Chapitre 1331 – Le Puits des Souhaits

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Nephis continuait à lutter contre la tempête, les guidant à travers les vagues démesurées, tandis que Sunny et Ananke bénéficiaient d’un moment de répit.

Si l’on peut dire… ils étaient toujours à l’intérieur du ketch, qui était ballotté comme un bateau-jouet par le courant déchaîné. Sunny utilisait une main et toute sa force tyrannique pour se maintenir en place tout en tenant Ananke avec l’autre.

Mais sans avoir à écoper fébrilement, ils pouvaient au moins reprendre leur souffle et rester immobiles un moment — tant que son essence durait, en tout cas.

Sunny s’appuya contre le bois mouillé, fatigué, consumé par un épuisement amer. Sa poitrine se soulevait lourdement.

Ce n’est pas bon…

En tant que Mémoire Suprême, la Couronne du Crépuscule était un outil très puissant. Mais en contrepartie, elle consommait beaucoup d’essence. Il lui faudrait quelques minutes pour que son autorité provisoire sur l’eau draine tout le bateau… après quoi, il ne serait pas sage de continuer à soutenir l’effet de la [Promesse Royale].

Il soupira.

À quoi correspondait une minute ? Dans cette tempête maudite, il était impossible de le savoir.

Les effets de la rupture du temps continuaient de les ravager. Sunny s’était déjà habitué à voir d’horribles hallucinations s’imposer sur les corps de Nephis, d’Ananke et de lui-même. Des formes vagues et angoissantes surgissaient parfois de la brume.

Il ne parvenait jamais à en discerner la nature, mais ces aperçus de personnages et d’événements inconnus le remplissaient d’un profond sentiment de terreur.

S’agissait-il de fragments tordus du passé ? De l’avenir ? Ou quelque chose d’entièrement différent, qui s’était glissé dans le monde à travers les failles du cadre brisé de la loi absolue ?

Il ne le savait pas et ne voulait pas le savoir.

Peut-être que c’est ce que ressent Cassie…

Il y avait aussi des ombres. Elles étaient tout aussi tordues et perverses que le reste des choses dans la tempête temporelle. Il avait déjà limité la portée de son sens de l’ombre autant que possible, mais il pouvait encore les sentir… l’horreur glaçante qu’elles représentaient… et ne pouvait s’empêcher de frissonner.

Sunny se sentait sinistre et sans espoir.

…Au même moment, une voix enfantine le détourna de ses sombres pensées.

“M-mon Seigneur ?”

Il s’agita et regarda la petite silhouette de la prêtresse enfantine. Ananke avait encore rajeuni. Elle ressemblait maintenant à une petite fille de sept ans, fatiguée et effrayée. Son esprit avait dû encore régresser. Elle maintenait toujours la bulle de stabilité autour du ketch, mais… elle semblait plus faible.

Elle ressemblait plus à une enfant qu’à une Sainte sage piégée dans le corps d’une enfant.

Sunny força un faible sourire et demanda, essayant de garder un ton doux :

“Qu’est-ce qu’il y a ?”

Ananke s’attarda un moment, apparemment embarrassée. Elle finit par murmurer d’une petite voix :

“J’ai… peur.”

Ces mots…

Ils transpercèrent Sunny comme un couteau. La fière prêtresse qu’il connaissait ne se serait jamais permis de dire une chose pareille à une personne qu’elle considérait comme son protégé. Le fait qu’elle l’ait fait… signifiait qu’Ananke était plus atteinte qu’il ne le pensait.

Le cœur serré par les griffes glacées de la colère et du regret, Sunny s’efforça d’éloigner ses émotions amères de son visage. Son sourire se figea.

“Il n’y a pas lieu d’avoir peur, Ananke. Nous échapperons à cette tempête, tous les trois. J’en suis sûr. Vous voyez ?”

Il montra l’eau qui s’écoulait d’elle-même du ketch.

Ce qu’il avait dit à la jeune prêtresse n’était pas un mensonge. Sunny croyait désespérément qu’ils survivraient à la tempête temporelle. Ou plutôt… il s’était trompé lui-même en croyant cela.

Il n’était peut-être pas capable de mentir aux autres, mais se mentir à lui-même ? C’était la chose la plus facile au monde.

Ananke se calma, semblant avoir été un peu apaisée par ses paroles. Cependant, son petit visage était toujours empreint de peur. Après quelques instants, elle demanda à nouveau, d’une voix hésitante :

“Mon Seigneur ?”

