5643-chapitre-94
Chapitre 94 – Ascendants de Différentes Origines
Traducteur : _Snow_
Team : World Novel
» La vache… Ce truc doit-il toujours démanger ? » Elmer grommela en silence en descendant de la voiture publique dans laquelle il était monté et en s’engageant sur le trottoir de la rue opposée au pub de l’Orbe du Destin.
Son visage était visiblement crispé par la frustration qui l’habitait et qui était née de son incapacité à soulager efficacement les démangeaisons de ses joues et de son menton.
Ce n’était pas qu’il ne pouvait pas les gratter et calmer les petites mais ennuyeuses démangeaisons qui le dérangeaient, c’était juste que ses doigts sous des gants de cuir l’empêchaient d’essayer de se donner satisfaction. La seule option qu’il avait maintenant était de se rendre rapidement au Marché Noir pour pouvoir enlever ses gants et passer à l’acte. Ici, dans le froid propre à cette période de l’année, il n’y avait aucune chance qu’il y parvienne. Ses mains rougiraient, gèleraient et se démangeraient.
Sachant qu’il ne pouvait rien faire contre son inconfort, Elmer s’en accommoda et porta à ses yeux sa montre à gousset en argent, qu’il ouvrit d’un coup sec.
« Huit heures dix-huit minutes », marmonna-t-il en refermant le garde-temps et en le remettant dans la poche de son gilet.
Elmer avait déjà confirmé en secret, avant de descendre du carrosse, que personne qu’il connaissait n’était présent à l’Orbe du Destin.
Pour ce faire, il avait utilisé son pendentif divinatoire, dirigeant la prière vers toutes les personnes avec lesquelles il avait un lien notable, à l’exception du barman qui travaillait au pub. Le pendentif n’ayant pas tremblé violemment, il avait obtenu sa réponse et s’était donc détendu un peu à l’idée d’être vu par quelqu’un qu’il connaissait.
Sa postiche masquerait sans doute un peu ses traits, mais il savait qu’une telle mascarade s’effondrerait sous un examen plus approfondi.
Prenant un moment d’attente, Elmer observa depuis le bord de la passerelle – avec les autres personnes qui semblaient partager les mêmes pensées que lui – les voitures à vapeur et les wagons qui encombraient la zone prendre leur temps pour libérer la chaussée.
Les klaxons de plus en plus nombreux, mêlés aux ronflements moins énergiques des chevaux qui tiraient, aidèrent Elmer à réaliser à quel point le District Étranger avait changé depuis l’arrivée de la neige.
La beauté de cette zone d’Ur, qui contrastait habituellement avec le reste de la ville, avait disparu.
Les gens n’étaient plus vêtus de tenues flamboyantes et variées. Ils étaient tous habillés de la même façon, d’épais manteaux noirs ou bruns, parfois blancs, avec des gants de cuir et des bottes et chaussures robustes pour se protéger du froid.
Le soleil, lui non plus, n’était pas présent dans le ciel pour diffuser de la chaleur. Et les myriades de bâtiments, autrefois si colorés, étaient désormais peints de façon indistincte dans la teinte de la neige.
Le District Étranger, à cet instant, ne se distinguait plus d’aucun autre endroit d’Ur. Il était de la même blancheur que n’importe quel autre Quartier ou District.
« Au moins, la nuit, il conserve un peu de sa beauté », se dit Elmer, les lèvres baissées et un haussement d’épaules indiscernable sous son haleine froide. C’est alors que les klaxons et les grognements diminuèrent enfin d’intensité et qu’un espace étroit s’ouvrit sur la route pour traverser.
Les mains maintenant placées délicatement dans les poches de sa veste, Elmer traversa, rejoignant la horde de gens, de l’autre côté de la rue.
Contrairement au reste des messieurs, des dames et des enfants, qui continuaient à marcher vers leur destination avec des cannes à la main pour compléter leur tenue diligente, ou des parapluies pour attraper la neige qui tombait, Elmer s’arrêta devant la porte du pub de l’Orbe du Destin. Là, il s’accorda un moment pour regarder à travers la fenêtre gauche de l’œil-de-bœuf givré qui la flanquait. Et comme elle n’était ni couverte par des rideaux, ni complètement obscurcie pour empêcher toute forme de vue, il put distinguer, en plissant les yeux, le jeune barman à la queue de cheval dans sa tenue de travail, une chemise blanche rentrée dans un pantalon noir avec un tablier autour de la taille, en train de nettoyer les tables d’appoint réparties à l’intérieur.
