Chapitre 1537 – Dernier Testament

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Finalement, la cohorte atteignit l’île-navire familière qui portait un magnifique palais de pierre blanche — le Temple de Dusk. Sunny avait passé suffisamment de temps sous son toit pour ressentir une pointe de nostalgie à sa vue. C’est là que Nephis et lui s’étaient sentis à la fois optimistes et méfiants avant leur première rencontre avec la mythique sybille de Grâce Déchue, mais ils avaient rencontré Cassie à la place.

Les deux gardes de la jeune aveugle les attendaient à l’entrée du temple. Contrairement aux autres citoyens, ils n’avaient pas radicalement changé. Ils avaient l’air beaucoup plus jeunes, certes, mais ils étaient toujours matures et taciturnes. Leurs visages calmes ne trahissaient aucune émotion lorsqu’ils s’inclinèrent profondément devant Cassie, mais il pouvait sentir la profonde attention et la révérence dans leurs regards.

Malgré cela, les deux guerriers aguerris brandissaient les symboles macabres de leur devoir de protéger leur dame de tout danger, mais aussi de protéger la cité de la dame, si besoin était. La femme brandissait une épée non dégainée, tandis que l’homme tenait une corde de soie cramoisie.

Cassie les salua chaleureusement, sans prêter attention aux outils qu’ils étaient prêts à utiliser pour mettre fin à sa vie.

Après quoi, la cohorte fut conduite dans une salle où un festin avait déjà été préparé. Les chefs des différentes forces de la cité y étaient rassemblés, attendant de rencontrer leur souveraine de retour — et les champions qu’elle avait ramenés de son voyage.

Les heures qui suivirent furent un peu ennuyeuses pour Sunny. Il apprécia la nourriture et les boissons tout en écoutant silencieusement les conversations.

Ils avaient quitté Grâce Déchue depuis un peu moins de huit mois. Ils avaient passé environ un mois à atteindre l’Île d’Aletheia, trois ou quatre à s’en échapper, un de plus à atteindre Crépuscule, et les deux derniers mois à revenir.

Pendant ce temps, la ville avait migré vers l’aval après avoir reçu la nouvelle de l’élimination de la sybille Souillée et de ses sbires Noyés. Il n’y avait pas eu d’attaques majeures sur Grâce Déchue depuis, bien que les guerriers Éveillés restés pour la protéger — et quelques Maîtres aussi, y compris les deux gardes sourds — avaient combattu de nombreuses Créatures du Cauchemar errantes.

Heureusement, il s’agissait d’abominations sauvages, et non de groupes de guerre des Souillés. Les défenseurs de la cité avaient pu tuer ou chasser les monstres sans les laisser endommager les îles-navires.

Grâce Déchue se portait en effet beaucoup mieux que lorsque Sunny et Nephis l’avaient atteinte pour la première fois. C’était déjà évident après leur marche vers le temple, simplement à cause de toute l’activité et des travaux de réparation qu’ils avaient remarqués dans les rues. La cité se sentait… revigorée. Les rapports des dirigeants de la cité ne faisaient que confirmer ce qu’ils savaient déjà.

Cassie semblait satisfaite d’apprendre que Grâce Déchue, dont elle s’était occupée en solitaire pendant toute une année, se portait bien. Un rare sourire éclatant se dessina sur son visage, rappelant à Sunny à quel point la jeune aveugle avait été sincère et douce autrefois… il y a bien longtemps.

À son tour, elle partagea l’histoire de leur voyage — une version quelque peu simplifiée et embellie, du moins — avec les dirigeants de Grâce Déchue.

Puis vint la partie de la conversation que ces personnes attendaient avec impatience. Sans perdre de temps, Cassie annonça qu’elle repartirait bientôt. Cette fois, pour mener le groupe d’Étrangers qu’elle avait rassemblé pour attaquer Verge et débarrasser le Grand Fleuve de la malédiction de la Souillure une bonne fois pour toutes.

