5663-chapitre-1771
Chapitre 1771 – Lever de Rideau
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Une loge privée était réservée à Nephis et Sunny. Ils y furent guidés par un jeune machiniste, qui luttait visiblement pour maintenir le décorum tout en débordant d’excitation. Ce n’était pas tous les jours qu’Étoile Changeante du clan de la Flamme Immortelle se rendait dans un théâtre ! En fait, Sunny était presque sûr qu’elle n’avait jamais participé à ce genre d’activités sociales auparavant.
Il y aurait une plaque fraîchement embossée clouée dans le hall d’entrée du théâtre d’ici demain, à n’en pas douter. Quelque chose comme « Cet humble établissement a bénéficié du patronage des étoiles les plus brillantes » ou « Nous sommes fiers d’avoir accueilli Son Altesse Royale, Sainte Nephis de la Flamme Immortelle ».
Une chose aussi simple suffisait à doubler le prestige du théâtre.
Je me demande si cet endroit n’est pas secrètement sponsorisé par Cassie.
La loge était luxueusement meublée, sombre et surélevée par rapport à l’auditorium, suffisamment pour que personne ne puisse voir ce qui se passait à l’intérieur.
Sunny se sentit frustré par le fait que son cœur s’emballait presque.
Le rideau n’avait pas encore été levé, et le public se remplissait de chuchotements excités. Il fut distrait un instant lorsque Nephis s’assit près de lui, leurs épaules se touchant quasiment.
Cette loge privée est un peu exiguë, non ?
Il n’y avait rien à faire.
Il resta silencieux un instant, et demanda d’un ton neutre :
« Au fait, à quelle pièce assistons-nous ? »
Nephis le regarda avec une pointe de surprise.
« Vous ne savez pas ? »
Sunny secoua la tête.
« J’ai bien peur que non. »
Elle semblait un peu gênée, pour une raison ou pour une autre.
Nephis hésita un moment, puis toussa maladroitement.
« …En fait, je ne sais pas non plus. Cassie… Sainte Cassia s’en est chargée. J’ai supposé que vous auriez été informé. »
Sunny gloussa.
« Eh bien, ce sera une surprise alors. Qui sait, nous pourrions y prendre beaucoup de plaisir. »
En fait, il ne se souciait pas vraiment du contenu de la pièce. Il doutait de pouvoir se concentrer sur les acteurs, de toute façon, étant donné que Nephis était si proche de lui, dans l’obscurité.
Rapidement, les lumières s’éteignirent et les rideaux furent lentement tirés. Le public retenait son souffle.
Au même moment, le sourire de Sunny se figea sur ses lèvres.
En fait, il avait complètement arrêté de respirer.
Son expression s’effrita lentement, et il réprima à peine un gémissement tourmenté.
Car c’est à ce moment précis qu’il vit le titre de la pièce au-dessus des décorations. Sur un fond sombre, plusieurs mots étaient écrits d’une manière volontairement désordonnée…
[Le Diable de l’Antarctique.]
Oh, non !
***
Sur la scène, les décorations étaient réparties en deux endroits distincts. Sur l’un, un bateau militaire voguait sur une mer glacée. De l’autre, de hauts sommets montagneux surplombaient une falaise enneigée.
Sunny tenta de s’enfoncer dans son fauteuil, levant une main tremblante pour se couvrir le visage. Il ne se souciait même pas de savoir si Nephis remarquerait son comportement étrange. Il voulait juste disparaître et être quelque part — n’importe où ! — l’instant d’après.
Je suis foutu !
Une actrice portant une armure noire se tenait sur la falaise enneigée, regardant le public d’un air sombre. Le design de l’armure était plutôt austère, mais parvenait à accentuer chaque courbe de son corps plutôt… distingué. Ses cheveux blonds bougeaient légèrement dans le vent artificiel, et ses yeux bleu vif étaient empreints d’une grande détermination.
