Chapitre 1876 – Troisième Pilier

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Les huit Saints qui avaient suivi l’énigmatique Seigneur des Ombres dans la bataille étaient à la fois ébranlés et ravis. Cette dernière avait été épouvantable, mais ils s’y attendaient.

Ce à quoi ils ne s’attendaient pas, c’était d’apprendre à quel point leur sinistre commandant s’était révélé puissant.

Le Seigneur des Ombres était une existence singulière car, contrairement aux autres, il n’était pas un vassal du Roi des Épées. C’était un Saint mercenaire que Dame Nephis avait réussi à convaincre de mettre sa lame au service de la cause du Domaine de l’Épée — c’est donc elle qui le connaissait le mieux. Par conséquent, personne n’avait douté de sa promesse qu’ils ne seraient pas en mesure de le vaincre dans un combat.

Néanmoins, ce fut un choc saisissant que de voir le mercenaire Transcendant à l’œuvre.

Non seulement il était immensément puissant et mortel, mais il était aussi du même calibre que les deux autres commandants du corps d’expédition — Étoile Changeante elle-même et Chevalier de l’Été, le paladin le plus renommé du Grand Clan Valor.

Les Saints pensaient que le corps d’expédition avait deux piliers, mais ils savaient maintenant qu’il y en avait trois.

Au moment où la plainte stridente du cor de guerre leur signala de battre en retraite, le regard qu’ils portaient sur le Seigneur des Ombres avait changé du tout au tout.

…Sunny était un peu amusé par leur changement d’attitude.

Je vivais seul dans cet endroit maudit, de mon plein gré. À quoi d’autre s’attendaient-ils ? Que je sois un faible ?

Entendant le cor de guerre, il poussa un soupir de fatigue et se prépara à reculer.

Il sentit Nephis entrer dans son champ de perception, suivie par les Gardiens du Feu. Une fois qu’elle et les autres Saints du premier contingent militaire eurent avancé, Sunny ordonna à ses Ombres de se replier et suivit le mouvement.

Il se retrouva rapidement derrière la ligne de front, entouré de ses huit subordonnés Transcendants.

Maintenant que leur service était terminé, Sunny sentit soudain le poids de la fatigue s’abattre sur lui comme une montagne. Il était épuisé, déshydraté et couvert de sueur… à tel point qu’il ne savait plus ce qu’il voulait faire ; invoquer le Printemps Sans Fin pour étancher sa soif, ou l’invoquer pour se laver.

Avec le recul, l’Antarctique n’était pas si mal. Au moins, il n’y faisait pas si chaud…

Rejetant ses Ombres pour les laisser réparer les égratignures qu’elles avaient reçues dans l’obscurité nourricière de son âme, Sunny regarda les Saints épuisés et haussa les sourcils derrière son masque.

« Qu’attendez-vous ? Rentrez au camp. Nous n’avons que seize heures pour récupérer avant le début du second round. »

Rivalen d’Aegis Rose soupira.

« …Vous savez vraiment comment remonter le moral des troupes, n’est-ce pas, Seigneur Shadow ? »

Sa voix habituellement galante semblait un peu amère.

Sunny le regarda froidement.

« Bien sûr. Je doute que vous aimiez mes méthodes, cependant. »

Grande Muraille sembla presque frissonner, après quoi il détourna le regard en toussant.

Sans lui prêter plus d’attention, Sunny se dirigea vers le camp lointain. Ses bottes raclèrent contre l’os blanc.

La partie de la Première Côte qu’ils traversaient avait été enveloppée par la jungle écarlate avant que son contingent militaire ne la nettoie. Il y avait de la cendre dans l’air, et des piles de cadavres d’abominations brûlées couvaient ici et là.

Une fois le front éloigné, quelqu’un arriverait pour récolter les éclats d’âme — mais pour l’instant, les carcasses recouvraient simplement le sol, permettant de se rendre compte à quel point la bataille avait été terrible.

Sunny soupira.

Ce n’est que le premier jour.

Ils atteignirent rapidement la ligne des soldats éreintés. Les guerriers étaient couverts de suie et à bout de forces, mais leurs yeux enfoncés brillaient de mille feux.

Pour une raison ou pour une autre.

Le contingent militaire était en train de se mettre en formation, mais à l’approche de Sunny et des Saints, tout le monde s’arrêta quelques instants.

