Chapitre 1356 – La Dernière Sybille

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Sunny étudia l’armure de la vieille femme, hésita quelques instants, puis regarda le Briseur de Chaînes avec doute.

Il se sentait plutôt impatient de rencontrer Dusk de Grâce Déchue, mais se rappela de garder son calme et de prendre les choses étape par étape.

“…Nous devons encore amarrer notre navire.”

La vieille guerrière s’inclina à nouveau.

“Nous nous occuperons de tout.”

Comme c’est pratique…

Ces anciens soldats ne semblaient pas être une grande menace. La vieille femme était une Éveillée, mais les autres étaient des humains. Sunny n’avait aucun doute sur le fait qu’il serait capable d’échapper à toute embuscade ou piège dans lequel ils pourraient potentiellement les attirer… et ça ne semblait même pas être un piège.

Pourtant, il n’aimait pas l’idée de laisser derrière eux leur seul moyen d’échapper à Grâce Déchue.

…Cela dit, si Dusk avait vraiment anticipé leur arrivée, n’aurait-elle pas également anticipé sa réticence ? Si elle savait qu’il se méfierait d’un piège, n’aurait-elle pas été capable de construire un piège assez insidieux pour tromper Sunny ?

Soudain, il était plein d’appréhension.

Bon sang…

Sunny avait surtout eu la chance de se trouver du bon côté de personnes dotées de pouvoirs prophétiques. Maintenant qu’il était sur le point de rencontrer un oracle inconnu, il se rendait compte à quel point il pouvait être un ennemi terrifiant.

Le fait qu’il ait déjà rencontré Dusk de Grâce Déchue une fois n’arrangeait pas les choses… d’une certaine manière. La Terreur de LO49 avait laissé de profondes cicatrices dans sa psyché.

Quoi qu’il en soit. Que pouvons-nous faire d’autre, exiger qu’elle vienne nous rejoindre ici sur la jetée ?

Après avoir échangé un regard avec Nephis, Sunny haussa les épaules et suivit le groupe de soldats plus profondément dans la ville. Le vieil homme qui les avait accueillis les rejoignit également, ce qui fit pousser un soupir irrité à la vieille femme en charge des soldats.

“Cronos… pourquoi viens-tu avec nous, gamin ?”

Le vieil homme sourit simplement.

“C’est moi qui ai accueilli les invités en premier. Ils se sentiront certainement mieux si quelqu’un de familier les escorte !”

La chef des soldats secoua la tête et ne dit rien d’autre. Le vieil homme… Cronos… semblait satisfait et se dépêcha de les suivre.

Gamin ? À quel point cette femme est-elle vieille pour appeler un fossile comme lui “gamin” ?

Alors que Sunny était escorté à travers Grâce Déchue, il ne pouvait s’empêcher de regarder autour de lui avec une expression sombre.

Partout où ils allaient… ils n’étaient accueillis que par des personnes âgées. Les habitants de Grâce Déchue avaient tous des cheveux blancs, des visages ridés et des corps frêles de personnes vivant leurs dernières années de crépuscule. Ils vaquaient à leurs occupations d’un pas prudent et regardaient Sunny et Nephis d’un air étonné.

Il pensa d’abord que c’était à cause de leur statut d’invités dans la ville, puis réalisa que c’était simplement parce qu’ils étaient… jeunes.

À part Sunny et Nephis, il n’y avait pas un seul jeune en vue.

Ce sont tous des Nés du Fleuve.

Sunny fronça les sourcils, réfléchissant aux implications de cette simple constatation.

Les Nés du Fleuve ne vieillissaient pas avec le temps — au contraire, ils vieillissaient en se déplaçant en amont de l’endroit où ils étaient nés. Le processus était censé être graduel, s’étalant sur plusieurs générations, à mesure que la ville migrait vers l’avenir pour permettre à de nouvelles familles de se former. Par conséquent, il devait y avoir un mélange de personnes d’âges différents dans les rues, comme c’est le cas dans une ville normale.

Alors qu’est-ce que cela signifie si tout le monde ici était… non, avait l’air vieux ?

Cela signifiait que Grâce Déchue avait migré loin en amont pour une raison autre que l’introduction d’une nouvelle génération, à un moment ou à un autre. En tuant la population la plus âgée et en poussant tous les autres dans des corps décrépits.

Le visage de Sunny devint sombre alors qu’il regardait Cronos, une fois de plus.

…Il se pouvait que la chef des soldats l’ait traité de garçon non pas parce qu’elle était incroyablement ancienne, mais parce que le vieil homme était en fait un enfant, ou un jeune pas plus vieux que Sunny et Nephis du moins.

