Chapitre 1587 – Porte des Rêves

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Sunny resta immobile quelques instants, fixant la silhouette lointaine vêtue d’une cape d’un vermillon éclatant.

Les nuages qui voilaient le ciel n’étaient pas des nuages, mais une myriade d’épées volantes. L’homme qui se tenait sur le mur en ruine de la capitale de siège n’était pas un simple mortel, mais un Souverain.

L’un des trois humains Suprêmes existants…

Anvil de Valor, le Roi des Épées.

Le Souverain affrontait un Titan Supérieur. Sunny avait reconnu cette créature terrifiante lors de la Bataille du Crâne Noir, où elle avait décimé les armées de Valor et de Song. Le Titan était immense et abominable, sa puissance inconcevable…

Mais le Roi des Épées n’était pas moins terrifiant.

Il ressemblait plus à une force de la nature qu’à un être humain, un cataclysme ambulant qui ne tolérait aucun défi. Là où se tenait Anvil, sa volonté faisait loi. Là où son épée pointait, se trouvait son royaume.

Et à l’intérieur des frontières de son royaume, son autorité était absolue.

Quiconque osait désobéir serait anéanti par un déluge d’épées meurtrières.

Sunny prit une inspiration étouffée.

C’est… c’est de la folie.

C’est contre cela que Nephis voulait se battre ?

Il secoua lentement la tête et se força à détourner le regard du spectacle impressionnant de la pluie d’épées. Si chacune d’entre elles était imprégnée de la puissance d’un être Suprême… alors Anvil était bien plus puissant que Sunny ne l’avait jamais imaginé.

Si l’on considère qu’il contrôlait sans effort suffisamment d’épées pour couvrir le ciel tout entier, l’entièreté de la capitale de siège pourrait être détruite par le tyrannique Souverain en quelques secondes. Personne dans le monde réel n’était assez fort pour l’arrêter.

Enfin… sauf les deux autres. Ki Song et Asterion.

Sont-ils ici, en Antarctique ?

Sunny s’interrogea. La Reine des Vers devait être descendue, elle aussi. Quant au plus mystérieux des Souverains, qui le savait ? Ses voies étaient impénétrables.

Finalement, son regard se posa sur la Porte titanesque.

Une Porte du Cauchemar… non, pas tout à fait.

Une Porte des Rêves.

Un déclic se produisit dans son esprit, et les yeux de Sunny s’écarquillèrent légèrement.

Bien sûr. C’est logique…

Sunny se méfiait des Souverains depuis de nombreuses années, mais il ne savait pas grand-chose d’eux — ni de leur pouvoir. Qu’est-ce que cela signifiait, exactement, que d’être Suprême ? Il avait appris que les Souverains possédaient une capacité unique à créer, gouverner et étendre leurs Domaines. Mais même cette information restait vague et superficielle.

Cependant, ce n’était pas ce à quoi Sunny pensait en ce moment.

Il pensait plutôt à une caractéristique plus subtile des porteurs du Sortilège du Cauchemar.

Les Éveillés se rendaient dans le Royaume des Rêves lorsqu’ils dormaient. Les Maîtres pouvaient y entrer à volonté et physiquement, en laissant une attache derrière eux. Les Saints étaient comme des passerelles miniatures, capables d’aller et venir entre les deux mondes à leur guise, et même de transporter des gens avec eux.

Qu’en était-il des Souverains ? Comment cette facette de leur pouvoir évoluait-elle lorsqu’ils accédaient au Rang Suprême ?

Ne serait-il pas raisonnable de supposer que leur pouvoir s’inscrirait dans la continuité de celui que possèdent tous les Saints ? Qu’ils ne se contenteraient pas de contenir un portail en eux-mêmes, mais qu’ils seraient capables de créer un pont externe stable entre les deux mondes ?

Le contraire d’une Porte du Cauchemar. Ces dernières permettaient aux abominations de quitter le Royaume des Rêves et d’entrer dans le monde réel. Une Porte des Rêves permettrait donc aux êtres vivants d’entrer dans le Royaume des Rêves de ce côté-ci.

…Il évacue les civils.

En effet, c’était ce que faisait le Roi des Épées. L’Armée d’Évacuation avait passé près d’un an à transporter des réfugiés à travers l’effroyable étendue de l’océan vers d’autres Quadrants. Le processus était lent — après tout, les alliances maritimes ne pouvaient accueillir qu’un nombre limité de personnes, et il leur fallait plus d’un mois pour faire un aller-retour.

Sans parler des dangers auxquels les convois navals étaient confrontés en mer.

Le gouvernement avait évacué autant de réfugiés qu’il le pouvait, et l’opération se serait probablement soldée par un semblant de succès… sans les trois Portes de Catégorie Quatre qui s’étaient ouvertes lors de la Bataille du Crâne Noir. Avec les Créatures du Cauchemar qui parcouraient l’Antarctique de l’Est, il n’y avait plus aucun espoir de survie — la population civile, l’Armée d’Évacuation, les petits contingents d’Éveillés des Grands Clans… tous étaient destinés à mourir.

