Chapitre 108 – Celui Qui Cherche

Traducteur : _Snow_

Team : World Novel

Hallo Elm

La porte de la chambre de Hallo s’ouvrit en grinçant, et une lumière extrêmement vive – qui contrastait fortement avec celle de la bougie sur son bureau – jaillit d’une lanterne à main en bronze et brisa la faible obscurité qui l’enveloppait à l’endroit où il était assis.

Il n’apprécia pas que cette interférence vienne perturber l’atmosphère paisible dans laquelle il baignait, et son visage ne manqua pas de le cacher. Néanmoins, il n’était pas surpris de ce qui venait de se passer ; en fait, il avait l’air de s’y attendre.

Rain était un garçon têtu qui ne l’écoutait jamais, après tout.

« Qu’est-ce que tu fais ? » Hallo grommela d’un air fatigué en détournant son regard de la lumière des bougies et des papiers en désordre sur son bureau vers le jeune garçon qui se tenait à sa porte. « Tu ne vois pas que je suis en plein travail ? »

« Oh ! Je ne le savais pas. Mes excuses… Comme si ! » Rain se tordit le nez. « Comment aurais-je pu le savoir avec toute l’obscurité qui règne ici ? » Il se déplaça vers l’avant, permettant à la lueur des lampes à huile du couloir de se répandre davantage dans la pièce et de rejoindre celle de sa lanterne pour frustrer encore plus Hallo.

Rain avait la même peau d’ébène qu’Hallo, et même si son ton était beaucoup plus léger, il était impossible de ne pas voir qu’ils étaient génétiquement frères.

Mais malgré leur ressemblance, leurs traits différaient quelque peu.

Contrairement à Hallo qui avait pris les yeux bleus et les cheveux noirs de sa mère, Rain avait pris les yeux marrons et les cheveux bruns de son père.

Il en allait de même pour leurs caractères.

Hallo était tout aussi nocturne que leur mère, préférant dormir le jour et travailler la nuit, tandis que Rain se montrait toujours assidu lorsqu’on le lui demandait. Mais Rain avait beau essayer d’aider son frère aîné à changer, cela ne fonctionnait jamais. Comme aujourd’hui.

« L’obscurité est ma zone de confort », se moqua Hallo en se retournant vers les papiers posés sur sa table. Il était vêtu d’un bonnet de nuit en laine de la même couleur que sa chemise de nuit en flanelle rouge et que ses chaussettes en cachemire qui gardaient ses pieds bien au chaud. « Et tu me déranges. »

« Bien sûr », dit Rain en ricanant. « Je vais bientôt te laisser à tes belles ténèbres, démon », se moqua-t-il en parcourant la pièce des yeux, rien d’autre que le bureau devant lequel Hallo était assis n’apparaissant à son regard en raison de son état fortement dépourvu de lumière. « Je suis juste venu te dire que ton dîner est prêt. »

Hallo eut un sourire sarcastique. « Oh, comme c’est gentil de votre part. Tu es une très bonne servante. »

Le visage de Rain rougit visiblement malgré son teint. « Ne m’appele pas comme ça ! » hurla-t-il avec une légère fureur, sa voix douce lui donnant l’air d’un enfant dans le pyjama deux pièces violet qu’il portait. « Je te signale que je ne suis pas ta servante, toi… » Il regarda son frère aîné. « Espèce d’impuissant ! »

Hallo siffla doucement avant d’éclater de rire, un rire qui lui tordit tellement le ventre que des signes de larmes lui montèrent aux yeux, et qu’il dut se taper les cuisses continuellement, mais doucement, pour tenter de se contrôler.

Bon sang, Rain était si amusant parfois.

« Qu’est-ce… Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’y a-t-il de si drôle ? » Le jeune garçon de quatorze ans resta hébété là où il se tenait, une lanterne à la main, à quelques pas de la chambre de Hallo.

« Non. Rien. Rien, vraiment. » Hallo se calma lentement et essuya les larmes qui avaient coulé sur ses joues. « C’est un sacré mot que tu as appris. Sais-tu au moins ce qu’il signifie ? »

Rain fit la moue. « Hmph… Pourquoi ne le saurais-je pas ? »

« Oh… Alors qu’est-ce que c’est ? » Hallo se déplaça sur sa chaise, plaçant son bras gauche sur le rail supérieur, et se tourna vers son jeune frère avec un sourire.

Les sourcils broussailleux de Rain se haussèrent, tandis qu’il se haussait le menton et maintenait un contact visuel perçant avec son frère.

« Cela signifie un homme sexuellement incompétent. » Il ricana.