Elmer soupira, sortit sa main droite de la poche de sa veste et abaissa le bord de son chapeau plat dans l’espoir qu’il couvre au moins un peu plus son visage. Il activa ensuite sa vue spirituelle et rendit sa voix rauque grâce à l’essence spirituelle grise, avant d’entrer dans le pub, laissant derrière lui les tintements de la cloche de la porte.
Dès qu’il se retrouva entre les murs de l’établissement, l’état d’esprit morose dans lequel il se trouvait disparut d’un seul coup. La chaleur dégagée par le grand foyer aux formes complexes qui brûlait à côté de l’estrade avait envahi son corps et effacé toute trace de froid à laquelle il avait été exposé.
Bien sûr, le temps froid n’aurait pas été un problème pour lui s’il avait pu fabriquer des charmes. La chaleur qu’il pouvait créer à partir de l’essence de chaleur dont il s’enveloppait pouvait à peine lutter contre le froid de l’hiver. Et comme il ne pouvait pas en imprégner des objets au hasard, car ils s’effriteraient, cela signifiait qu’il ne pouvait pas avoir de foyer portatif dans sa poche.
Si seulement…
Les sourcils d’Elmer se froncèrent soudain lorsqu’une idée lui vint à l’esprit.
Oui ! Il pourrait essayer cela !
Se raclant la gorge, Elmer s’avança dans le pub, sa main droite tenant fermement le bout de sa casquette afin de masquer son visage le plus possible.
« Bonjour », salua-t-il de sa voix désormais rauque, et attira complètement l’attention du barman sur lui.
« Bonjour », répondit le barman, qui reprit immédiatement son travail de nettoyage. « Nous ne sommes pas encore ouverts », dit-il à Elmer. « Revenez vers midi. »
« Marché noir », dit Elmer instantanément. Plus il y passait de temps, plus le barman le reconnaîtrait facilement.
Le barman dit immédiatement : « Vous connaissez le chemin, je suppose ? », puis il se tourna vers la silhouette d’un homme costaud qui se tenait devant une porte unique à côté du bar, et qui fit un signe de tête indistinct.
Elmer ne fit un signe de tête à personne après avoir entendu les paroles du barman. « C’est le cas. »
Et sur ce, il passa la première porte et son garde, la seconde et ses gardes, et arriva dans la zone sans ciel qu’était le Marché Noir, son masque vocal s’arrêtant rapidement après avoir accompli sa mission.
Comme prévu, l’endroit était étouffant et rempli. L’odeur de la sueur mélangée à celle des parfums et de l’eau de cologne se répandait dans l’air, rendant la respiration quelque peu inconfortable.
Il y avait aussi les bavardages incessants des différentes personnes qui se trouvaient dans la zone encombrée, provoquant le genre de bruit qui avait tendance à assourdir un nouveau-né dont les lobes d’oreilles ne s’étaient pas encore développés.
Mais il n’était pas là pour disséquer et évaluer l’ambiance du marché. Il n’avait qu’à faire ce pour quoi il était venu et partir.
Saisissant l’occasion que lui offrait le fait de se trouver dans un environnement étouffant sans air frais, Elmer enleva ses gants et donna enfin à son visage la satisfaction qu’il attendait en apaisant ses démangeaisons avec ses ongles soigneusement taillés. Il expira ensuite comme s’il avait atteint une sorte d’extase divine.
Après s’être gratté, Elmer fit le premier pas dans la rue à sens unique qui constituait le Marché Noir, son but principal étant de trouver le magasin ordinaire où il avait toujours acheté ses ingrédients.
Il n’y avait aucun autre magasin avec lequel il avait eu autant d’interactions concernant le surnaturel, et son instinct le menait donc là, comme première tentative pour résoudre ses problèmes de barrière linguistique.