Il hésita quelques instants, puis demanda prudemment :

“…Cronos, c’est ça ? Dites, quel âge avez-vous ?”

Le vieil homme sourit, son visage se transformant en un labyrinthe de rides profondes.

“Oh, j’ai dix-sept ans, mon seigneur ! Euh… j’aurai dix-sept ans dans quelques jours, pour être précis. Mais qui compte ?”

Sunny inspira profondément, perturbée par le ton enjoué de cette réponse.

Nephis semblait avoir trouvé la raison pour laquelle tous les habitants de Grâce Déchue avaient l’air si vieux. En entendant Cronos le confirmer, elle fronça les sourcils.

“Alors pourquoi n’êtes-vous pas à la Maison de la Jeunesse ?”

Au moment où les mots quittaient ses lèvres, le visage de la vieille femme qui menait les soldats s’assombrit. Alors que Cronos s’attardait, elle répondit à sa place :

“…C’est parce que nous l’avons perdu. Nous avons perdu toute la moitié aval de la ville pendant ces jours sombres. Et sans la Dame, nous aurions perdu l’autre moitié aussi.”

À l’évocation de Dusk, une expression de profonde révérence et d’amour se dessina sur les visages de Cronos et des vieux soldats. Mais quelque chose d’autre se cachait derrière cette dévotion. Un soupçon de… chagrin ? De peur ? De la culpabilité ?

C’est à ce moment qu’ils atteignirent le point qui aurait dû être le centre de la ville.

Mais il s’agissait plutôt de son extrémité.

Il n’y avait rien d’autre que de l’eau stagnante à l’endroit où d’innombrables îles-navires auraient dû se trouver. Les ponts de corde qui y menaient avaient été coupés, leurs restes brûlés et flottant sans but dans l’eau. Les bâtiments les plus proches du bord portaient des cicatrices et des traces de brûlures, certains d’entre eux penchant sur le côté ou gisant sur des piles de débris pour la plupart désassemblés.

C’était comme si la ville entière avait été disséquée en deux moitiés, l’une dérivant toujours sur les vagues cramoisies, l’autre disparue depuis longtemps, perdue dans l’attraction incessante du passé.

C’est donc ainsi que les choses se sont passées…

Grâce Déchue avait en effet migré vers l’amont, échappant à une attaque. Une grande partie de l’île avait été perdue dans le processus… à la fois en termes de îles-navires et de personnes.

Sunny détourna le regard avec une expression sinistre.

“Est-ce à cause des Souillés ?”

La vieille femme se mordit les lèvres, puis hocha la tête, une étrange noirceur se cachant dans ses yeux.

“Oui… un Souillé. Quelque chose comme ça.”

Elle resta ensuite silencieuse.

Ils atteignirent alors une île-navire qui flottait un peu à l’écart du reste de la ville. Celui-ci portait un magnifique palais de pierre blanche, avec de hautes colonnes et une flèche qui s’élevait dans le ciel écarlate, couronnée d’un bûcher de flammes pures.

C’était la source de l’étincelle blanche qu’ils avaient aperçue de loin.

Traversant l’étendue d’eau cramoisie, Sunny et Nephis montèrent les larges escaliers menant aux portes du palais et furent accueillis par des rangées de soldats comme ceux qui les avaient escortés jusqu’ici — portant des armures blanches avec des ceintures rouges, décrépits et vieux.

Tous s’inclinèrent profondément lorsque le petit cortège passa devant eux.

Enfin, les portes du temple s’ouvrirent devant eux.

Sunny sentit une vieille peur s’emparer de son cœur.

Il allait enfin rencontrer Dusk face à face… à nouveau.

Ils furent rapidement conduits dans une grande salle remplie de marbre blanc, d’eau qui coule et d’un silence tranquille. Au centre de la salle se trouvait une grande estrade sur laquelle se dressait un élégant trône de pierre.

Dusk de Grâce Déchue, la dernière sybille de l’Estuaire, était assise sur ce trône.

Sunny se figea.

La première chose qu’il remarqua fut que Dusk avait l’air jeune… très jeune. C’était la première jeune femme qu’ils voyaient à Grâce Déchue.

Elle était également fascinante, avec une silhouette fine et un visage d’une beauté exquise et délicate. Ses cheveux étaient comme de l’or pâle et ses yeux étonnants étaient d’un bleu pur.

Ces yeux magnifiques regardaient le monde mais ne voyaient rien, car la belle jeune femme était aveugle.

Bien sûr, Sunny la connaissait bien.

Stupéfait, il leva la main et demanda d’une voix tremblante :

“…Cassie ?”