Chapitre 1754 – Je Souffre, Donc Je Suis

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Sunny se souvenait parfaitement de la première fois où il s’était rendu jusqu’à la frontière nord des Îles Enchaînées. À l’époque, Cassie et lui avaient mis un mois à atteindre le Temple de la Nuit depuis le Sanctuaire de Noctis.

L’Île du Sud était plus éloignée des Montagnes Creuses que le Sanctuaire — et pourtant, Sunny avait fait le voyage en moins d’une semaine. Et encore, si cela lui avait pris autant de temps, c’était uniquement parce qu’il y allait doucement.

Il n’avait plus besoin de traverser les chaînes célestes pour se rendre d’une île à l’autre. Au lieu de cela, il s’était simplement transformé en corbeau et avait volé vers le nord, se posant de temps à autre pour se reposer ou observer quelque chose de particulier.

L’Écrasement n’était pas un problème, car il pouvait s’en échapper à tout moment grâce au Pas de l’Ombre. Les Créatures du Cauchemar des Îles Enchaînées étaient trop faibles pour représenter une menace sérieuse pour lui, du moins tant qu’il restait vigilant. La plupart s’enfuyaient simplement, effrayés par sa sombre présence.

Étrangement, Sunny se sentait plus à l’aise dans le Royaume des Rêves que dans le monde réel. C’était comme si le fait d’être un Transcendant l’avait finalement rendu apte à exister dans cette terre de beauté et d’effroi.

Il aperçut rapidement une ligne noire à l’horizon nord. Plus il s’aventurait vers le nord, plus cette ligne devenait sombre et haute, jusqu’à ce qu’il puisse enfin distinguer les pics déchiquetés des Montagnes Creuses.

La grande chaîne montagneuse perçait le ciel comme les crocs d’un dragon géant… du moins, c’est ainsi que Sunny l’avait toujours perçue autrefois. Mais à présent, il savait qu’elles n’étaient qu’une cicatrice laissée à la surface du monde par la chute d’une Créature du Vide qui avait été tuée ici à l’aube des temps.

Les véritables ténèbres étaient nées du sang de cet être abyssal, qui s’était infiltré dans la terre brisée.

Après avoir contemplé les pics draconiens, Sunny baissa le regard et regarda vers le bas.

L’Île du Nord avait été détruite lors de la bataille entre Marée Céleste et Saint Cormac, et le gouffre séparant les Îles Enchaînées des Montagnes Creuses était plus large qu’auparavant. De l’autre côté de l’abîme sombre du Ciel Inférieur, les montagnes s’élevaient abruptement dans le ciel lointain, un brouillard blanc roulant le long de leurs pentes.

Ce brouillard s’écoulait dans l’abîme comme un mur de nuages et disparaissait dans les ténèbres.

Sunny expira lentement.

Il se tenait au bord d’une île, et la chaîne brisée qui la reliait autrefois à l’Île du Nord cliquetait silencieusement en contrebas. Au loin, de l’autre côté du gouffre, la grande chaîne d’ancrage qui reliait jadis les Îles Enchaînées aux Montagnes Creuses était cachée par le brouillard.

Il n’était pas seul.

Sainte, Serpent, Cauchemar et Fiélon l’entouraient. Les ombres lugubre, effrayante, hautaine, méchante et folle gisaient également sur le sol. Seule l’ombre joyeuse manquait à l’appel, occupée à sa propre mission.

Sunny expira lentement, puis regarda son groupe.

Il resta silencieux un moment, avant de dire avec un pâle sourire :

« La meilleure façon de procéder serait d’envoyer l’un d’entre vous dans le brouillard en premier. Pour voir comment ça se passe. »

Aucun d’entre eux ne montra de réaction… à l’exception de Fiélon, qui tenta de se cacher derrière Sainte sans attirer l’attention. Malheureusement, avec sa taille actuelle, se cacher derrière Sainte n’était plus aussi efficace qu’avant.

Sunny sourit.

« …Heureusement pour toi, personne ne m’a jamais accusé d’être intelligent. »

On l’avait complimenté sur son esprit de temps en temps, mais jamais sur un ton accusateur. Cette affirmation était donc techniquement vraie.

Secouant la tête, Sunny ordonna aux ombres de s’enrouler autour de son corps. Il congédia ensuite les Ombres et fit à nouveau face au gouffre abyssal.

Quel ennui…

Il avait déjà essayé d’étendre son sens de l’ombre dans le brouillard pour franchir le gouffre avec le Pas de l’Ombre, mais il n’avait pas pu sentir la moindre ombre de l’autre côté. En fait, il ne sentait rien du tout. C’était comme si… rien existait au-delà du brouillard.

Peut-être même littéralement.

C’est parti.

Sunny se fondit dans les ombres, puis en émergea sous la forme d’un corbeau. Battant des ailes, il croassa bruyamment et s’envola vers les Montagnes Creuses.

Il laissa derrière lui le cliquetis des chaînes et glissa au gré des vents au-dessus de l’abîme sans fond du Ciel Inférieur. Le mur blanc de brouillard se rapprochait de plus en plus, et le cœur de Sunny battait de plus en plus vite.

Et si je disparaissais vraiment ?

