Chapitre 741 – Briseur de Chaîne

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Pendant quelques instants, Sunny resta immobile, fixant les magnifiques murs d’ivoire de la grande pagode qui dominait le monde. Alors que la ville entière était dévorée par des torrents de flammes, ici, au bord du précipice, tout était calme et silencieux.

Il n’arrivait pas à y croire.

Solvane, la Sainte de la Guerre, était morte. Le prince immortel enfermé dans la montagne d’acier en mouvement était mort. Le noble dragon qui gardait consciencieusement la tour était mort également.

Ils avaient gagné. Le Cauchemar… fut conquis.

Plus ou moins.

De l’arène ensanglantée du Colisée Rouge à la prison sans fin des cauchemars, en passant par le mystérieux Temple du Calice, la furieuse bataille dans le ciel de la Cité d’Ivoire et la confrontation avec le Prince de Rien… d’une manière ou d’une autre, il avait survécu à tout cela et avait triomphé.

Quelles étaient les chances que cela se reproduise ?

Cinq mois seulement… mais j’ai eu l’impression que c’était toute une vie.

Bien sûr, il restait encore quelques problèmes.

La majeure partie de l’armée des Seigneurs de la Chaîne disparus était encore intacte et en route vers la ville. La cohorte avait porté un coup terrible à la petite partie de l’armée, mais des centaines et des centaines de navires volants restaient encore, transportant des centaines de milliers de soldats. Maintenant que leurs commandants étaient morts, il ne savait pas ce qui allait leur arriver, ni comment ils allaient réagir.

Noctis était introuvable.

Et Hope était toujours enchaînée, même si ce n’était plus pour longtemps.

Avec un soupir, Sunny se leva et grimaça alors qu’une sensation de faiblesse maladive l’envahissait. Son âme était terriblement endommagée… il ne l’avait jamais malmenée à ce point auparavant, pas même pendant le siège de la Tour Cramoisie. Son corps n’allait pas très bien non plus. Sunny avait tout donné pour arriver jusqu’ici, et maintenant, il était au bout du rouleau.

Mais il était aussi si proche de devenir un Maître.

Il marcha lentement jusqu’au bord de l’île, regarda les ténèbres du Ciel Inférieur pendant quelques instants, invoqua l’Aile Sombre, puis glissa jusqu’à la dernière chaîne qui maintenait l’Île d’Ivoire en place.

Il ne restait plus assez d’essence dans son âme pour se transformer en ombre rapide, et il était trop fatigué pour courir. Sunny se contenta donc d’avancer, utilisant de temps à autre sa cape enchantée pour escalader les maillons irréguliers de la chaîne céleste. Il lui fallut un certain temps pour traverser le vaste gouffre de vide et remonter à la surface de l’île tranquille et familière.

La prairie émeraude, la surface calme d’un lac limpide, le bosquet paisible d’arbres anciens… il était déjà venu ici, dans un futur lointain. Bien sûr, aujourd’hui, l’île n’était plus tout à fait la même. Des flaques de sang de dragon grésillaient sur l’herbe verte, et des volutes de fumée flottaient dans l’air, apportées par le vent depuis la ville en flammes.

Il regarda la Tour d’Ivoire et vit le corps d’un magnifique dragon blanc enroulé autour d’elle, qui n’était pas encore réduit à l’état d’os usés par le temps.

Sunny resta immobile un moment, puis alla chercher Kai.

Le jeune homme était allongé sur l’herbe non loin de là, inconscient. Son armure avait fondu et s’était désintégrée, et sa peau d’écorce semblait abîmée et brûlée. Plusieurs de ses os étaient brisés, et son visage défiguré était contorsionné par une expression de douleur.

Mais il était vivant.

Après avoir vérifié l’état de son ami, Sunny en vint à la conclusion que la vie de Kai n’était pas en danger. Ses blessures, bien que sérieuses, n’étaient pas suffisantes pour tuer un Éveillé. Du moins, pas dans un court laps de temps…

Ne sachant que faire d’autre, Sunny invoqua le Linceul du Marionnettiste, le déploya et plaça le tissu doux sous la tête de l’archer en guise d’oreiller. Il s’attarda ensuite quelques instants, tapota l’épaule de Kai et se leva.

Il s’avança alors lentement et se tint devant la tête du dragon mort, regardant les portes fermées derrière lui.

C’était bien cela.

La prison de Hope…

Alors qu’il étudiait les portes, quelque chose bruissa soudain derrière lui. Sunny resta immobile quelques instants, puis se retourna lentement. Ses yeux étaient sombres et creux.

…Noctis n’avait pas l’air aussi mal en point qu’après le combat contre Solvane, mais il n’avait pas l’air bien non plus. Le sorcier était meurtri et amoché, son corps couvert de terribles brûlures. Ses vêtements élégants s’étaient transformés en haillons, et ses cheveux noirs comme le jais étaient roussis et inégaux.

