Chapitre 1368 – Mettre les Voiles

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Peu de temps après l’Ascension de l’étalon noir, le jour de leur départ arriva. Les semaines qu’ils avaient passées à Grâce Déchue s’étaient envolées rapidement… si rapidement, en fait, que Sunny était triste qu’elles aient semblé si courtes.

C’était agréable de passer à nouveau du temps avec Nephis et Cassie. Dans le monde réel, il y avait toujours eu des murs invisibles entre eux… les grands clans, la guerre, les sentiments compliqués du passé, les sombres promesses de l’avenir…

Mais les Cauchemars avaient le don de simplifier les choses. Toutes ces questions avaient été rendues petites et insignifiantes par la nécessité absolue de conquérir la Graine, et Sunny se retrouva donc à apprécier le sentiment de proximité qu’il n’avait pas ressenti depuis longtemps.

C’était amusant, vraiment… depuis qu’il était devenu un Dormeur, on lui avait répété à maintes reprises à quel point les Troisièmes Cauchemars étaient terribles et mortels. Et il y avait du vrai dans ces rumeurs, bien sûr — après tout, Sunny avait déjà été forcé de combattre une maudite Bête Supérieure pour survivre ici. Mais, étrangement, la majeure partie de son séjour dans le Tombeau d’Ariel avait été plutôt paisible.

Il avait le sentiment que ces jours paisibles allaient bientôt appartenir au passé.

À partir d’aujourd’hui, le chemin était tout tracé. D’abord, vers les eaux dangereuses où Effie et Jet étaient bloqués. Ensuite, vers la mystérieuse cité de Crépuscule, à la recherche de Kai et de Mordret.

Et enfin, vers Verge, le trône de la Souillure. Pour le brûler et conquérir le Cauchemar.

Bien sûr, le Briseur de Chaînes allait retourner à Grâce Déchue entre chaque étape pour se réapprovisionner, recevoir des réparations et donner à son équipage l’occasion de se rétablir. Mais ces arrêts seraient brefs et espacés.

Pendant le reste du Cauchemar, Sunny et ses compagnons allaient aller d’une bataille désastreuse à l’autre.

En regardant la vue onirique de la dernière ville du Peuple du Fleuve du haut de la tour du temple, Sunny soupira et regarda Cassie et Nephis. Les soleils venaient de se lever, et le monde entier était noyé dans d’innombrables nuances de rouge. Illuminés par la lumière cramoisie, elles avaient toutes deux l’air solennelles… et prêtes.

Il s’attarda un instant, puis demanda :

« C’est l’heure ? »

Cassie hocha lentement la tête.

« Oui. Allons-y. »

Ensemble, ils descendirent de la tour, traversèrent le grand hall du temple et sortirent. Les gardes de la jeune aveugle les suivaient comme toujours, mais aujourd’hui, beaucoup plus de gens étaient venus faire leurs adieux à leur sybille.

Des soldats, des artisans et des citoyens de toutes sortes. Des milliers de vieillards décharnés, hommes et femmes, se pressaient dans les rues, regardant la belle jeune femme aux poignets ceints d’entraves dorées. Leurs silhouettes frêles et leurs visages ridés ressemblaient à une mer. Leurs yeux…

Sunny ne savait pas comment décrire l’émotion qui y brillait. Était-ce de la fierté ? Du chagrin ? De la peur ? De l’amour ? De la culpabilité ? Ou tout cela à la fois ?

Les êtres humains n’étaient pas si simples, après tout. Il était rare qu’il ne ressente qu’une seule chose. La plupart du temps, leur cœur était un fouillis irrationnel et contradictoire d’émotions qui s’entrechoquaient.

Allons-nous réussir à sauver ces gens ? Ou sont-ils tous condamnés ?

Sunny savait que ce n’était pas la vraie Grâce Déchue… et pourtant, il savait aussi que les ombres des êtres vivants qu’il avait tués dans les Cauchemars étaient toujours dans son âme, indiscernables des ombres qui appartenaient aux habitants du Royaume des Rêves et du monde réel.

Quelle était donc la différence ?

