5722-chapitre-121
Chapitre 121 – Rue Berk
Traducteur : _Snow_
Team : World Novel
Sa vitesse accrue était une capacité très pratique. C’était celle dont Elmer était le plus reconnaissant parmi toutes celles qu’il possédait, si on le lui demandait. Elle l’avait aidé à compléter son apparence mystérieuse aux yeux de Lev, comme elle l’avait aidé à se rendre à pied jusqu’à la Rue Berk en faisant de courts trajets limités à cinq mètres.
Il ne pouvait cependant pas nier qu’en raison des limites de cette capacité, qui ne pouvait le faire avancer que très peu de temps après son utilisation, il était maintenant presque complètement épuisé. Physiquement et spirituellement.
Elmer estima que la distance entre le district du Nord-Est et le District Étranger n’était pas inférieure à trois cent cinquante mètres. Cette notion était basée sur les données qu’il avait recueillies en comptant ses pas pour acquérir un peu plus de mille et cent pas. Et de ce fait, il pouvait comprendre l’épuisement qu’il ressentait.
Mais, compréhensible ou non, il restait un humain qui avait besoin de repos. Il voulait faire une pause. Il souhaitait seulement que cela soit possible.
Mais tout cela, il le chassa rapidement derrière lui dès qu’il se retrouva devant un petit bungalow entouré d’une clôture blanche. Un point de repère étrangement silencieux qui se tenait seul au milieu d’arbustes et d’arbres matures, contrairement au reste des bâtiments serrés qu’il avait vus en se dirigeant vers son emplacement actuel.
Elmer jeta un coup d’œil au petit panneau de bois sur lequel était gravée la structure d’une maison avec le chiffre « 14 » en son centre, et expira.
Nous y sommes…
Il y avait une sorte de tension dérangeante qui s’insinuait en lui, une tension dont il n’arrivait pas à se débarrasser. Cependant, il en comprit rapidement la raison.
Hanky n’était pas comme Lev, il l’avait compris dès le premier jour de leur rencontre. Épuisé ou non, il devait être prêt à affronter le danger, surtout avec sa tenue vestimentaire.
Et avec cette pensée solidement ancrée dans sa tête, ainsi qu’une résolution bien trempée soutenue par un soupir, Elmer s’aventura dans les environs de la maison 14, un pas prudent après l’autre, l’ourlet de son trench-coat en lambeaux se balançant dramatiquement derrière lui.
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Comme on pouvait s’y attendre d’une nuit d’hiver, plus on s’y enfonçait, plus les hurlements du vent étaient froids et sinistres. Il faisait maintenant si froid qu’il menaçait de geler l’homme en noir qui s’approchait, à l’endroit même où il marchait sur le chemin de gravier qui menait au porche de Hanky. Mais Elmer avait déjà connu des nuits bien pires ; même ses cauchemars étaient plus déchirants que celui-ci.
Si son esprit essayait constamment de discerner les dangers possibles, ce n’était pas parce qu’il craignait d’être capable de s’en sortir indemne, mais parce qu’il n’aimait pas être pris au dépourvu. C’est en pensant à cela qu’il avait décidé de ne pas se faufiler dans la maison de Hanky, mais plutôt, comme un gentleman, d’entrer par la porte d’entrée.
Si je peux faire en sorte qu’ils m’offrent un café au lait et écoutent mes paroles, ce sera encore mieux. Hmm… C’est probablement du thé qu’ils offriraient à la place. Je doute que quelqu’un qui n’est pas propriétaire d’un manoir ait un tel café chez lui. Il a l’air assez cher, après tout. J’aurais peut-être dû en demander le prix à Polly ce jour-là.
Elmer était maintenant sous le porche, le bras tendu vers la poignée de la porte d’entrée. Et il avait presque été sur le point de sourire sous son masque pâle avec les mots que son esprit avait évoqués. Mais tout d’un coup, c’était devenu impossible.
Ses sens avaient été brusquement mis en éveil.
Instinctivement, il recula d’un pas, et en même temps, les muscles tendus et le pouls rapide, il activa son ouïe accrue.
Deux ou trois respirations profondes et discrètes, qui s’interrompaient parfois brièvement, lui parvinrent immédiatement aux oreilles. En discernant leur nombre, il constata qu’elles provenaient de quatre personnes. Deux très proches de lui, et les deux autres également réparties un peu plus loin à gauche et à droite.
Son intuition était la bonne. On ne lui servirait ni café ni thé en tant qu’invité respectable ce soir.
Comprenant la situation, Elmer désactiva son ouïe accrue avant qu’elle ne le plonge dans le sommeil, et agit comme un lapin. Il bondit en arrière, se jetant du porche et à quelques pas de la charpente du bungalow d’un seul coup.