Il avait aussi l’air… différent.

C’était comme si le fardeau de la folie qui avait obscurci ses beaux yeux gris avait enfin disparu, les laissant étincelants et clairs. Le sorcier avait l’air radieux et à l’aise, dégageant une aura fraîche et apaisante. Sa présence amicale enveloppait Sunny comme une étreinte.

Peut-être était-il ainsi il y a des siècles, avant que le devoir d’être une entrave pour Désir ne le rende tordu et alourdi par la malédiction de la servitude éternelle.

Noctis jeta un coup d’œil vers l’étendue d’ivoire de la grande pagode, puis regarda Sunny en souriant :

“Ah, Sunless ! Je te prie d’excuser mon apparence ébouriffée. On dirait… on dirait que nous avons gagné, pas vrai ?”

Sunny s’attarda quelques instants, puis lui adressa un hochement de tête silencieux.

Il fit ensuite face au sorcier et lui demanda :

“Alors, et maintenant ? C’est tout ? On en a fini ?”

Noctis resta silencieux un moment, puis secoua légèrement la tête.

“Eh bien… en fait, il reste une petite chose à faire.”

Un sourire tordu apparut sur le visage de Sunny, et il détourna le regard, cachant ses yeux du sorcier. Sa voix résonna dans la Roche Extraordinaire, teintée d’une émotion amère :

“…Je croyais que tu avais dit qu’elle pouvait briser une chaîne toute seule.”

Noctis sourit.

“Oh, je pense qu’elle le peut. Mais…”

Le sourire de l’immortel pâlit puis disparut, laissant son visage étrangement dénudé.

“…Cela ne veut pas dire qu’elle doit le faire.”

Il soupira, puis détourna le regard vers les colonnes de fumée qui s’élevaient au-dessus de la ville mourante. Son regard était distant et solennel.

“As-tu déjà vu un loup se ronger la patte pour échapper à un piège, Sunless ? Ah… c’est une chose terrible à voir. Je ne souhaite un tel destin à personne.”

Noctis resta silencieux un moment, puis ajouta d’un ton mélancolique :

“Les loups… sont faits pour être libres.”

Puis, un sourire insouciant apparut à nouveau sur son beau visage, et le sorcier se tourna vers Sunny, des étincelles dansant dans ses yeux gris.

“Alors, mon ami… le temps est enfin venu pour moi de te demander quelque chose.”

Il tendit la main et ouvrit sa paume. Sunny resta silencieux, refusant de regarder dans la direction du sorcier.

“Me donneras-tu le Couteau d’Obsidienne ?”

Bon sang !

Sunny avait tant envie de dire. Il voulait tant faire. Il ressentait tellement de choses…

Mais il savait que cela aurait été une chose mauvaise et cruelle à faire.

Une trahison.

Il soupira lourdement, puis fit face à Noctis. Un tourbillon d’étincelles apparut autour de sa main.

“Je n’ai jamais vu de vrai loup, tu sais ? Et oui, je vais le faire… puisque tu me l’as gentiment demandé…”

Il ouvrit le couvercle du Coffre de la Convoitise, fouilla à l’intérieur, puis déposa le couteau taillé dans un seul morceau d’obsidienne dans la main du sorcier.

Noctis le reçut et regarda calmement la lame noire. Ses doigts se refermèrent lentement sur le manche.

Un sourire triste apparut sur son visage.

“Eh bien, alors… je suppose que c’est un au revoir. Adieu, Sunless. Tu as été un précieux ami pour moi. Et je… j’espère que j’ai été un bon ami pour toi aussi.”

Il soupira, s’attarda quelques instants, puis ajouta :

“Mais avant de nous séparer, je dois te dire quelque chose.”

Sunny le regarda d’un air sombre et demanda d’une voix rauque :

“Quoi ?”

Noctis secoua silencieusement la tête.

“Tu… tu devrais vraiment arrêter de porter du noir. Quelle couleur terriblement terne ! Ah, Sunless… tu vaux mieux que ça…”

Ce disant, le sorcier éclata de rire et fit un pas en avant.

Il hésita une seconde, puis serra Sunny dans ses bras. En raison de leur différence de taille, Sunny dut se pencher un peu.

Noctis gloussa, puis devint silencieux pendant un moment.

Finalement, il soupira et chuchota, sa voix étant soudainement basse et sombre.

Seulement six mots, chacun d’eux ayant un poids incommensurable :

“Ne fais jamais confiance aux dieux.”

Puis le sorcier lâcha Sunny, sourit une dernière fois et s’éloigna.

Bientôt, il disparut de la scène.

Peu de temps après, l’Île d’Ivoire trembla légèrement lorsque la dernière chaîne qui la maintenait en place se brisa.

Sunny serra les dents, puis détourna le regard et s’essuya les yeux.

Ses épaules s’affaissèrent.

“Maudite canaille… tu m’as encore piégé…”