Serait-ce si grave ? Après tout, il était déjà presque effacé de l’existence. Finir par être avalé par rien semblait tout à fait approprié.

C’est quoi ce bordel… bien sûr que c’est grave !

Sunny n’allait pas disparaître. Il voulait toujours vivre… en fait, il voulait vivre plus que jamais.

C’était une bizarrerie de sa personnalité. Moins il avait de raisons de vivre, plus il voulait survivre, par pure méchanceté. Maintenant que le monde l’avait vraiment et totalement rejeté, Sunny devait rester en vie, quel qu’en soit le prix.

Lâchant un autre croassement, Sunny plongea dans le brouillard blanc.

Immédiatement, il se sentit… étrange.

Ah…

Quelle… quelle était cette sensation ?

Sunny n’arrivait pas à la décrire. Cependant, elle était suffisamment débilitante pour le faire tomber du ciel.

Il s’écrasa contre la roche froide, roulant sur la pente dans un désordre de membres. La Carapace du Corbeau s’était désintégrée, et il avait retrouvé son corps humain. Les pierres mordaient douloureusement sa peau, mais Sunny n’y prêtait pas attention, et ne pouvait pas le faire.

Qu’est-ce… que… c’est que ça ?

C’était… c’était…. c’était comme une attaque mentale, mais aussi complètement différente. En même temps, c’était comme une attaque de l’âme, mais elle ne le faisait pas souffrir. C’était aussi comme une attaque physique, mais elle ne blessait pas son corps.

La meilleure façon dont Sunny pouvait le décrire était que, soudainement, il avait l’impression de rêver. Ou plutôt, qu’il rêvait depuis le début.

Comme s’il n’était rien d’autre qu’un rêve éphémère, et que toute sa vie n’avait été qu’un long cauchemar dénué de sens.

Et donc…

Rien de tout cela n’était réel, et rien de lui ne l’était non plus.

Son sentiment d’identité se dissolvait lentement sous l’indifférence de cette constatation évidente, comme s’il était entraîné dans un état d’insignifiance.

Sunny n’avait jamais existé et n’existerait jamais.

Il…

Il…

Il n’existait pas.

Dès qu’il reconnut ce fait, son âme commença à s’assombrir.

Son corps commença à perdre de la force.

Ses pensées devinrent plus lentes.

C’est vrai.

Sunny sourit faiblement.

Venir de rien. Retourner à rien.

Il pouvait sentir le brouillard s’écouler autour de lui.

À travers lui.

Son corps devenait-il transparent ? Si c’était le cas… ce n’était pas grave. C’était comme ça que ça devait se passer.

Seulement…

Si je n’existe pas, s’il n’y a pas de moi… alors pourquoi est-ce si douloureux de n’avoir jamais existé ?

Il avait déjà fait l’expérience d’être effacé de l’existence une fois. Cette douleur n’aurait eu aucun sens s’il n’avait jamais existé, en premier lieu… donc, le simple fait que cela lui ait fait si mal était une contraction.

S’il n’était personne, il n’aurait rien ressenti.

Mais il ressentait quelque chose, en conséquence, il devait être quelqu’un.

La douleur s’épanouit dans son cœur comme une fleur.

Et avec elle, son âme Transcendante s’enflamma d’un bel éclat de flamme divine.

Un sang tenace parcourait son corps, le remplissant de force.

Son esprit s’enflamma de désir.

Le désir d’exister.

Je souffre, donc je suis… attends, quoi ? Quel genre d’absurdité je suis en train de débiter ?!

Sunny grogna et concentra tout son formidable esprit sur une seule pensée :

« Je suis ! »

Il n’était pas rien.

Il n’était pas personne.

Il était Sunless, anciennement connu — ou plutôt inconnu — sous le nom de Perdu de la Lumière. Il était le Diable de l’Antarctique. Il avait été le Prince Fou, mais il ne l’était plus. Il était même le Seigneur Mongrel, même s’il souhaitait le contraire.

Il était… Sunny.

Il lui fallut toute sa concentration pour empêcher cette pensée de se dissoudre dans le brouillard.

Une fois qu’il avait réussi à prouver sa propre existence, la pression du néant ne disparaissait pas, et l’attraction de la non-existence ne s’atténuait pas. Sunny devait continuer à se concentrer sur le fait qu’il avait été, était et serait sans répit. S’il abandonnait cette pensée fervente ne serait-ce que quelques instants, son âme et son corps se transformeraient probablement en un brouillard fluide.

« Dam… damnation… »

Grimaçant, il se leva lentement de la pierre froide et fixa le néant blanc qui l’entourait avec une expression sinistre.

Ah ! Comme c’est insidieux !

Cela… n’allait pas être facile.

Marmonnant des jurons silencieux, Sunny s’épousseta et regarda autour de lui.

Il ne voyait rien, et le brouillard atténuait ses sens. Il ne savait donc même pas dans quelle direction il devait aller.

Cependant, il n’était pas difficile de déterminer où se trouvait le nord.

Il lui suffisait de prêter attention au sol.

Le sol sous ses pieds était en pente dans une certaine direction… descendre signifiait retourner aux Îles Enchaînées, monter signifiait s’aventurer plus profondément dans les Montagnes Creuses.

Il se frotta le visage, soupira et commença à gravir la pente.