« C’est tout ? » demanda Hallo en inclinant légèrement la tête en signe de surprise. Et Rain en fut sans doute influencé.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Ce n’est pas tout ce que veux dire ‘impuissant’. Il s’agit d’un homme sexuellement incompétent qui est soit trop jeune pour avoir eu des relations sexuelles, soit trop vieux pour essayer d’en avoir. J’ai vingt-neuf ans, je ne suis ni l’un ni l’autre. Heh. » Hallo poussa un faible grognement et se retourna vers son bureau, loin des épaules voûtées de Rain. « Tu me déçois, Rain », commença-t-il à dire en plaisantant. « Comment ton frère peut-il être si intelligent et toi si faible mentalement ? C’est pour ça que… »

« Je te l’ai déjà dit. Je n’irai pas à l’école ». Rain l’interrompit, laissant les mots d’Hallo se perdre dans l’air alors que son visage se transformait radicalement en un visage sombre. Le jeune garçon soupira. « Nous n’avons pas d’argent. Tu envoies déjà le peu que tu gagnes à père et à mère. Alors concentre-toi sur l’utilisation du reste pour le loyer et la nourriture. L’école coûte cher, je n’ai pas besoin de te le répéter. »

Hallo se frappa les lèvres en se pinçant les yeux et s’adossa à sa chaise. « Mes revenus nous placent dans la classe moyenne, tu sais ? » Il retourna son regard vers sa porte, le posant sur la silhouette qui y brandissait une lanterne.

« La partie inférieure de la classe moyenne », répliqua Rain, les yeux plissés en fentes. Il n’avait plus l’expression d’un enfant. « Je ne sais pas ce qui t’a fait croire que le simple fait de devenir chasseur de primes nous donnerait assez d’argent pour devenir nobles. Et si tu étais mort en prenant cet élixir ? »

Hallo haussa les épaules d’un air insouciant. « Eh bien, je suis vivant et je gagne ma vie, n’est-ce pas ? »

Rain secoua la tête en expirant. « On ne peut pas te raisonner, n’est-ce pas ? » Il se retourna, prêt à prendre congé.

« Accepte d’aller à l’école. Je m’en occuperai. Je te le promets. » Hallo laissa tomber sa tête en arrière sur la barre supérieure de sa chaise, regardant toujours son frère. « Ne t’inquiète pas pour papa et maman, leurs factures ne sont pas si élevées que ça. Uduak n’est pas trop cher. Les loyers seront toujours réglés, et la nourriture aussi. La chasse aux primes me rapporte toujours de l’argent. »

« Tu crois que je suis si peu éduqué ? » Uduak est littéralement la ville la plus chère de Fitzroy, à part la capitale. La facture d’eau dans ce désert est cinq fois plus élevée que celle que nous payons ici, et l’eau s’assèche bien plus vite. En quoi est-ce que ce n’est pas cher ? » Rain rugit. « Tu es un Ascendant de l’Échelon 7, imbécile. Tu ne le vois pas ? Il n’y a pas beaucoup d’emplois pour ton statut. Oui, les emplois que tu obtiens rapportent une grosse somme, mais combien de fois en obtiens-tu un ? Les boulots pour les Nouveau-Nés que tu acceptes de temps en temps ne suffisent pas à couvrir nos dépenses, et si tu ajoutes mes frais de scolarité et tout le reste à nos dépenses, alors… Nous sommes très bien comme ça. De toute façon, je vais à la bibliothèque de prêt gratuit. C’est comme si je faisais l’école à la maison. »

« C’est absurde. » Hallo s’avance d’un bond. Il ne l’entendait pas de cette oreille. « Même les enfants de la classe ouvrière vont à l’école, certains enfants de paysans aussi, pourquoi pas toi ? Et en tant que frère aîné, je suis censé te laisser tranquille ? Tu veux faire la même chose que moi ? Incapable d’obtenir un emploi raisonnable parce que je n’ai pas fait d’études ? Reprends-toi, Rain. Va à l’école, étudie avec de vrais maîtres et maîtresses d’école, et deviens médecin, avocat, ingénieur, n’importe quoi. Tu pourrais même travailler dans une banque, devenir un haut fonctionnaire ; il y a beaucoup d’options si tu t’entêtes à aller à l’école ».

Rain est resté silencieux pendant quelques secondes, puis a finalement dit : « Juste… Viens prendre ton dîner. » Et sur ces mots, il quitta la pièce, laissant Hallo une fois de plus dans son obscurité paisible, sauf que ce n’était plus le cas.

Sentant une raideur dans son cou, Hallo reporta ses yeux sur les papiers exposés sur sa table, chacun rempli de mots qui constituaient des indices, des références et des recherches sur son travail actuel.