Il sentit des milliers de regards l’envahir comme une marée, puis une acclamation assourdissante s’éleva au-dessus de la mer de soldats.

Entouré d’une foule de soldats en liesse, Sunny sentit un froid glacial lui parcourir l’échine, et un sentiment soudain d’effroi lui saisir le cœur avec des griffes glacées.

Il faillit trébucher.

C’était parce qu’il avait reconnu leur chant.

« …Gloire ! Gloire ! Gloire ! »

Le visage de Sunny était caché derrière un masque, personne ne pouvait donc voir son expression. Les ombres qui peuplaient le champ de bataille se déplaçaient tandis qu’il s’arrêtait et regardait les soldats en silence.

Il resta immobile quelques longs instants, puis poursuivit sa marche.

« En avant ! »

Sa voix était plus froide que les profondeurs gelées de l’enfer.

L’acclamation explosa brièvement, puis se turent. Les guerriers fatigués suivirent leur général à travers le champ de bataille éclairé par les cadavres, jusqu’au camp.

Ah, comme c’est ennuyeux…

Sunny n’avait pas grand-chose à faire une fois le contingent militaire revenu à la base de la clavicule du dieu mort — heureusement, il n’avait pas à s’occuper des détails de la gestion d’une armée en dehors de la bataille. Il voulait simplement se débarrasser de son masque et de son armure pour se nettoyer et boire de l’eau, mais compte tenu de la nature du Seigneur des Ombres, c’était plus difficile à accomplir que cela n’aurait dû l’être.

Finalement, il gaspilla un peu d’essence pour s’éloigner du camp à travers les ombres, se rafraîchir, puis revenir.

Ses soldats avaient mangé et dormaient maintenant — certains dans des tentes, d’autres simplement sur le sol. La plupart d’entre eux s’étaient débarrassés des couches extérieures de leurs armures à cause de la chaleur, si bien que l’on voyait beaucoup de peau. C’était un contraste frappant avec ce à quoi il était habitué depuis l’Antarctique, où tout le monde avait toujours essayé de mettre autant de couches de vêtements que possible.

Sunny étudia la scène du camp en silence, puis secoua la tête.

Je déteste les jungles.

Comme le Seigneur des Ombres n’avait pas besoin de dormir, il se dirigea vers les ascenseurs et grimpa un peu sur la pente de la clavicule pour observer la bataille au loin.

À sa grande surprise, une autre personne assise sur le bord de la plate-forme en bois faisait de même.

C’était un homme d’une beauté frappante, au profil vaillant et au regard pensif. Ses yeux bleu lac étaient calmes, et ses cheveux brillants bougeaient légèrement dans le vent.

Sunny faillit ne pas reconnaître Chevalier de l’Été sous son armure lustrée, mais cette beauté angélique était difficile à oublier.

« Seigneur Gilead. »

Il s’assit à proximité, regardant dans la direction où Nephis réduisait actuellement la jungle écarlate en cendres.

Chevalier de l’Été lui jeta un coup d’œil, puis se retourna.

« Seigneur Shadow. »

Le vaillant Saint resta silencieux un moment avant de dire d’un ton neutre :

« J’ai observé votre combat. Votre réputation est bien méritée. »

Sunny sourit de travers derrière son masque.

« Vous n’êtes pas si mal non plus. »

Il marqua une pause, et ajouta d’un ton égal :

« Mais pas aussi bien que moi. »

Le Seigneur Gilead s’esclaffa.

Il leva une gourde en alliage battu, but un peu d’eau, puis regarda Sunny avec un sourire subtil.

« Nous saurons qui est le meilleur lorsque nous croiserons le fer. Cependant… j’espère que nous ne le découvrirons jamais. »

Il pouvait s’agir d’un souhait sincère, d’une plaisanterie légère ou d’une menace voilée. Chevalier de l’Été prenait ses serments très au sérieux, et puisqu’il avait prêté allégeance au Roi des Épées, sa loyauté était irréprochable. Il aurait pu avoir quelques réserves à l’égard dudit mercenaire Transcendant au caractère égoïste.

C’était le genre de personnes que Sunny devrait combattre un jour, si les choses tournaient mal.

Jetant un coup d’œil au camp où se reposaient ses Saints subordonnés, il se demanda combien d’entre eux il allait devoir tuer à l’avenir.

Sunny finit par pousser un soupir.

« Je l’espère aussi. »