Et grâce à cet acte singulier d’instinct, ses intestins étaient restés intacts.
A genoux, se soutenant de la main droite, Elmer regarda la porte qu’il avait franchie en diagonale. Il ne restait plus qu’un instant avant qu’elle ne s’écroule dans sa totalité.
Mince alors. Ça aurait été mon ventre…
La netteté de ce qui avait fait cette coupure laissa Elmer abasourdi, à tel point qu’il en était presque risible. Et tandis qu’il se redressait de l’accroupissement dans lequel il se trouvait, sa curiosité pour ce qui avait administré un coup si préventif et si précis augmentait également.
« Qui êtes-vous ? ».
Comme s’il était obligé d’apaiser la curiosité d’Elmer, celui qui avait porté le coup commença à faire sa grande apparition.
D’abord, sa voix féminine avait posé une question sur l’identité d’Elmer, puis sa silhouette s’était dissimulée dans l’obscurité du bungalow de Hanky et enfin, dans la grâce argentée de la nuit éclairée par la lune, sa silhouette fine et bien dessinée.
Vêtue d’un jupon blanc fluide qui couvrait même ses pieds, la jeune femme qui était apparue sous le porche rappelait à Elmer la malédiction pleureuse qu’il avait vaincue pour Lev. La seule différence entre les deux était que cette femme n’était pas une malédiction, car elle était claire – pas d’un blanc de neige – avait un regard d’indifférence – sa tenue bizarre ne la dérangeait pas du tout – et ses cheveux étaient d’une beauté noire en cascade qui tombait sur ses épaules.
Son identité était évidente. Il se rappela qui elle était.
La femme de Hanky…
Elmer laissa ses yeux s’égarer sur l’épée mince à un seul tranchant qu’elle tenait dans sa main droite. Elle semblait légère mais mortelle. Petite mais féroce. Gracieuse mais détestable. C’était une beauté d’acier.
Et celle qui la tenait avait la démarche d’un maître d’épée, d’une dame d’épée.
Il se moqua ensuite discrètement.
« Est-ce une façon d’accueillir un invité ? » commença Elmer, sa voix s’étant déjà transformée en celle qui convenait à son alias « la Faucheuse ».
« Tu n’as pas été invité. Personne ne t’a appris les bonnes manières ? » répliqua la dame à l’épée.
« C’est une question blessante. Mais je ne m’en préoccuperai pas. Alors, si vous le voulez bien, laissez-moi vous poser la mienne à la place. Qu’est-ce que vous… ? Non… »
Il déplaça son regard vers la gauche de la dame à l’épée, et là se tenait, presque imperceptiblement, l’un des frères jumeaux Ted et Ned.
Elmer n’était pas sûr de savoir lequel des deux était à côté de sa mère, et lequel l’épiait par la fenêtre à gauche du bungalow. Il ne s’y attarda donc pas trop. Au lieu de cela, il tourna son regard vers le dernier des quatre, enfermé à droite du bungalow, la fenêtre levée et un fusil de chasse menaçant à la main. Dans sa ligne de mire, sans aucun doute. Cette personne était l’homme de la maison.
« …Qu’est-ce que vous êtes tous ? »
« Tu n’as pas à t’inquiéter de ça », dit Hanky, sa voix rauque se familiarisant une fois de plus avec les oreilles d’Elmer. « Tu seras bientôt mort. »
Elmer incline doucement la tête. « Mort, hein ? » Puis il acquiesça. « C’est compréhensible que tu dises ça. Après tout, je suis entré par effraction. Et mon apparence n’aide pas beaucoup non plus. Mais est-il juste de juger la force de quelqu’un si rapidement ? »
« Nous ne nous sommes jamais trompés », répondit la femme de Hanky. Elmer répondit par un haussement d’épaules.
Il n’avait pas de plan de bataille pour les combattre ; de plus, il était considérablement épuisé. Mais pour une raison quelconque, sa poitrine se sentait extrêmement légère. Il respirait facilement. Ses muscles étaient détendus.
Il savait ce que c’était. C’était de la confiance.
Sa capacité unique ne nécessitait aucun plan de bataille pour être efficace. Grâce à elle, il pouvait créer un plan de bataille décisif sur-le-champ, en se basant sur les événements déjà survenus. C’était la carte ultime à posséder. Et il avait trouvé un moyen de contourner ses limites.
C’est bien, j’imagine.
« Alors… » dit Elmer en sortant un stylo et du papier de sa poche droite, ce qui fit froncer les sourcils de Hanky et de sa famille à l’unisson. « Dois-je découvrir à quel point tes instincts sont bons ? »