Le bateau militaire, quant à lui, contenait sept soldats portant l’uniforme de la Première Armée d’Évacuation. Leur chef se tenait à la proue, regardant devant lui avec une expression stoïque sur son visage buriné. Il mesurait près de deux mètres et possédait une carrure formidable, d’une virilité à toute épreuve. Le maquillage le rendait extrêmement pâle et il semblait porter une perruque noire.
Sunny prit une respiration tremblante.
…Ces bâtards !
L’actrice distinguée et l’homme à la mâchoire carrée étaient censés s’inspirer de lui. Il pouvait accepter l’homme rustre… mais la beauté bien proportionnée ?! Vraiment ?!
C’est pourquoi il avait évité à tout prix de regarder la version cinématographique.
Mais maintenant, Sunny n’avait pas d’autre choix que de regarder.
Il se tortilla en silence.
À ce moment-là, l’un des soldats dit à ses camarades sur le bateau :
« Pourquoi êtes-vous si tristes, camarades ? Courage ! Nous approchons de l’Antarctique. Les Créatures du Cauchemar n’ont aucune chance face aux soldats héroïques de l’Armée d’Évacuation ! »
Immédiatement, le chef le coupa d’un regard acéré et se moqua.
« Bonne attitude, soldat ! Cependant, le message est erroné. Ne sous-estimez pas l’ennemi. Les héros ne gagneront pas cette guerre… alors, n’essayez pas d’être un héros. »
Il afficha un sourire noir et ajouta d’une voix enrouée, sa voix rauque captant facilement l’auditoire :
« …Soyez un monstre ! Soyez un démon. C’est ainsi que vous survivrez. »
Sunny frissonna, sachant qu’il allait vivre deux heures très, très longues.
La pièce suivait deux Ascendants. L’un d’eux était un antihéros connu seulement sous le nom de Capitaine, qui menait un convoi de réfugiés dans un voyage tumultueux à travers le Centre de l’Antarctique. Il possédait un charme diabolique et une personnalité cynique, mais faisait preuve d’une quantité surprenante de courage et de détermination, cachant un cœur compatissant sous la façade narquoise d’un fataliste désabusé.
L’autre était une mystérieuse guerrière qui avait rejoint l’armée au début de la campagne et qui faisait preuve d’une puissance stupéfiante et d’un courage indomptable. Elle était distante, mais noble et désintéressée, brisant le cours de plusieurs batailles terribles tout en refusant de dire quoi que ce soit au sujet de ses origines et de son allégeance.
Tous deux furent rapidement surnommés respectivement le Diable de l’Antarctique et son Ange Gardien. Leurs chemins se croisèrent au milieu de la pièce, lors du tragique siège de Falcon Scott, où une timide idylle s’épanouit entre eux dans le sombre décor de la guerre.
Sunny n’avait aucune expression pendant qu’il regardait la pièce.
Non, mais… comment ça peut avoir un sens ? Est-ce que je suis en train d’avoir une romance avec moi-même ?
Il était trop gêné pour regarder Nephis, qui regardait droit devant elle.
Ah, je veux mourir…
La production était excellente et les acteurs étaient très talentueux. L’histoire n’était pas si insipide que ça, même si elle déformait la plupart des faits pour correspondre à la narration présentée par la machine de propagande gouvernementale de l’époque. Le problème, justement… était que Sunny avait assisté aux événements !
Et il n’avait certainement pas l’habitude de lancer constamment des répliques pleines d’esprit, de partager des joyaux de sagesse blasée avec les soldats admiratifs, et de regarder au loin toutes les deux minutes avec un air mélancolique !
Le pire, c’est qu’il pensait que la pièce serait un succès.
Une horreur !
Et moi qui me réjouissais qu’il n’y ait pas de services de streaming vidéo dans le Royaume des Rêves !
Ressentant une forte envie de manifester une nuée d’ombres et de faire effondrer le toit du théâtre, il jeta un coup d’œil furtif à Nephis.
Par coïncidence, elle le regardait également à ce moment-là.
C’est alors que le premier acte se termina et que les lumières s’allumèrent.
Nephis inclina légèrement la tête et demanda d’un ton neutre :
« Comment trouvez-vous la pièce, Maître Sunless ? »
Sunny se força à sourire.
