Shadow Slave - Chapitre 1823
Chapitre 1823 – Boue
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Une plaine désolée s’étendait à perte de vue sous le ciel nuageux. L’horizon était recouvert d’un voile bruissant de pluie froide, et le sol s’était transformé en une interminable étendue de boue.
Un canyon coupait la plaine comme une profonde cicatrice, résonnant d’étranges pleurs. Il se transformerait bientôt en rivière déchaînée, mais pour l’instant, les pentes verticales n’étaient noyées que dans les ténèbres.
Une jeune femme se déplaçait dans la plaine, tirant derrière elle un traîneau de fortune… bien qu’il eût été difficile de la reconnaître comme humaine à première vue. Couverte de boue de la tête aux pieds, elle ressemblait à un golem décharné fait d’argile. La boue collait à sa peau et à ses vêtements, donnant à cette femme l’impression d’être une partie de la terre désolée qui avait pris vie d’une manière ou d’une autre.
Son visage et ses cheveux étaient également recouverts de couches de terre. Seuls ses yeux sombres et enfoncés étaient visibles, brûlant d’une détermination féroce.
…En fin de compte, Rain avait tenu plus d’une journée.
Elle avait atteint son point de rupture depuis longtemps. Mais, pour une raison ou pour une autre, elle avait réussi à continuer, même après avoir été brisée. Plus tard, elle fut confrontée à une autre limite, bien plus profonde… Rain n’était pas sûre de ce que c’était, et n’arrivait pas à s’en souvenir clairement. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’elle était toujours debout.
C’était tout ce qui comptait.
La civière d’origine était tombée en morceaux depuis longtemps. La cape enchantée était en bon état, bien sûr, mais le cadre en bois s’était fissuré et brisé. Rain avait continué à la réparer du mieux qu’elle pouvait, mais à un moment donné, elle ne pouvait que jeter les branches cassées et les remplacer.
Elle construisit la nouvelle armature à partir des os des Créatures du Cauchemar qui les avaient attaqués au cœur de la nuit.
Le tintement mélodieux des cristaux d’essence s’entrechoquant dans les profondeurs de son âme était presque assourdissant à présent, remplissant ses oreilles. Sa vision était devenue vague et étroite. La majeure partie de sa conscience était accaparée par la sensation de l’essence d’âme qui tournait dans un tourbillon déchaîné, imprégnant chaque cellule de son corps. Le reste était rempli d’épuisement et de douleur.
Un pas. Un autre pas. Et encore un autre.
Plus elles avançaient vers le sud, plus le temps s’assombrissait. Une pluie glaciale tombait du ciel gris de plus en plus fréquemment et de plus en plus fort. Cela ne la dérangeait pas. Non seulement elles ne souffraient pas de la soif, mais tirer la civière dans la boue était plus facile que si le sol était sec.
Bien sûr, il s’agissait d’un échange périlleux. Rain serait probablement morte sans sa combinaison militaire — être mouillée signifie perdre de la chaleur, et la chaleur, c’est de l’énergie. Vu l’effort qu’elle fournissait, l’énergie était une ressource précieuse qu’elle n’osait pas gaspiller.
Son corps avait déjà commencé à se consumer, c’était donc une denrée rare.
Tamar, quant à elle, ne s’en sortait guère mieux.
Elle n’avait pas à s’épuiser physiquement et ses blessures guérissaient. Mais de nouvelles s’étaient ajoutées aux anciennes après cette attaque nocturne. La jeune Héritière avait perdu beaucoup de sang, et même si elles avaient fini par abattre les abominations, ce n’était pas sans un certain coût.
Rain s’inquiétait pour la jeune fille.
Elles n’avaient pas eu beaucoup d’occasions d’apprendre à mieux se connaître au cours des six derniers jours — la plupart de leur temps était consacré à la marche interminable et épuisante, et lorsqu’elles se reposaient le soir, elles étaient toutes les deux trop fatiguées pour parler.
Pourtant, Rain avait l’impression qu’un lien invisible s’était formé entre elles. Comment en serait-il autrement, après avoir traversé tant d’épreuves ensemble ? La plaine boueuse, le ciel en larmes, le désir ardent de survivre… personne d’autre ne connaîtrait ou ne se souviendrait de ces épreuves, mais elles, oui.