Alors qu’il se déplaçait avec une lenteur frustrante au milieu d’un groupe de personnes bruyantes qui lui barraient la route, Elmer eut soudain une pensée éclairante qui lui vint à l’esprit. Une idée que son cerveau avait déjà rencontrée il y a un certain temps, mais qu’il n’avait pas approfondie à l’époque.
En mettant en parallèle ce qu’il voyait de l’ambiance totalement différente des centaines d’individus qui se pressaient dans cette zone qu’était le Marché Noir, et les merveilles du surnaturel, il en vint instantanément à une conclusion assez évidente : chaque personne ici, ou quelques personnes, venaient de villes différentes les unes des autres.
Il ne se basait pas sur un vœu pieux, il était tout à fait sûr de sa déduction.
La plupart d’entre eux étaient habillés en fonction de l’hiver qui sévissait à Ur en ce moment, et même s’il ne savait rien du fonctionnement des autres villes, il ne s’attendait pas à ce que le climat soit différent de quelque manière que ce soit. Au moins, toutes les personnes présentes dans cette zone auraient dû être habillées de façon similaire.
Mais ce n’était pas le cas.
Il y avait des gens qui portaient des vêtements qu’il n’avait jamais vus auparavant, à tel point qu’ils étaient indescriptibles. Ils lui semblaient étrangers, comme s’ils n’appartenaient pas au même terrain que les hommes en costume et en gilet de jour, et les dames en belles robes brodées.
Les vêtements de certains d’entre eux étaient extrêmement larges et composés d’innombrables couches, de sorte que la seule partie de leur corps visible était leurs orteils à travers leurs sandales, et leurs yeux ainsi que l’arête de leur nez. On aurait dit qu’ils s’étaient habillés pour lutter contre le froid, mais Elmer savait que ce n’était pas le cas. On aurait dit qu’ils luttaient contre quelque chose d’autre, d’où qu’ils viennent, une force de la nature bien pire que la neige et le froid qui l’accompagne.
D’autres portaient des vêtements qui évoquaient la campagne, mais en les regardant attentivement, Elmer pouvait voir qu’ils n’avaient pas le visage de l’ignorance. Pour en avoir déjà été un, il connaissait très bien l’attitude qui correspondait à cet état.
De plus, il y avait ceux qui portaient des tuniques, des culottes et des robes grossières, des vêtements qui, s’ils étaient portés à Ur à l’heure actuelle, signifieraient sans aucun doute une mort inévitable.
Certaines de ces personnes avaient la peau plus foncée que l’ébène, et leurs yeux, leurs sourcils et leurs lèvres étaient d’un noir profond. Il en allait de même pour les ongles des mains et des pieds. Et ces qualités, ils les partageaient entre hommes et femmes.
Leurs tenues rappelaient à Elmer une personne qu’il avait croisée lors de son premier jour dans cet espace, sauf que ce jeune homme semblait faire partie de la majorité de ceux qui avaient la peau claire et n’avaient pas de fard à paupières ni le reste de l’apparence remarquable des personnes à la peau foncée.
Il vit également des individus vêtus d’habits de chevalier, mais tous sans armure ni heaume.
Ils savaient manifestement qu’ils ne devaient pas porter des vêtements qui faisaient transpirer dans un tel endroit.
Leurs vêtements étaient pour la plupart des surcots de velours ou de cuir, mais certains portaient des cottes de mailles et des tabards. Les seuls points communs entre eux étaient les épées au fourreau autour de leur taille, les bracelets et les gants de cuir qui constituaient leurs mains, et les Emblèmes imprimés sur la poitrine de leurs habits.
Et même le dernier de ces éléments soulevait encore une différence qui divisait les gens habillés en chevaliers en deux parties.
Certains de ces emblèmes représentaient un bouclier d’or sur lequel figurait une figure royale, l’épée longue levée, debout sur une horde de corps empilés les uns sur les autres. D’autres représentaient un trèfle à quatre feuilles sur quelque chose qui ressemblait à un rocher.
Le premier dessin, Elmer ne le connaissait que trop bien grâce aux leçons d’histoire auxquelles Maîtresse Eleanor avait veillé à ce qu’il participe. C’était celui de l’empire de Fitzroy.
