changer à l’intérieur du temple depuis leur emprisonnement, et quel danger les attendait, dans l’obscurité.

Ils passèrent d’un niveau à l’autre, sans rencontrer âme qui vive. Ici et là, des traces de combat étaient visibles — les meubles étaient réduits en miettes, les murs écorchés par des lames tranchantes ou fissurés, quelques-uns complètement brisés. Le sol était taché de sang, mais il n’y avait plus de cadavres.

Ils ne trouvèrent qu’un amas de vêtements déchirés et ensanglantés et plusieurs tables renversées, comme si quelqu’un avait désespérément tenté de construire une barricade. La barricade de fortune était brisée et il y avait beaucoup de sang sur le sol, les murs et même le plafond derrière elle.

Sunny et Cassie passèrent devant, leurs expressions devenant sombres.

Au bout d’un moment, Sunny découvrit enfin, derrière l’une des portes verrouillées, une salle de stockage remplie de caisses en bois, chacune contenant des centaines de tubes de pâte synthétique. Il en eut instantanément l’eau à la bouche.

De la nourriture…

Peu importe à quel point il détestait cette boue, il était prêt à tuer pour une seule bouchée.

Sunny et Cassie ouvrirent la salle de stockage avec l’une des clés attachées au trousseau qu’ils avaient récupéré sur le corps de la sentinelle, entrèrent dans la salle et refermèrent la porte derrière elles.

Ils furent tous deux affamés, mais avant que Cassie n’ait le temps d’attraper un tube, Sunny l’arrêta.

“N’en mange pas plus d’un. Et mange-le lentement.”

Elle hésita, puis se tourna vers lui en fronçant les sourcils.

“Pourquoi ? J’ai tellement faim…”

Il secoua la tête et s’assit sur une des caisses.

“Si tu manges trop, et trop vite après avoir été privé de nourriture pendant longtemps, tu risques de mourir.”

La jeune aveugle pencha la tête.

“Pourquoi ? Comment le sais-tu ?

Sunny ouvrit un tube et haussa les épaules.

“…J’ai déjà vu ça.”

Les enfants des faubourgs le savaient bien. Toutefois, Cassie n’avait probablement jamais été confrontée à la faim — même dans la Cité Noire, de nombreux habitants avaient été généreusement nourris par l’Étoile Changeante et son groupe de chasseurs pendant leur séjour ici.

Sunny était surpris, en fait, que les enfants normaux n’apprennent pas ce genre de choses à l’école.

La jeune fille aveugle s’attarda quelques instants, mais finit par écouter ses conseils.

Chacun d’eux mangea lentement un tube de pâte synthétique, puis se reposa un moment. Sunny invoqua ensuite le Coffre de la Convoitise, le tapota sur le couvercle et chargea quelques caisses dans la petite boîte.

“Quelle bonne petite boîte tu fais ! Bon travail, Coffre !”

Puis, se sentant rafraîchis et revigorés, les forces revenant lentement à leurs corps affamés, ils déplacèrent les caisses et se lavèrent à tour de rôle avec l’aide du Printemps Sans Fin.

Sunny commença. Enlever ses vêtements puants et frotter sa peau avec de l’eau froide lui procurait une sensation paradisiaque. Lorsqu’il eut terminé, il invoqua la Chaîne Immortelle et se sentit enfin à nouveau lui-même.

Il s’assit ensuite tranquillement près de la porte et, à l’aide d’une des ombres, surveilla le couloir.

Dans le silence de mort qui régnait sur le beffroi de pierre, Sunny ne pouvait s’empêcher d’entendre tous les sons autour de lui — le bruissement de la tunique rudimentaire contre la peau de Cassie lorsqu’elle l’enlevait et la laissait tomber sur le sol, le murmure de l’eau qui coulait le long de son petit corps souple, et les petits soupirs de soulagement qu’elle poussait lorsque le poids de plusieurs semaines d’emprisonnement était balayé par l’eau.

Au bout d’un moment, elle le rejoignit, vêtue à nouveau de son manteau bleu et de son armure polie.

Sunny hésita un peu, puis dit :

“Approche-toi.”

Cassie pencha un peu la tête, puis fit ce qu’il lui demandait. Sunny tendit la main vers l’une des lampes à huile éteintes, puis commença à frotter sa cuirasse, ses épaulières et d’autres éléments en acier de l’armure avec de la suie.

La jeune aveugle fronça les sourcils, mais ne l’arrêta pas.

“…Tu veux la rendre non réflectrice ?”

Il acquiesça.

“Ouais, c’est ça. Juste… au cas où.”

Ils ne savaient toujours pas quels étaient les pouvoirs de Mordret, mais quels qu’ils soient, les miroirs et les reflets avaient manifestement quelque chose à voir avec eux. La Chaîne Immortelle était forgée dans un acier sombre, mais l’armure de Cassie était trop brillante pour qu’il se sente à l’aise.

…C’était aussi la raison pour laquelle il n’avait pas encore invoqué le Regard Cruel. La lame argentée de la lance enchantée était comme un miroir transparent, et il ne savait pas ce qui pourrait se passer s’il le faisait.

Une fois que Sunny eut fini de recouvrir de suie l’acier poli de l’armure de Cassie, ils se reposèrent un peu, mangèrent encore un peu et quittèrent la salle de stockage. Il était temps de gravir le clocher et de retourner à l’anneau extérieur du Temple de la Nuit.

***

Dès qu’ils sortirent de la cage d’escalier et se retrouvèrent à nouveau entre les murs noirs de la structure principale du Temple de la Nuit, une terrible odeur leur assaillit les narines. Sunny grimaça, puis se couvrit le nez d’une main.

C’était l’odeur familière et nauséabonde de la mort.

Tout comme le clocher, l’anneau extérieur était plongé dans les ténèbres. Personne n’avait pris la peine de changer l’huile des lampes et aucune fenêtre ne laissait passer la lumière. Les couloirs étaient plus larges et les ornements plus riches. Cependant, comme auparavant, tout était silencieux et il n’y avait personne.

Sunny frissonna.

…Où sont donc passés tous ces gens ?

Le Temple de la Nuit semblait complètement désert. Au début, lorsqu’ils étaient affamés et faibles, il s’en réjouissait. Mais maintenant, l’absence de gens commençait à le rendre nerveux.

Que s’était-il passé ici pendant qu’ils étaient enfermés ?

Se déplaçant lentement, tous deux se dirigèrent prudemment vers les portes menant à l’extérieur.

…Sunny ne tarda pas à remarquer une traînée de sang séché sur les pierres sous ses pieds, comme si quelqu’un de mort ou de mourant avait été traîné dessus. Par coïncidence, la piste menait dans la même direction. Bientôt, l’odeur de la mort se fit plus forte, rendant la respiration difficile.

Sunny et Cassie pénétrèrent dans le hall qui les séparait des portes et se figèrent.

Son visage s’assombrit.

Ce… ce n’est pas bon…