Un bruit la distrait soudain.
Elle l’entendit à peine derrière le bruissement de la pluie, le rugissement de l’eau qui s’engouffrait dans le canyon, la mélodie de son essence d’âme et le silence de ses pensées engourdies.
« ni ! Rani ! Ra… »
Elle tressaillit et reprit ses esprits. L’instant d’après, elle vit plusieurs silhouettes rapides se précipiter sur elles à travers la pluie.
Des Créatures du Cauchemar.
Soyez maudites…
Sans perdre de temps, Rain tomba au sol.
Derrière elle, Tamar était déjà assise sur la civière. Elle tenait un arc d’une main, encochant une flèche sur sa corde de l’autre.
Tandis que Rain se démêlait fébrilement du harnais en alliage, la jeune Héritière décocha la flèche. Celle-ci traversa la pluie battante et atteignit l’une des abominations à l’épaule. Malgré son état de faiblesse, Tamar parvint à maintenir une précision admirable, mais ce ne fut pas suffisant. La créature trébucha et roula sur le sol, puis se releva et continua à sprinter.
Bien qu’elle ait été profondément blessée, aucun de ses organes vitaux ne fut touché.
Bon sang !
Il y avait trois abominations, chacune de la taille d’un loup. D’après leur apparence, elles n’étaient que des Éveillées… en réalité, toutes deux avaient eu de la chance de ne pas rencontrer de Créatures du Cauchemar Déchues jusqu’à présent. Cependant, une abomination Éveillée était absolument mortelle. Surtout dans une situation comme celle-ci, lorsque l’initiative était de leur côté.
…Argh, tellement fatigué.
Rain resta allongée sur le sol quelques instants, avant de se mettre à genoux et de dégainer son couteau de chasse. Elle saisit la poignée de la dague enchantée de son autre main et se releva, tenant les deux lames en position défensive.
Entre-temps, Tamar avait déjà décoché une autre flèche, mettant finalement à terre l’abomination blessée. Son visage était pâle, et l’horrible blessure qui s’étendait sur son épaule et sa poitrine s’était ouverte, suintant de sang. L’effort que représentait le fait de tirer un puissant arc enchanté était trop important pour qu’elle puisse l’endurer.
Et pourtant, elle tirait déjà la corde pour la troisième fois.
Les Créatures du Cauchemar étaient presque sur elles. Elles s’élancèrent toutes deux dans un éclair de griffes, de crocs et d’yeux frénétiques.
La flèche de Tamar toucha l’une d’entre elles à la tête, la tuant sur le coup.
L’autre sauta sur Rain. Elle plongea sous ses griffes et lança ses deux lames en avant. Le couteau de chasse pénétra à peine la peau dure de l’abomination et lui échappa, mais la longue dague s’enfonça dans sa chair jusqu’à la garde.
La créature tomba sur Rain et l’envoya s’écraser au sol. Elle réussit de justesse à pousser l’abominable bête, l’envoyant voler au-dessus de sa tête. Elles tombèrent simultanément.
Ça fait mal.
Rain tomba sur le dos, mais tourna sur elle-même et se releva presque immédiatement. S’élançant vers l’abomination qui se débattait, elle la plaqua au sol de tout son poids et la poignarda à plusieurs reprises. Ses coups visaient tous les endroits où les organes vitaux auraient dû se trouver.
Au bout d’un moment, la bête cessa de bouger.
Rain s’extirpa faiblement de son cadavre et s’étala dans la boue.
Après cette violente poussée de force, elle avait l’impression qu’elle ne pourrait jamais se relever.
Et pourtant… pendant tout ce temps, la sonnerie mélodieuse ne se tarissait pas. Même en étant attaquée par une abomination hargneuse, en la plaquant au sol et en enfonçant sa lame dans sa chair, Rain n’avait jamais cessé de faire circuler son essence.
Quelque part au fond d’elle, un autre grain de sable radieux s’était formé.
Elle sourit d’un air fatigué.
Bientôt… Bientôt…
Des gouttes de pluie tombaient lourdement sur son visage brûlant.