C’était l’une des choses les plus difficiles qu’il ait faites dans sa vie… et il avait déjà remis sa tête en place après avoir été décapité une fois !
Il s’attarda quelques instants, puis dit d’un ton plat :
« …C’est bien réalisé. Mais je ne suis pas fan. »
Nephis gloussa, puis soupira.
« Je suis désolée. Je ne sais pas à quoi Cassie pensait… vous avez participé à la Campagne du Sud vous aussi. Ce doit être désagréable de voir sur scène une version censurée de la calamité que vous avez vécue. »
Elle regarda le rideau et secoua la tête.
« J’ai entendu dire que le Capitaine était basé sur une personne réelle. J’étais dans l’Antarctique de l’Est, donc je n’en sais rien. Il devait être un sacré personnage. »
Sunny ne répondit pas.
C’est un sacré personnage, en effet…
Ils passèrent l’entracte dans un silence gênant. Sunny réfléchissait à un moyen de convaincre Nephis de partir, mais malheureusement, il n’en trouvait aucun. Surtout en raison de son statut… une personne ordinaire pouvait s’éclipser au milieu d’une pièce, mais si Étoile Changeante le faisait, le théâtre ferait faillite dès le lendemain. Tel était le pouvoir de sa glorieuse renommée.
Finalement, le deuxième acte commença.
C’est alors que Nephis dit calmement, sans détourner le regard de la scène.
« Nous sommes observés. »
Sunny haussa les sourcils. Il gardait généralement son sens de l’ombre sous contrôle à Bastion, il ne pouvait donc pas savoir.
« Qui pourrait bien nous observer ? »
Elle soupira.
« Vous n’avez pas à vous inquiéter. Ce n’est rien de grave… quelqu’un est probablement suspicieux et veut confirmer la nature de notre relation. »
Il se détendit.
« Oh. »
Elle venait de survivre à une tentative d’assassinat et le monde entier était en ébullition. Il n’y avait pas d’émeutes dans les rues, mais les tensions étaient vives. Si quelque chose arrivait à Nephis entre-temps… il craignait que tout n’explose.
Alors, même s’il était désagréable de savoir que quelqu’un les espionnait, Sunny se sentit soulagé.
Mais pas pour longtemps. Car le deuxième acte venait de commencer.
Sur la scène, Falcon Scott était tombé, et le Diable avait été séparé de l’Ange lors de l’évacuation, emporté inconscient sur le dernier navire. L’Ange était présumé mort au cours du siège.
La seconde partie de l’histoire se déroulait en Antarctique de l’Est, où les forces envoyées par les clans d’Héritier permettaient d’endiguer la vague de Créatures du Cauchemar. Le Capitaine, accablé par le chagrin et le cœur brisé, passa d’un regard au loin toutes les deux minutes à un regard toutes les trente secondes environ. La fréquence de ses remarques sardoniques avait diminué, mais son attitude générale n’avait fait que devenir plus odieuse.
Sunny était de mauvaise humeur et grinçait des dents.
…C’est alors que Nephis leva une main et lui passa fermement son bras autour de la tête, l’attirant plus près dans l’obscurité.
Il se figea.
Que… que fait-elle ?
« Pardonnez-moi, Maître Sunless. Nous devons jouer notre rôle, nous aussi. »
Elle était terriblement proche.
Sunny cligna des yeux plusieurs fois.
Puis, un petit sourire se dessina lentement sur son visage.
« Ah, oui. Je suppose qu’il n’y a rien à faire. »
Il posa sa tête sur son épaule dans un geste intime.
Quiconque les observait devait pouvoir confirmer la nature de leur relation à partir de cette scène. Que pouvait-il faire ? Il n’avait pas le choix… il devait coopérer sérieusement.
Confortablement installé dans l’étreinte de Nephis, Sunny sourit de satisfaction.
Je dois admettre que…
La deuxième partie de la pièce était bien meilleure que la première.
En fait, elle n’était pas mal du tout.
Le metteur en scène savait vraiment ce qu’il faisait !