Quelques instants plus tard, il sépara de la pile un seul morceau de papier contenant des notes détaillées et marmonna : « Elmer Hills ». Il a ensuite choisi un autre morceau, celui-ci contenant une phrase unique : « La mort ne frappe qu’une fois… »

Il pousse ensuite un soupir et tomba à la renverse sur sa chaise. « Quatre morts depuis novembre. Le mode opératoire est l’explosion de la tête des victimes, et chacune d’entre elles a commis un crime pas moins d’une semaine avant sa mort. Hmph… Il utilise ses capacités pour gagner de l’argent en tuant. Typique d’un corrompu. »

Hallo gratta ses cheveux noirs ébouriffés sous l’effet d’une légère frustration qui s’insinuait sur sa peau.

« Si seulement ils parlaient. » Ses paroles s’adressaient à ceux qui, selon lui, avaient employé Elmer Hills.

Il avait utilisé l’aide de la police, grâce à sa licence, pour trouver des informations sur les crimes que les agresseurs assassinés avaient commis, et sur leurs victimes. Il a ensuite essayé de contacter toutes ces victimes, la dernière étant Elia Brentford, une jeune femme qui avait été mixeuse à la chocolaterie Egor, aujourd’hui fermée. Mais comme les autres, elle l’avait chassé en maudissant la loi de l’avoir négligée, et en cherchant maintenant son aide pour réprimander la seule personne qui lui était venue en aide.

Hallo se pinça les yeux et expira.

Même si tous les résultats de ses recherches personnelles n’étaient que des spéculations, il était tout à fait sûr de chacun d’entre eux. Le seul problème était qu’Elmer Hills avait parfaitement couvert ses traces et qu’il était presque impossible de le joindre.

Il avait essayé d’utiliser le formulaire de licence qu’Elmer, le corrompu, avait autrefois possédé pour effectuer une divination, mais il rencontrait toujours des interférences, peu importe le nombre de fois qu’il essayait. C’était toujours comme si une force surnaturelle l’empêchait d’accéder à l’endroit où se trouvait le corrompu, mais il avait l’impression que c’était une longue distance.

Les seuls êtres qu’il connaissait qui pouvaient perturber quelque chose d’aussi extra-terrestre que la divination n’étaient autres que les dieux eux-mêmes.

Il était impossible qu’un Dieu soutienne Elmer Hills, un meurtrier. Il était impossible qu’un corrompu soit de mèche avec un être surnaturel bien au-dessus des forces des simples Ascendants.

Mais Hallo ne pouvait se défaire de ce raisonnement. Il apportait une explication à la plupart des événements qui s’étaient produits après tout. Comment Elmer avait pu devenir un Ascendant sans passer par le collège de l’Église, contourner les yeux aiguisés d’un employé du bureau de l’Oeil Brillant même après avoir falsifié son sceau de certification, et enfin, tuer un corrompu de haut niveau et deux Échelon Inférieurs à lui tout seul en une nuit.

Ce dernier point était un exploit qu’un Nouveau-Nés sans sa capacité unique débloquée n’aurait pas dû être capable de réaliser. C’était un exploit digne de quelqu’un qui avait l’étoffe d’une légende.

Et même si Hallo ne parvenait pas à comprendre comment une alliance aussi improbable entre un corrompu et un bénévole avait pu être possible, il se décidait peu à peu à s’y accrocher pour garder la raison.

Il réfléchit un instant puis secoua la tête.

Il est impossible que ce Dieu soit Chronos… Il n’y a aucune chance qu’il garde un tueur de ses croyants en sécurité… Je dois me débarrasser de ce parasite dans la Voie du Temps…

À ce stade, Hallo savait qu’il ne lui restait qu’une seule option. Il devait rendre visite à Katherine Smyth au collège de l’Église.

C’était aller à l’encontre de la règle de celle-ci qui stipulait que les affaires impliquant des Ascendants ne devaient jamais être exposées à un humain normal, surtout s’il s’agissait d’une victime directe ou indirecte. Il fallait les laisser dans l’ombre pour ne pas les pousser à toucher au surnaturel.

Cette règle permettait de maintenir la stabilité de la société. Et cette même règle avait empêché Katherine Smyth de connaître le meurtrier de sa mère.

Hallo était sur le point de faire bouger les choses. C’était le seul moyen pour lui de comprendre tout cela et d’obtenir le prix à payer pour réprimander le corrompu qu’était Elmer Hills.

En plus de débarrasser le monde d’un fou, il avait besoin des dix mille mints accordés par l’Église pour ce travail. La vie de Rain s’en trouverait grandement améliorée.

« Dimanche, je lui rendrai visite. Je n’hésiterai plus. »