Sunny la rapprocha de lui, luttant contre les mouvements brusques du ketch.

“Oui ?”

Elle hésita un peu.

“Pourriez-vous… me raconter un conte de fées ?”

Il se figea, surpris par sa demande. Il était naturel qu’une enfant en détresse veuille entendre un conte de fées… probablement.

N’est-ce pas ?

Le problème, c’est que Sunny ne se souvenait d’aucun. Le seul qui lui venait à l’esprit était l’étrange histoire du garçon de bois dont Nephis lui avait parlé. Mais vu sa fin macabre, il ne pensait pas qu’il était très approprié de la raconter à Ananke.

Il se déplaça légèrement, puis dit doucement :

“Je suis désolé… Je ne connais pas de contes de fées.”

La jeune prêtresse baissa la tête.

“Oh…”

Sunny hésita un instant.

“…Et si vous m’en racontiez un à la place ?”

Ananke le regarda avec surprise, ses grands yeux azur s’écarquillant.

“Moi ?”

Il acquiesça avec un sourire encourageant.

“Oui. Lequel est votre préféré ?”

La jeune prêtresse le regarda fixement, des étincelles s’allumant lentement dans ses yeux. Elle semblait avoir oublié la terrifiante fureur de la tempête, du moins pour un moment.

Un timide sourire éclaira son petit visage.

“Oh ! C’est… c’est à propos du Puits des Souhaits.”

Sunny haussa un sourcil, faisant mine d’être très attentif à ses paroles.

“Le Puits des Souhaits, huh ?”

Ananke hocha sérieusement la tête.

“On dit que le monde est né d’un souhait. C’est pourquoi un Puits des Souhaits est caché à l’estuaire du Fleuve… parce qu’il remonte le temps, jusqu’au moment où le monde est né. Quiconque y accède verra son vœu le plus cher se réaliser.”

Sunny pencha la tête, surpris par l’étrange logique du conte de fées — à la fois par son étrangeté et par le fait qu’il y ait étrangement une logique à tout cela.

Au commencement, il y avait le désir…

Était-ce une erreur de dire que le monde était né d’un souhait ?

Alors que l’eau quittait le ketch et que son essence brûlait, la prêtresse enfantine poursuivit en souriant :

“Il était une fois une fille courageuse qui avait été séparée de sa mère par les courants. La jeune fille ne pouvait pas rencontrer sa mère, parce qu’elle était une Née du Fleuve. Mais… elle a trouvé un bateau magique qui lui permit de naviguer sur le fleuve comme une Étrangère…”

Alors que la tempête faisait rage autour d’eux, Ananke lui raconta de sa petite voix enfantine les incroyables aventures de la fille du fleuve. Lorsque cette dernière retrouva sa mère Étrangère, cette dernière était devenue faible et fragile à cause de la vieillesse. Sachant que le temps les séparerait de nouveau, pour toujours, la jeune fille s’embarqua pour l’Estuaire.

La voix d’Ananke s’était emballée.

“…Et finalement, elle trouva le Puits des Souhaits. Le vœu de la jeune fille était d’être avec sa mère, et c’est ainsi que le Puits fit de sa mère une Née du Fleuve. Elle revint en amont sur son vaisseau magique, et elles vécurent heureuses ensemble, pour toujours…”

Elle le regarda avec espoir, l’inquiétude ayant disparu de son visage.

Sunny la serra contre lui, sentant les forces violentes de la tempête tenter de jeter le ketch malmené à terre.

“C’est un merveilleux conte de fées, Ananke. Je l’ai beaucoup aimé.”

L’enfant prêtresse sourit.

“Vous êtes aussi un Étranger, mon Seigneur. Vous n’avez pas besoin d’un bateau magique pour atteindre l’Estuaire ! Peut-être… peut-être pourrez-vous aussi trouver le Puits des Souhaits…”

Il n’eut pas le cœur de lui dire que ce qui attendait dans l’Estuaire était la source de la Souillure, et non un puits magique qui exauçait les vœux les plus chers de chacun.

Au lieu de cela, Sunny s’attarda un moment. Il finit par hocher la tête.

“Oui… ce serait bien, non ? Peut-être qu’un jour, je trouverai vraiment le Puits des Souhaits et que mon vœu le plus cher se réalisera. Qui sait si ce ne sera pas le cas ?”

Il sourit.

Le Puits des Souhaits…

Sunny se crispa, sentant l’approche d’un impact.

C’était un beau conte de fées, en effet.