Shadow Slave - Chapitre 2145
Chapitre 2145 – Porte Brisée
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Alors que l’expression de l’abomination caprine se relâchait et que ses mains monstrueusement puissantes s’abaissaient, Cassie prit une profonde inspiration.
Elle devait le faire, car même si Jest était pris dans l’abîme illimité de ses yeux, la bataille n’était pas terminée.
Ce qui allait se passer ensuite serait également une bataille.
Cassie avait brisé les défenses mentales de Maître Orum avec une relative facilité, mais Jest était un Saint — qui, de surcroît, n’était pas étranger à la manipulation mentale. Elle allait donc devoir travailler dur pour extraire de ses souvenirs ce qu’elle voulait apprendre.
Mais c’était justement le but recherché.
C’est pourquoi elle avait pris le risque d’être attirée dans les profondeurs de la jungle par un sombre tueur, enduré un combat difficile et laissé son corps subir des coupures et des meurtrissures.
En vérité, aussi redoutable que soit Saint Jest, ce n’était guère difficile pour elle de se débarrasser de lui. Si Cassie voulait simplement le tuer, les possibilités étaient innombrables — le plus difficile n’était pas le vieil homme lui-même, en réalité, mais la réaction du Roi des Épées face à sa mort.
Ils étaient loin du regard attentif du Roi ici, cependant…
Et pourtant, Cassie avait toujours les mains liées. Parce qu’elle voulait garder Helie en vie et qu’elle avait besoin de garder Jest en vie. C’est ainsi qu’elle s’était retrouvée dans une bataille contre deux Saints qu’elle ne pouvait pas tuer.
Bien sûr, maîtriser quelqu’un était bien plus difficile que de le tuer. Elle était donc meurtrie et souffrait, le sang imbibant ses vêtements sous son armure abîmée.
Toutefois, le déroulement des événements s’était pratiquement conformé à ce qu’elle souhaitait. Saint Jest s’était révélé encore plus fort qu’elle ne l’avait prévu, mais il était voué à perdre dès qu’il avait jeté son dévolu sur Cassie.
C’était ironique, vraiment… parmi les serviteurs du Grand Clan Valor, le vieil homme semblait être le seul à avoir vu clair dans ses faux-semblants. Il avait senti que la calme, discrète et facilement oubliable Dame Cassia était bien plus dangereuse que tout le monde ne le présumait.
Malgré cela, il l’avait encore sous-estimée.
C’était comme si sa personnalité discrète avait réussi à l’induire en erreur, même après avoir été perçue et découverte comme une fausse façade.
En toute honnêteté, Cassie était assez amusée de voir à quel point le simple fait d’être silencieuse, polie et modeste avait permis aux gens de ne pas la considérer comme une véritable menace.
Encore une fois, c’était peut-être simplement la conséquence du fait qu’il était difficile de se démarquer lorsque des monstres comme Étoile Changeante et le Seigneur des Ombres se promenaient dans le monde. Il y avait aussi Faucheuse d’Âmes et le Prince de Rien… de grands talents comme Morgan, Seishan, Maîtresse des Bêtes, Aether, Effie et Kai, qui rivalisaient tous dans la grandeur de leurs exploits et de leurs réalisations.
À cause d’eux, les gens avaient tendance à oublier que Cassie avait, elle aussi, survécu au Rivage Oublié. Elle aussi avait été baptisée par la folie du Royaume de Hope. Elle avait également participé à la Bataille du Crâne Noir, enduré les horreurs du Désert du Cauchemar, et plongé dans les eaux profondes et sombres du Grand Fleuve…
Elle aussi était un monstre.
C’est juste qu’elle cachait sa nature monstrueuse mieux que la plupart de ses pairs, derrière un joli bandeau.
« Ah… que… que diable… »
À quelques mètres de là, Helie gémissait en s’agrippant à sa tête en sang. Maintenant que Jest était pris dans le regard envoûtant de Cassie, ses pouvoirs liés à son Aspect étaient libérés, ce qui lui permit de retrouver ses esprits.
Se retournant, Helie regarda d’un air hébété la scène qui se déroulait devant elle. L’abomination hideuse aux allures de chèvre était agenouillée, regardant dans les yeux la jeune femme délicate et d’une beauté à couper le souffle qui se tenait devant lui, ses cheveux dorés bougeant légèrement dans le vent.
Derrière la créature agenouillée… une autre silhouette délicate planait au-dessus du sol, d’effroyables tentacules s’étirant sous sa robe rouge raffinée pour l’attacher comme des chaînes noires et humides.
Alors qu’Helie essayait de comprendre ce qu’elle voyait, la femme en rouge se déplaça, portée dans les airs par ses longs tentacules. Ce mouvement était si étrange et inhumain qu’Helie en frissonna.
Elle frissonna à nouveau et recula lorsque la femme en rouge se mit à planer au-dessus d’elle, la regardant derrière son voile.
Helie eut une forte envie de s’enfuir en rampant.
« Qu-Quoi… »
Avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit d’autre, une main de la femme en rouge se leva. Avec une étrange élégance, l’abomination tendit la main vers son voile… puis la créature appuya son index à l’endroit où se seraient trouvées des lèvres humaines.
Comme si elle disait à Helie de se taire.
…Écho. C’est un Écho.
Se calmant, elle jeta un nouveau coup d’œil à Chant des Déchus et à Jest, puis devint silencieuse. Peu importe ce qui se passait là-bas, Cassia semblait le maîtriser… Helie, elle, saignait abondamment et devait s’occuper de sa blessure.
Cassie ne pouvait plus se laisser distraire.
Après avoir activé sa Transformation — qui n’affectait que ses yeux — elle plongea dans le vaste océan hostile des souvenirs de Saint Jest.