Les personnes rassemblées dans la salle semblaient stupéfaites d’entendre cela. Non seulement ils avaient du mal à concevoir qu’une telle chose soit possible, mais ils étaient également surpris et le cœur brisé d’apprendre que leur dame allait partir quelques jours à peine après être rentrée chez elle après un long et pénible voyage.

Mais il n’y avait pas d’autre solution. La cohorte était déterminée à ne passer à Grâce Déchue que le temps nécessaire pour effectuer des réparations légères sur le Briseur de Chaînes — une semaine, tout au plus.

Il n’y avait aucune raison de rester plus longtemps. Cela ne ferait que donner à la Tourmenteuse — qui était elle-même une puissante voyante — plus de temps pour préparer leur arrivée.

Plus que cela, ils étaient pressés par le temps.

La grossesse d’Effie touchait à sa fin. Elle en était déjà à huit mois… s’ils s’attardaient à Grâce Déchue, son enfant pourrait naître sur le chemin de Verge.

Personne ne savait si l’enfant conçu dans le monde réel deviendrait un Né du Fleuve ou non, alors ils ne voulaient pas prendre ce risque.

“Je vois que vous êtes inquiets.”

La voix de Cassie était douce lorsqu’elle s’adressa à son peuple.

“Et bien que vous le cachiez parfaitement, vous avez également peur qu’après mon départ, vous ne me revoyiez plus jamais. Que ce soit notre dernier adieu.”

Elle sourit doucement.

“…Vous pourriez très bien avoir raison. Je ne reviendrai peut-être jamais.”

Ses paroles provoquèrent un silence de mort dans la salle. Les habitants de Grâce Déchue regardaient leur sybille avec des expressions compliquées, une tempête d’émotions se déchaînant dans leurs yeux.

Sunny réprima l’envie de soupirer.

Il était vrai que Cassie ne reviendrait jamais. Qu’ils vivent ou qu’ils meurent, elle ne reverrait jamais ces gens — parce que la victoire à Verge signifiait la fin du Cauchemar. Une fois le Premier Chercheur anéanti, la cohorte retournerait dans le monde réel.

Et les habitants du Cauchemar… en fait, Sunny ne savait pas ce qu’il adviendrait d’eux. Peut-être cesseraient-ils d’exister au moment où le Sortilège annoncerait son évaluation.

Cassie secoua légèrement la tête.

“Mais ce n’est pas grave. Même si je ne reviens pas, Grâce Déchue continuera d’exister. Mes sœurs et moi l’avons protégée pendant longtemps… mais rien n’est éternel dans ce monde. Un jour viendra où il n’y aura plus de sybilles dans le Tombeau d’Ariel. Un jour viendra où il n’y aura également plus d’Étrangers. Seul le Peuple du Fleuve subsistera. C’est vous. Vous devez porter le flambeau de l’humanité dans le futur, avec ou sans moi. Vous devez persévérer, endurer… et prospérer.”

Elle marqua une pause, puis ajouta, d’une voix de plus en plus dure :

“C’est ce que j’attends de vous tous. Ne me décevez pas.”

En entendant ces mots, les Nés du Fleuve rassemblés dans le temple baissèrent les yeux, l’air solennel.

Sunny soupira.

Le Sortilège était une chose cruelle, en effet. Il les plongeait dans des Cauchemars et les chargeait de changer le destin. Mais ce qu’ils s’efforçaient de changer n’était qu’une illusion.

Il aurait été formidable qu’ils se trouvent dans le véritable Tombeau d’Ariel et qu’ils changent la vie de vraies personnes.

Mais, malheureusement, le temps — et le destin — ne fonctionnaient pas de cette façon.

Ce qui s’était passé était gravé dans le marbre et ne pouvait être changé.

Ni par des mortels comme eux, ni dans un Cauchemar.

…Ou, du moins, pas dans un Troisième Cauchemar.