Chapitre 943 – Pas de Voie à Suivre

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Ce n’est pas vrai…

Sunny fixa l’abîme sombre du canyon, l’esprit vide. Une seconde passa dans un silence stupéfait, puis une autre. Finalement, il se retourna et regarda en arrière, comme s’il était capable de regarder à travers la coque blindée du Rhino.

Ce qui était le cas, d’une certaine manière.

Là, derrière le lourd APC, les autres véhicules du convoi avaient freiné, évitant de justesse de se percuter les uns les autres. Ils étaient entassés sur la route montagneuse, la neige dansant dans les faisceaux étroits des phares.

Et derrière le convoi, le flot de ténèbres se précipitait, étirant ses tentacules dans leur direction.

Il leur restait peut-être une minute avant que la masse de scarabées sombres n’atteigne le dernier véhicule.

…Cette fois, Sunny n’allait pas pouvoir le protéger.

Il parviendrait peut-être à détruire des centaines, voire des milliers de ces horribles insectes, mais ce serait comme une goutte d’eau dans l’océan. Aucune de ses attaques ne parviendrait à blesser sérieusement la titanesque vague de ténèbres… d’autant plus que, comme Sunny s’en doutait, les scarabées n’étaient techniquement pas vivants.

Non seulement il n’avait pas entendu le Sortilège annonçant les morts au moment où il tuait les rares individus qui s’étaient glissés dans son armure, mais le simple fait que ces maudites créatures voyageaient avec lui dans les ombres signifiait qu’elles étaient en quelque sorte des objets inanimés — après tout, Sunny était seulement capable de transporter ces objets avec lui par le biais du Pas de l’Ombre.

À quoi bon tuer une bande de bestioles qui n’étaient même pas vivantes ?

“Capitaine ! Qu’est-ce… qu’est-ce qu’on fait ?!”

Sunny jeta un coup d’œil à Luster, puis dit d’une voix rauque :

“Quoi d’autre ? Fuir… nous devons fuir…”

Puis, il disparut silencieusement dans les ombres. Un instant plus tard, Sunny se tenait au bord de la route défoncée, regardant l’abîme sans fond. Le froid mordant de la nuit polaire caressait sa peau, et les vents violents tentaient instantanément de le pousser vers le bas.

Derrière lui, la marée de scarabées noirs dévorait la surface fissurée de la route, se rapprochant de plus en plus, et la montagne continuait à trembler, entrant en éruption avec un déluge de ténèbres.

Le canyon faisait entre cent et deux cents mètres de large, avec des pentes verticales abruptes qui s’étendaient loin, très loin. Il n’y avait pas de route secondaire pour contourner le canyon ou descendre jusqu’au fond, seulement le pont brisé et le vaste schisme séparant le convoi du côté opposé.

Sunny serra les dents.

Il n’avait pas beaucoup de temps pour réfléchir, alors il fit la première chose qui lui vint à l’esprit, sans même s’arrêter pour se demander s’il était possible de s’en sortir.

Si c’était impossible… il n’aurait qu’à changer cela.

Son essence se répandit dans ses veines à une vitesse fulgurante, puis s’écoula vers l’extérieur. Son visage pâlit et ses yeux se transformèrent en deux bassins dépourvus de toute lumière.

Tout comme les ténèbres dégorgées par la montagne, les ombres recouvrant ses pentes se déplacèrent également. L’obscurité profonde qui noyait le canyon se mit à bouillir, se précipitant vers le haut. Deux piliers noirs percèrent soudain la neige qui recouvrait les côtés de la route brisée et s’élevèrent dans le ciel, devenant de plus en plus grands à chaque seconde.

Au même moment, la marée d’ombres qui se précipitait des profondeurs atteignit le bord du pont brisé et se plia, se figeant un instant au-dessus du canyon sans fond comme une vague sur le point de déferler.

Mais au lieu de se briser, les ombres continuèrent à s’étendre et à se solidifier, comme si elles formaient un chemin sombre au-dessus de l’abîme.

…S’il n’y avait pas de pont pour eux, Sunny devrait en construire un à sa façon.

Argh…

Il dépensait tellement d’essence que son âme semblait avoir été mise à rude épreuve. Cependant, au lieu de ralentir, Sunny redoubla d’efforts.