L’Antarctique de l’Est aurait fini de la même manière que le Centre de l’Antarctique, tous ceux qui n’avaient pas été évacués ayant péri dans le déluge d’abominations.

C’est ainsi que les deux Souverains durent descendre, retenant les horreurs Supérieures et ouvrant une nouvelle voie, bien plus efficace, vers le salut. Les Portes des Rêves.

Peut-être était-ce parce qu’ils ne pouvaient pas laisser mourir leurs enfants — Morgan, Seishan, Maîtresse des Bêtes et Traqueuse Silencieuse.

Peut-être était-ce parce que Mordret avait raison et que les Souverains ne pouvaient pas abandonner l’humanité aussi facilement. Le nouveau monde qu’ils construisaient dans le Royaume des Rêves devait être peuplé par quelqu’un, après tout, et des centaines de millions de réfugiés qui n’avaient nulle part où aller étaient le carburant parfait pour renforcer leurs domaines et produire davantage d’Éveillés.

Quoi qu’il en soit, le voici.

Le salut de l’Antarctique.

Sunny se sentit à la fois incroyablement soulagé et incroyablement amer en regardant l’imposante Porte des Rêves. Soulagé parce que ses pires craintes ne s’étaient pas réalisées, et que sa mission… la mission de l’Armée d’Évacuation… n’était pas vouée à l’échec. Tous les sacrifices que lui et ses soldats avaient faits n’étaient pas vains.

En même temps, il se sentait incroyablement amer car ce salut inattendu venait de ceux qu’il méprisait le plus — les Grands Clans, dont l’indifférence prétentieuse avait créé cette terrible situation, en premier lieu.

Si seulement ils avaient agi plus tôt… si seulement ils n’avaient pas perdu autant de temps à se battre secrètement les uns contre les autres au lieu d’empêcher la Chaîne des Cauchemars de faire d’innombrables victimes.

Il voyait déjà la puissante machine de propagande tourner, enterrant la vérité dans la clameur des fanfares triomphantes. Regardez les nobles héros des Clans d’Héritier, qui s’étaient portés à la rescousse du Quadrant Sud dans les moments les plus sombres ! Comme l’ont toujours fait ces fidèles gardiens de l’humanité.

En y réfléchissant, les Souverains avaient finalement choisi de révéler leur existence. Cela donnerait aussi lieu à une histoire digne de ce nom, sans aucun doute. Probablement quelque chose sur les champions des deux grands clans se précipitant pour conquérir le Quatrième Cauchemar afin d’aider le peuple de l’Antarctique. Cela expliquerait aussi pourquoi ils avaient été si en retard pour offrir un véritable soutien.

Ils n’étaient pas du tout en retard, mais risquaient leur vie dans un Cauchemar.

Une expression sombre apparut sur le visage de Sunny.

Ah. Je déteste ça.

Mais en même temps, il ne pouvait pas les détester. Tant que des gens étaient sauvés, l’hypocrisie des Souverains avait-elle vraiment de l’importance ?

Bien sûr, il se posait encore beaucoup de questions. Tous ces réfugiés seraient-ils infectés par le Sortilège du Cauchemar dès qu’ils y entreraient ? Quelles étaient les limites qui empêchaient les Souverains d’entrer dans le monde réel, et comment avaient-ils contourné ces limites pour apparaître en Antarctique ?

Comment le monde allait-il changer maintenant que l’existence des Souverains avait été révélée et que des millions de personnes ordinaires étaient entrées dans le Royaume des Rêves ?

Et ainsi de suite.

Eh bien… il pouvait prendre son temps pour trouver les réponses à toutes ces questions.

Pour l’instant, la situation ne semblait pas critique. Avec Anvil qui tenait le fort, la capitale de siège n’était pas sur le point d’être détruite. À en juger par l’ordre dans lequel les soldats et les civils se déplaçaient, la situation était sous contrôle, ou du moins pas critique. La première priorité de Sunny était donc de retrouver les membres de la cohorte.

Puisqu’il avait été renvoyé à l’endroit où son attache avait été placée dans le monde réel, les autres devaient l’être aussi. Cela signifiait que Mordret et Jet avaient été envoyés dans la capitale de siège contrôlée par Song, tandis qu’Effie et Kai avaient été envoyés au quartier général de l’Armée d’Évacuation.

Nephis et Cassie, quant à elles, étaient censées être ici même. Probablement quelque part dans les mêmes ruines que celles d’où il venait de sortir.

Prenant une profonde inspiration, Sunny regarda autour de lui, étudiant le cratère.

C’est alors qu’il fut projeté au sol, et qu’une explosion massive oblitéra le centre du cratère.