Ils traversèrent les rues bondées et s’approchèrent des quais. Le Briseur de Chaînes reposait sur l’eau, fraîchement réparé et remis à neuf. Ses voiles en lambeaux furent remplacées par de nouvelles, toutes d’une magnifique et vibrante couleur écarlate.

Il n’y eut pas beaucoup de cérémonies. Sunny, Cassie et Nephis montèrent à bord. Les deux gardes sourds restèrent sur le quai.

…Mais avant qu’ils ne partent, Cassie se tourna vers la foule de vieux Nés du Fleuve et leur sourit.

Son sourire était comme un rayon de soleil pur dans cette terre de crépuscule éternel.

« Mon peuple… »

Sa voix résonna au-dessus de l’eau, se propageant loin à la ronde. Les habitants de Grâce Déchue — les derniers humains du Tombeau d’Ariel — l’écoutaient avec une grande attention, saisissant chaque mot.

Sunny observa la foule et remarqua rapidement une silhouette familière. Cronos était également présent, regardant le gracieux vaisseau avec admiration et nostalgie.

Cassie attendit un moment, puis continua :

« Je dois m’excuser ! D’habitude, je vous aurais tous emmenés à la Maison de la Séparation pour célébrer et profiter d’un délicieux festin. Malheureusement… la Maison du Bas n’existe plus, et je n’ai donc pas de nourriture à vous offrir. »

Une vague de murmures s’éleva de la foule, tandis que de nombreuses personnes gloussaient.

Quelqu’un cria :

« Ce n’est pas grave, ma Dame ! Nourrissez-nous à votre retour ! »

La jeune aveugle resta immobile quelques instants.

« …Pourtant, aujourd’hui n’est pas un jour de tristesse. C’est un jour de célébration. Ce voyage que j’entreprends n’est pas le dernier. Au contraire, c’est le début d’une nouvelle ère… une ère meilleure. Une ère de grâce et de liberté. »

Elle leva les mains… et les écarta, brisant facilement la chaîne dorée.

Les maillons brisés tombèrent dans l’eau.

Cassie sourit à nouveau.

« Dame Étoile Changeante, Seigneur Sunless et moi-même… partons pour rassembler de puissants Étrangers et vaincre la Souillure, une fois pour toutes. Notre victoire est assurée. Je le sais ! »

Si quelqu’un d’autre l’avait dit, cela aurait été une proclamation vide de sens. Mais pour les habitants de Grâce Déchue, Cassie était Dusk, la dernière sybille… l’oracle qui guidait leur peuple depuis de nombreuses générations et qui connaissait les secrets du passé et de l’avenir.

En l’entendant, ils eurent les yeux écarquillés. L’instant d’après, une clameur joyeuse s’éleva de la foule.

« Notre Dame sait ! »

« Elle l’a vu ! »

« Victoire ! Notre victoire est assurée ! »

Fixant les vieillards en fête, leur chagrin disparu, Sunny se pencha légèrement et demanda à voix basse :

« Tu sais ? As-tu reçu une vision du destin ? »

Cassie se figea, puis frissonna légèrement. Un instant plus tard, elle se tourna vers lui, son sourire devenant cassant.

Ses beaux yeux bleus brillaient du reflet du ciel cramoisi.

Elle s’attarda un peu, puis répondit :

« Qui se soucie du destin ? Si le destin est contre nous… nous le briserons. »

Sunny la regarda, perplexe. Le coin de sa bouche tressaillit.

« Tu crois qu’il est facile de briser le destin ? »

La jeune aveugle baissa légèrement la tête et se retourna vers la foule.

…Sa réponse silencieuse fut presque noyée dans les cris de joie :

« Non, ce n’est pas facile. Ce n’est pas facile du tout. »

Les voiles du Briseur de Chaînes furent rapidement gonflées par le vent. Le gracieux navire se déplaçait lentement, laissant derrière lui les voix de la foule.

Les habitants de Grâce Déchue le regardèrent s’éloigner, le saluant et souhaitant à leur dame bonne chance pour les jours à venir.

Puis, ils disparurent de la vue, obscurcis par la brume cramoisie.

Il ne restait plus qu’une vaste étendue d’eau devant eux.

La première des nombreuses batailles approchait.