Chapitre 1320 – Fin de l’Enfance

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Finalement, Ananke remplaça Nephis à la barre. Cette dernière avait l’air épuisée après avoir commandé les vents pendant toute une journée… néanmoins, Sunny avait l’impression que ses yeux étaient plus ternes que ce que l’épuisement pouvait expliquer.

Il lui jeta un regard interrogateur et lui demanda :

“Tu vas bien ?”

Elle s’attarda quelques instants, puis acquiesça silencieusement. S’asseyant et appuyant son dos contre la coque du ketch, Nephis ferma les yeux, fatiguée. Elle n’avait pas dormi depuis leur départ de Weave, et même si les Maîtres comme eux pouvaient facilement rester éveillés pendant des jours, la fatigue mentale avait toujours le don de les rattraper.

…Je suppose qu’elle ne veut pas parler de ce qui la perturbe.

Sunny étudia le visage pâle de Neph, puis invoqua discrètement Cauchemar et lui ordonna de garder ses rêves. Le cheval ténébreux se cacha dans l’ombre à la proue du bateau, informe et vigilant. Non content de cela, Sunny envoya toutes ses ombres, à l’exception d’une seule, pour le renforcer.

Les souvenirs de sa rencontre avec la manifestation du Prince de la Folie hantaient encore ses pensées.

Par la suite, il n’eut rien d’autre à faire que de continuer à tisser des fils d’essence. Sunny était assis sur le pont du ketch, les jambes croisées, les doigts dansant dans l’air. À présent, il maîtrisait suffisamment la création de fils d’essence pour ne pas prêter beaucoup d’attention au processus. C’était loin d’être le cas lorsqu’il avait essayé de tisser pour la première fois et qu’il s’était tailladé les mains jusqu’à l’os.

Son expérience douloureusement acquise et la sensibilité accrue que le Tissu Osseux conférait au bout de ses doigts rendaient les choses plus faciles. Désormais, Sunny n’avait besoin que de temps et d’essence pour créer un fil aussi long que celui dont il avait besoin pour tisser une Mémoire.

Cela prenait encore du temps.

Au bout d’un moment, Ananke le regarda avec curiosité et lui demanda :

“Mon Seigneur… si je peux me permettre, que faites-vous ?”

Sunny resta silencieux quelques instants, puis tourna légèrement la tête. Il hésita avant de répondre, sachant à quel point elle était bizarre avec tout ce qui concernait le Démon du Destin. Néanmoins, il finit par dire :

“Je crée des fils d’essence… je tisse.”

Ses yeux azur s’écarquillèrent légèrement.

“Vous… vous êtes un tisseur, mon Seigneur ?”

Un tisseur…

Sunny pencha la tête.

“Si vous voulez dire quelqu’un qui utilise la sorcellerie de Weaver, alors oui. Bien que je ne sois pas très compétent en la matière.”

La jeune prêtresse le regardait avec révérence. Il soupira.

“Pourquoi, les… tisseurs étaient-ils très rares à votre époque ?”

Elle hocha lentement la tête.

“Extrêmement rares, mon Seigneur. La sorcellerie créée par le Démon du Destin n’était pas quelque chose que les mortels pouvaient facilement apprendre… ni même les dieux. Seuls quelques-uns la maîtrisaient. L’un des deux Grands Prêtres du Sortilège du Cauchemar était l’un de ces sorciers — ma mère m’a dit qu’il était un façonneur d’âmes et un maître de toutes sortes de magie. Y aura-t-il beaucoup de tisseurs comme vous dans le futur ?”

Sunny secoua lentement la tête.

“Il y en a quelques-uns dont les Aspects leur permettent de créer des Mémoires, mais pour autant que je sache, je suis le seul à vraiment savoir comment tisser de la sorcellerie, sans être lié par les limites de mes Capacités.”

Il soupira.

“Je n’ai jamais eu de professeur. Tout ce que je sais, je l’ai appris moi-même. C’est pourquoi je ne peux que créer des copies des ouvrages créés par le Sortilège, ou les modifier dans le meilleur des cas.”

La jeune prêtresse le regarda en silence pendant un moment, puis sourit.

“Mais, mon Seigneur… cela ne voudrait-il pas dire que le Sortilège du Cauchemar est votre professeur ? Comment pourrait-il y avoir un meilleur professeur que lui ?”

Le coin de sa bouche tressaillit. Soudain sombre, Sunny détourna le regard.

“…Je suppose. Le Sortilège m’a appris beaucoup de choses, en effet.”

Le sourire d’Ananke s’élargit.

“Vous êtes aimé par le destin, alors. Je me sens à l’aise.”

Il se cacha le visage, ne voulant pas qu’elle voie le sombre ressentiment qui noyait ses yeux.

Aimé par le destin, hein ?

Sunny était bel et bien liée au Destin. Cependant, cela ne signifiait pas que le destin était particulièrement gentil avec lui… cela signifiait simplement qu’il était enveloppé dans ses ficelles comme une marionnette impuissante, condamnée à être toujours à sa merci.

En un sens, cela signifiait qu’il ne connaîtrait jamais la paix.

Pas tant qu’il n’aurait pas appris à déchirer ces ficelles.

C’est plus comme si j’étais maudit par lui…

Mais encore une fois, son destin n’était-il pas de devenir un Souillé, de se déchirer le visage avec ses ongles et de se transformer en une abomination folle ? N’était-ce pas là son avenir ?

Sunny frissonna en se rappelant cette possibilité effrayante.

Non, pas question. Je préfère mourir. Je mourrai, si c’est la seule issue. Ma stupide théorie doit être fausse. Le Prince Fou… jamais je ne deviendrai comme lui.

Fermant les yeux un instant, il calma son cœur qui battait la chamade et se concentra à nouveau sur le tissage des fils d’essence.

Cependant, ses doigts tremblaient.

***

Lorsque les sept soleils touchèrent la surface de l’eau, le ketch atteignit la deuxième des Sept Maisons. Amarrant le bateau à son pair, ils campèrent pour la nuit sur l’île abandonnée.

Elle ressemblait à un endroit où la vie avait jadis prospéré, mais maintenant, cette vitalité avait disparu. Les enfants étaient partis, les parents étaient partis… et bientôt, les Sept Maisons disparaîtraient aussi, englouties par les courants éternels du Grand Fleuve.

Au matin, Sunny fut réveillé par le grincement des capteurs de vent. Après avoir laissé à Ananke le temps de se promener le long du rivage et de se remémorer son enfance, ils quittèrent les îles artificielles et naviguèrent à nouveau vers l’aval.

Il leur fallut encore un jour pour passer la troisième Maison. À ce moment-là, l’apparence d’Ananke avait encore changé.

Alors qu’elle paraissait à peine plus âgée que Sunny et Nephis à Weave, elle avait désormais l’air d’avoir le même âge qu’eux, voire plus jeune.

Lorsque le ketch atteignit la quatrième Maison, elle semblait avoir atteint la fin de l’adolescence.

L’ambiance à l’intérieur du ketch était devenue sombre. En regardant le visage adolescent et attachant de la jeune prêtresse, il était impossible de nier qu’ils allaient devoir la laisser derrière eux… très bientôt.

La Maison de la Séparation n’était plus très loin.

Mais avant de l’atteindre, ils devaient passer par les trois dernières des Sept Maisons.

…Cependant, au moment où ils devaient arriver en vue de la cinquième, l’expression d’Ananke était devenue tendue.

En effet, l’île artificielle était introuvable.