Ce dernier tenta de lui résister, rendant beaucoup plus difficile le discernement de ce qu’elle voyait et ressentait, mais Cassie continua à avancer, brisant impitoyablement ses redoutables fortifications mentales, l’une après l’autre.
Parce que sa proie était si résistante, et parce que sa vie avait été si longue et si riche, elle brûlait plus d’essence que d’habitude pour maintenir sa Transformation. Ils se trouvaient toujours dans les Creux — même si aucune menace immédiate ne semblait se profiler à l’horizon, cela pouvait changer à tout moment.
Cassie n’avait donc pas le luxe de pouvoir passer au crible les souvenirs de Jest, lentement et minutieusement. Au lieu de cela, elle devait trouver les plus importants, les plus intenses… et, avec un peu de chance, découvrir un moyen d’apprendre les secrets des Souverains à travers eux.
Inspirant profondément, elle plongea dans la vie de Jest de Dagonet, la lame cachée et le bourreau des Grands Clans.
***
« Merde. Putain… qu’est-ce que c’est que ça ? Vraiment… »
Jest était rentré chez lui.
Sa maison, bien sûr, était un baraquement en béton où des dizaines de familles d’ouvriers avaient vécu dans des conditions pitoyables, luttant pour survivre sous l’autorité indifférente du régime. Les vies étant courtes et les décès fréquents, ce n’était pas surprenant que des visages familiers disparaissent sans laisser de traces, remplacés par de nouveaux le lendemain.
En grandissant, il avait renoncé à se souvenir des noms des nombreux oncles et tantes qui passaient par le baraquement, car cela semblait être un effort futile.
Pourtant…
Maintenant, tout le monde était mort, et cela faisait un peu trop. L’intérieur du baraquement ressemblait à une scène d’enfer, avec d’innombrables cadavres à moitié dévorés qui jonchaient le sol comme un tapis morbide. Le massacre semblait avoir eu lieu il y a plusieurs jours, de sorte que le sang avait séché depuis longtemps. Cependant, l’odeur qui s’en dégageait était accablante et le fit vomir.
« Ah… ah… »
Jest voulut entrer pour chercher les restes de sa famille, mais ne put s’y résoudre.
Au lieu de cela, il recula de quelques pas et se retrouva affalé sur le sol.
Son esprit était vide et des larmes coulaient sur son visage.
Il semblerait que j’aie encore des larmes à verser, hein ?
Cette pensée était étrangement calme et détachée malgré son état misérable.
Jest n’avait pas pleuré depuis une bonne dizaine d’années. Après tout, il était devenu un adulte, puisqu’il avait eu vingt ans il n’y a pas si longtemps. Il s’était finalement échappé du baraquement il y a environ un an. Il avait même nourri le vain espoir de revenir ici un jour, les poches pleines de crédits, de se vanter de ses exploits et d’emmener les autres avec lui pour mener une vie meilleure loin d’ici.
Qui aurait cru que la fin du monde arriverait si vite ?
Aujourd’hui, des monstres erraient dans les rues, dévorant les gens et détruisant les chars d’assaut. Le régime s’était effondré, et il n’avait nulle part où retourner.
Jest s’était évanoui lorsque la fin du monde avait commencé et avait vécu un long et épouvantable cauchemar. Se réveillant quelques jours plus tard, tant bien que mal vivant, il décida que cela ne servait à rien de s’accrocher à ses rêves idiots et rentra chez lui… dans sa vraie maison, le baraquement.
La traversée de la ville s’était avérée être une épreuve mortelle, mais il avait survécu d’une manière ou d’une autre. Au cours de cette traversée, une poignée de personnes comme lui — des gens qui s’étaient endormis profondément et s’étaient réveillés avec des pouvoirs inexplicables.
Mais c’était une plaisanterie. Tout cela n’était qu’une ignoble et terrible plaisanterie.
Parce que son pouvoir n’était que de la pure foutaise.
Tout ce qu’il pouvait faire, c’était renforcer les émotions. Comme la seule émotion ressentie par les monstres était un désir dément de le mettre en pièces, la seule chose que Jest pouvait faire était de mettre fin à ses jours le plus rapidement possible.
Peut-être que je devrais. Mourir plus vite, je veux dire…
En regardant la porte brisée du baraquement, Jest ressentit soudain un sombre et oppressant sentiment de futilité.
Pourquoi se battait-il, d’ailleurs ?
C’était la fin du monde, personne n’avait survécu. Pourquoi s’accrochait-il si désespérément à la vie alors qu’elle était si douloureuse ?
Baissant les yeux, il laissa échapper un rire étouffé.
« Ah. Ah ! Mais… mais… »
Mais ce n’était pas drôle ?
Malgré les larmes qui coulaient de ses yeux, il se força à sourire.
Il y avait une leçon que les pensionnaires du baraquement avaient apprise très tôt… la vie était insupportable si l’on était trop sérieux.
Les humains devaient avoir le sens de l’humour pour survivre dans ce monde de merde.
Le monde était devenu encore plus merdique maintenant, alors…
Il y avait bien une blague quelque part.
Il fallait juste qu’il la trouve.
« Je suppose que vous n’avez plus besoin de vous tuer au travail. »
Tu vois ?
Il y avait un bon côté à tout.
Les larmes de Jest avaient un goût salé, mais il se força à rire.
Se levant du béton, il décida d’essayer de survivre.
Non pas que ce soit facile… personne n’avait un pouvoir aussi inutile que le sien, après tout, alors il mourrait sans doute bientôt.
Mais il allait au moins mourir en souriant et en s’amusant.
…Son sourire forcé s’effaça néanmoins lorsqu’il entra dans le baraquement et commença à fouiller le morbide tapis de cadavres.
Cela prit un long moment avant qu’il ne revienne.