De l’autre côté du canyon, deux autres piliers s’élevèrent, et une autre vague d’ombres s’étendit dans les airs, grandissant mètre après mètre pour rejoindre la première. De longs tentacules de ténèbres jaillirent du sommet des piliers, se transformant en chaînes incassables. De là, des dizaines de petites chaînes tombèrent, se fondant dans la surface noire du pont qui s’agrandissait.

Sunny ne se souciait pas de la quantité d’essence dont il disposait, mais de l’intégrité structurelle de cette construction hâtive et de la vitesse à laquelle il parviendrait à en relier les deux parties.

Il ne restait plus beaucoup de temps…

Mais peu de gens dans le monde savaient mieux que lui comment former des connexions à partir de chaînes. Après tout, il avait passé beaucoup de temps dans le Royaume de Hope, voyageant d’une île à l’autre à travers les chaînes célestes qui les reliaient.

Enchaînés… inséparables… et plus forts pour cela…

Il y avait probablement une leçon philosophique à tirer de tout cela, mais Sunny était trop préoccupé pour s’en soucier. Avec un gémissement, il s’écarta et fit signe à Luster, qui le fixait à travers le pare-brise du Rhino.

“Roule !”

Le jeune homme le regarda avec des yeux écarquillés, puis jeta un coup d’œil à l’étrange route noire qui surplombait l’abîme, reliée à rien et seulement soutenue par des dizaines de chaînes qui se balançaient.

Puis, les mains tremblantes, il fit avancer l’APC. Ses roues massives abandonnèrent bientôt l’asphalte fissuré de la route brisée et touchèrent la surface noire du pont d’ombre.

Le chemin d’ombres manifesté trembla légèrement… mais tint bon.

Il supporta tout le poids du Rhino, puis celui des véhicules suivants qui s’y engagèrent. Et puis, le suivant.

Très vite, tout le convoi quitta la terre ferme et s’engagea sur la route aérienne construite par Sunny. Il saisit la poignée métallique du dernier véhicule et se laissa entraîner par son élan, puis grimpa sur le toit et s’écrasa sur l’alliage froid.

Après quelques secondes, Sunny jeta un coup d’œil en arrière, vers la vague de ténèbres qui approchait.

Elle était déjà si proche… trop proche.

Devant lui, le Rhino atteignait presque la fin de la route d’ombres. L’APC se déplaçait plus vite que Sunny n’était capable de faire apparaître le pont, mais fort heureusement, la deuxième partie du chemin était déjà proche.

Les deux côtés du pont noir se connectèrent et fusionnèrent l’un avec l’autre quelques secondes avant que le Rhino ne roule sur le joint invisible et continue d’avancer à toute vitesse sans interruption.

Peu après, Luster laissa échapper un souffle tremblant lorsque les roues du Rhino touchèrent la terre ferme de l’autre côté du canyon.

Sunny était au bord de l’évanouissement, mais se força à rester concentré. Derrière lui, les myriades de scarabées sombres rampaient déjà sur le pont d’ombre. Une vague d’entre eux avait déjà parcouru la moitié du chemin, exerçant une telle pression sur les chaînes que certaines d’entre elles étaient prêtes à se rompre.

Les salauds…

C’est à ce moment que le véhicule sur lequel il se trouvait trembla en passant entre deux colonnes noires.

Sunny sourit en regardant derrière lui.

…c’est un péage. Payez ou mourez.

…En y réfléchissant bien, mourrez, tout simplement.

Avec un gémissement silencieux, il relâcha la masse d’ombres qui avaient suivi sa volonté, leur permettant de retourner à leur forme naturelle et immatérielle. Le sentiment de profond soulagement qu’il éprouva faillit le faire trébucher du toit du véhicule en mouvement.

Le pont d’ombre devint soudain fantomatique, s’effondrant dans l’informe, puis se dissipa dans la nuit. Des myriades de scarabées sombres dégringolèrent, et d’autres encore continuèrent à s’écouler sur les pentes de la montagne meurtrie, plongeant dans l’abîme du canyon comme des cascades de ténèbres pures. Mais le convoi était en sécurité.

Il continuait d’avancer, mettant de plus en plus de distance entre lui et ce qui avait habité le réseau de vieux tunnels.

Sunny poussa un lourd soupir, puis s’étendit sans bouger sur le toit du véhicule militaire, regardant la tapisserie lointaine des étoiles froides.

…Plus de tunnels. Jamais de la vie… enfin, je l’espère.