Chapitre 1392 – Désolation

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Après que l’île se soit brisée, il ne fallut pas beaucoup de temps pour que les débris disparaissent dans les profondeurs du Grand Fleuve. Sunny, Nephis et Cassie se tenaient sur le pont du Briseur de Chaînes, observant les affres de la mort de cette partie perdue de Grâce Déchue dans un sombre silence.

L’eau qui coulait bouillonnait et se transformait en écume blanche. Les restes cendrés du jardin noir étaient entraînés par le courant et engloutis dans les profondeurs. En un temps qui parut trop court, la surface du fleuve redevint calme et limpide, sans qu’il ne reste le moindre signe de l’énorme île-navire en vue.

Sunny soupira doucement.

La destruction de l’île artificielle avait été une scène trop déprimante. C’était comme une métaphore de la futilité de l’existence humaine… un grand nombre du Peuple du Fleuve avaient travaillé dur pour la créer et l’entretenir, et plus encore avaient passé leur vie à marcher sur son sol. Mais maintenant, elle avait disparu, engloutie par les éléments en quelques minutes. Toute trace de son existence avait été effacée.

Weave allait être effacé de la même manière d’ici peu. Les cités des sybilles avaient déjà disparu… il ne restait plus que Grâce Déchue, dont le sort était déjà tout tracé. Le Tombeau d’Ariel avait abrité une civilisation florissante…

Mais maintenant, ce n’était plus qu’un Cauchemar. Sunny secoua la tête, la mine déconfite. Les villes du monde réel allaient-elles disparaître un jour, elles aussi ? Il ne savait même pas qu’il existait un monde en dehors de l’étendue sans fin de CSQN. Il était difficile d’imaginer qu’un endroit aussi peuplé et sans limites puisse cesser d’exister.

…Mais encore une fois, le monde réel était déjà un monde de ruines. De nombreuses villes prospères avaient été effacées de ses cartes — la plupart d’entre elles, même. Des continents entiers étaient désolés, dépourvus de vie et inhabités. Il avait même été témoin de l’extinction d’un de ces continents.

Je suis d’humeur changeante aujourd’hui.

Qu’y avait-il de mal à se sentir triste ? Cette île n’était rien à côté du repaire d’une dangereuse abomination. Ils étaient arrivés sur le rivage, avaient tué l’abomination et s’étaient enfuis avec un précieux trésor. Cassie avait même reçu un joli bâton en prime.

Il devrait se sentir comblé.

Cependant, Sunny se sentait surtout fatigué et endolori. La bataille contre les Noyés avait été courte, mais néanmoins très intense. Il était meurtri et contusionné, mais pas gravement blessé.

“Parti ! Parti !”

Sunny se retourna et jeta un coup d’œil à Crow Crow, qui sautillait avec excitation sur la rambarde et fixait l’espace vide où se trouvait l’île avec une expression curieuse. Le petit oiseau n’était pas accablé par de lourdes pensées. En fait, il n’avait pas de pensées du tout…

C’était un Écho, après tout.

Maintenant que l’île était détruite, cet Écho avait un travail à faire.

Pendant qu’il regardait, Cassie s’approcha de l’oiseau noir et le prit doucement dans ses mains. Tout en disant quelque chose, la jeune aveugle ouvrit ses paumes et laissa le corbeau s’envoler.

La dernière chose qu’ils entendirent avant que l’Écho de Jet ne disparaisse au loin fut des croassements indignés :

“Coincé ! Coincé !”

La mission de Crow Crow était simple — informer les habitants de Grâce Déchue de la mort de la sybille Souillée, puis retrouver le chemin du navire. Les trois Maîtres ne savaient pas combien de temps il leur faudrait pour sauver Effie et Jet, aussi voulaient-ils s’assurer que la dernière cité migrerait vers l’aval en leur absence.

Avec un peu de chance, lorsqu’ils reviendraient, les frêles Nés du Fleuve iraient beaucoup mieux.

Voilà qui est fait.

Sunny jeta un coup d’œil au bâton dans les mains de Cassie, puis aux voiles du Briseur de Chaînes. Il hésita un moment, puis demanda d’un air fatigué :

“Devons-nous mettre les voiles ?”

Après un moment de silence, Nephis secoua la tête.

“La nuit approche et nous sommes tous fatigués. Je préfère dériver avec le courant jusqu’à demain. Un peu de repos ne nous fera pas de mal.”

Sunny fut heureux de l’entendre.

…Peu après, ils se retrouvèrent dans le réfectoire à l’arrière du navire. Tous ses compartiments avaient été débarrassés des débris et réparés par les habitants de Grâce Déchue, mais les trois Maîtres ne visitaient pas souvent la plupart d’entre eux, car ce n’était pas nécessaire. Ils passaient le plus souvent de leur temps sur le pont supérieur, dans leurs quartiers d’habitation, ou dans le réfectoire, près de la cuisine.

Des plats fraîchement préparés étaient posés sur la table, dégageant l’odeur familière et délicieuse de la cuisine de Neph. Le Coffre de la Convoitise était posé, le couvercle ouvert, ses dents luisant à la lumière chaude d’une lanterne. Sunny tenait une tasse de thé dans ses mains, jetant un coup d’œil aux différentes ardoises posées devant lui.

Honnêtement, il n’était pas d’humeur à étudier leurs mystères. Il voulait juste se remplir la panse et se reposer.

Avec un soupir, il repoussa les ardoises et rapprocha son assiette. Avalant la première bouchée d’une bouillie de viande parfumée, Sunny ferma les yeux, ravi.

Nephis était, elle aussi, préoccupée par son repas. Cassie, elle, semblait l’avoir oublié — elle s’amusait avec son nouveau jouet scintillant. L’éclat d’âme au bout du bâton sacré émettait de la lumière, dont l’intensité changeait de temps en temps.

Sunny la fixa un moment, puis demanda :

“Qu’est-ce que tu fais ?”

La jeune aveugle but une gorgée de thé distraitement.

“J’essaie de comprendre comment ça marche. C’est bizarre… l’enchantement ne semble pas répondre à tout. Il pointe vers toi, Nephis, Effie et Kai… mais pas vers Jet ou cette personne, Mordret. Ni Grâce Déchue, d’ailleurs. Par contre, il réagit à Anémone.”

Sunny haussa les sourcils, puis changea sa perception et regarda sous la surface du Guide-Lumière. Comme il s’y attendait, il n’y avait pas de trame. Il n’y avait pas non plus de runes… juste un champ de lumière aveuglante.

Il avait vu quelque chose de similaire en regardant les couteaux créés par le Dieu du Soleil. Dans chacun d’eux, il n’y avait rien d’autre qu’un océan radieux de quelque chose — de l’essence d’âme, peut-être — et une seule corde du destin, liée à elle-même et formant une boucle à l’infini.

Telle était la sorcellerie des dieux, totalement déraisonnable et dénuée de toute logique qu’il pouvait comprendre.

Des boucles à l’infini…

Son esprit fatigué s’arrêta sur ces mots, mais il fut distrait par la voix étrangement étouffée de Neph :

“Je l’ai trouvé.”

Sortant de sa rêverie, Sunny se retourna et la regarda.

Nephis avait une cuillère dans la bouche, tenant à deux mains l’une des ardoises qu’il avait repoussées. Sunny était plutôt amusé par ce spectacle.

“…Qu’as-tu trouvé ?”

Elle cligna des yeux plusieurs fois, puis retira maladroitement la cuillère de sa bouche et la pointa vers l’ardoise.

“Anémone. Euh… c’est décrit ici.”