Quant au second, d’après les études personnelles qu’il avait faites sur le surnaturel, il se souvint instantanément qu’il s’agissait de l’Emblème de la Voie de la Terre. Le blason de la ville de Burkney.
Elmer fronça les sourcils alors qu’une explication sur la raison pour laquelle il y avait deux emblèmes différents pour les chevaliers lui venait à l’esprit.
Est-ce quelque chose comme les pirates de Wyndham… ? Pour la ville de Burkney, les Ascendants sont des chevaliers ou quelque chose de ce genre… ?
Il se détourna brusquement, mais rapidement, de l’allée bondée dans laquelle il se trouvait alors qu’un jeune homme passait en courant devant la foule, apparemment insouciant de l’étroitesse de celle-ci.
Personne ne le poursuivait, et Elmer ne s’attarda donc pas sur les raisons que l’étranger avait de perturber les conversations des gens à cause de sa précipitation.
Cependant, à cause de cette situation sans précédent, les pensées et les yeux d’Elmer s’étaient détournés des chevaliers et de leurs affiliations pour se porter sur un autre ensemble de vêtements.
C’était celle qu’il aimait le plus. Celle qu’il ferait n’importe quoi pour en faire partie, compte tenu des pouvoirs qu’il leur attribuait.
C’était la tenue des pirates !
Chapeaux tricornes, bandanas, ceintures de taille portant des coutelas, des rapières, des dagues ou des pistolets. Ce sont eux qui attirent le plus l’attention d’Elmer, tout simplement à cause de ses fantasmes incessants.
Mais son désir n’avait duré qu’une seconde avant qu’un choc à l’épaule ne lui rappelle la raison de sa présence au Marché Noir et tout ce qu’il avait fait et devait faire.
Naviguer sur les mers et jouer aux pirates était quelque chose qu’il ne ferait jamais – il ne pourrait jamais le faire. Sauver Mabel était la seule chose sur laquelle il devait se concentrer.
Une autre pensée persistait cependant, et c’était celle de la sécurité de cet établissement.
Chaque fois qu’il était venu ici, il n’avait jamais payé de droit d’entrée, ni même été fouillé pour éviter d’apporter des armes, et d’un simple coup d’œil autour de lui, il avait appris qu’il en était de même dans toutes les autres villes d’où venaient les individus présents ici.
La seule explication qui lui venait à l’esprit était que ce marché était en fait géré par l’Église, ou plutôt le Synode des Églises, sinon un si grand nombre de personnes n’aurait jamais eu accès à ce genre d’endroit. A moins qu’il ne soit tenu par un individu plus important que l’Eglise – peut-être l’Empereur lui-même ?
Si c’était le cas, cela ne changeait rien à la question qu’il se posait.
Cependant, le seul moyen pour lui d’obtenir une réponse à cette question était de causer quelques ennuis. Et il savait qu’il valait mieux ne pas le faire, car non seulement cela attirerait l’attention sur lui, mais cela lui causerait aussi tout un tas de problèmes – des problèmes qu’il ne souhaitait pas.
Vu que personne ne se disputait, il pensait que la sécurité ici n’était pas du même genre que les gardes costauds à l’extérieur. Ce serait quelque chose de très profond dans le surnaturel au point de pouvoir gérer des centaines d’Ascendants à la fois. Il ne voulait pas toucher à ce genre de choses.
Mieux vaut que je reste ignorant…
Elmer gloussa, et arriva finalement devant la porte de bois simple qui menait à la boutique d’ingrédients d’élixirs d’essence qui lui était tristement familière. Mais alors qu’il faisait un pas en avant pour tenter d’entrer, quelque chose d’éthéré lui tira soudain le cœur et arrêta momentanément son mouvement, le poussant à jeter instinctivement un coup d’œil sur le chemin faiblement éclairé à côté de la boutique.
Mais Elmer ne tarda pas à quitter la ruelle du regard, car quelques secondes plus tard, il soupira et secoua la tête. Il n’avait pas envie d’avoir un mal de tête douloureux pour le moment, alors il entra dans la boutique.