Chapitre 1751 – Pourquoi la Flamme Faiblit-Elle ?

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Le travail progressait lentement.

Il n’y avait ni jour ni nuit dans le Ciel Inférieur, et Sunny ne s’intéressait plus particulièrement à la notion de temps. Il savait seulement combien de temps s’était écoulé grâce à l’ombre joyeuse qui continuait à jouer le rôle de gardienne de Rain, dans un endroit très éloigné.

La tâche d’apprendre à lire les runes interdites était passionnante.

Sunny n’essayait pas de déchiffrer l’ancienne écriture au hasard. Il connaissait de nombreuses variantes du langage runique utilisé dans le Royaume des Rêves… ou plutôt, dans la multitude de royaumes qui deviendraient un jour ses différentes régions. Les langues parlées par les peuples des époques révolues étaient différentes, tout comme les systèmes d’écriture utilisés.

Cependant, ils avaient tous une racine commune… Hope, qui avait inventé le concept d’écriture et le script runique original. Connaissant ce script et beaucoup de ses descendants, Sunny pouvait en quelque sorte déduire la signification des langues runiques dérivées, et apprendre à les lire.

Cette tâche n’était pas facile, même pour un Saint — mais après avoir passé quelques semaines dans la Tour d’Ébène à ne rien faire d’autre qu’étudier les écrits de Nether, il faisait de rapides progrès.

Sunny étudiait les runes, se promenait le long de l’île brûlée, dormait et restait allongé sur son lit de camp, fixant le plafond. Sa vie était tranquille, facile et divertissante.

Vraiment libre de tout fardeau.

…Parfois, il ressentait le désir de griffer les murs de la Tour d’Obsidienne.

Dans ces moments-là, il se rendait dans le sanctuaire sans lumière et fixait la statue de la Déesse des Cieux Noirs.

Le visage de la statue était caché par un voile, mais la sculpture était si délicatement taillée que le voile semblait être fait de soie fine et non de pierre froide. Il pouvait voir une vague silhouette d’un visage divinement beau, délimité par ses plis délicats.

Sunny ne pouvait s’empêcher de penser que ce visage ressemblait beaucoup à celui des poupées de porcelaine brisées qui étaient entassées formant une montagne au niveau le plus bas de la tour… ainsi qu’à celui de Sainte, d’une beauté inhumaine.

Nether avait-il été obsédé par le Dieu de la Tempête, ou simplement trop paresseux pour sculpter une multitude de visages alors qu’il en existait déjà un parfaitement bon à copier ? Il avait été un homme très pragmatique, somme toute… mais aussi le moins pragmatique d’entre eux. Sinon, pourquoi se serait-il rebellé contre les dieux ?

Au fur et à mesure que Sunny progressait dans sa compréhension des runes interdites, il fut en mesure d’estimer approximativement quand le Démon de la Destinée avait résidé dans la Tour d’Ébène.

C’était dans la seconde moitié de l’Âge d’Or, pendant l’emprisonnement de Hope. Nether semblait s’être déjà brouillé avec le Dieu de la Tempête, mais n’envisageait pas encore d’entrer en guerre contre les cieux.

Au lieu de cela, il avait tourné le dos au monde et s’était consacré à sa passion dévoyée — essayer de créer des êtres vivants, ce qui était une autorité exclusive des dieux.

Tout comme Sunny avait tourné le dos au monde pour se consacrer à l’étude de ces runes interdites.

La Tour d’Ébène semblait attirer des hommes découragés.

La plupart des runes gravées sur ses murs étaient pour le moins ésotériques. Sunny apprenait lentement à comprendre leur signification, mais cela ne voulait pas dire qu’il comprenait ce qu’elles signifiaient. Ce serait la même chose si quelqu’un lui donnait à lire un article scientifique très avancé sur la physique quantique — connaître le langage humain ne l’aiderait pas à en comprendre le contenu.

Le fait que les écrits de Nether n’aient jamais été destinés à être lus par quiconque, à l’exception du Démon de la Destinée lui-même, n’aidait pas non plus. Il avait laissé ces notes pour lui seul, elles n’étaient donc pas très détaillées.

Il y avait de nombreux passages comme :

« Disséqué. Structure, voies, flux. Les mécanismes de base cachent la complexité profonde du processus et de la fonction. Matériau ? »

« Corrélation ou causalité ? Des indices potentiels d’obsolescence. Source inconnue, observation imparfaite. »

Sunny ne pouvait pas vraiment comprendre le sens de ces passages, mais il discerna plusieurs thèmes sous-jacents.

Le but de Nether était de créer un être vivant, et en tant que tel, ses recherches s’étaient développées dans deux directions — la création d’un corps, et la création d’une âme. La première était purement chronophage, mais la seconde semblait vexer le daemon au plus haut point.

Comment les dieux voulaient-ils que les âmes naissent ? Pourquoi les créatures créées par les dieux étaient-elles capables de se propager et de donner naissance à de nouvelles âmes ? Quel était le secret ? Il n’y avait aucune réponse.

Le Démon du Destin avait créé le tissage, tandis que le Démon du Désir avait créé la sorcellerie runique. Le Démon de la Destinée, quant à lui, n’avait pas créé sa propre école de sorcellerie, prenant des éléments là où il le jugeait utile et les pliant pour servir son but.

Cependant, il possédait la compréhension la plus profonde du pouvoir de l’âme de tous ceux que Sunny avait connus, à l’exception des dieux. Nether était capable de manipuler les âmes et l’essence d’âme à un degré effrayant, accomplissant des choses qui n’auraient pas dû être possibles.

Et pourtant, il n’avait pas réussi à créer un être vivant à partir de rien, quelles que soient l’ingéniosité de ses méthodes et l’ampleur de sa détermination. C’était une chose que le Démon de la Destinée ne pouvait pas construire.

Pour un temps.

Sunny savait que le daemon avait fini par réussir, créant Sainte et ses semblabes. Sa perception était influencée par la connaissance du résultat final, mais à l’époque, Nether avait dû être audacieux jusqu’à la folie, pour poursuivre quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant, et qui n’était pas censé être possible.

Qu’est-ce qui l’avait poussé à persister dans cette entreprise apparemment sans espoir ?

Sunny ne le savait pas, et il doutait d’apprendre la réponse dans la Tour d’Ébène. Les runes gravées sur ses murs étaient les notes de recherche de Nether, pas un journal personnel — il n’y avait aucune mention des sentiments ou des émotions du daemon, comme s’il n’avait pas été capable d’en avoir du tout.

Cela dit… tout ce qui était écrit sur les murs noirs n’était pas forcément sec et dénué de sentiments.

Après des semaines passées à étudier les runes, Sunny se concentra sur trois fragments, tous différents du reste des passages qu’il avait traduits.

Le premier semblait être un poème ou une nouvelle que Nether avait écrit pour une raison inconnue.

Il se lisait ainsi :

[Pourquoi la flamme faiblit-elle ?

J’ai demandé aux cieux noirs : « Qu’est-ce que la vie ? »

Les cieux répondirent d’une voix subtile : « Une mère regarde ses enfants mourir lentement de faim. Il n’y a assez de nourriture que pour l’un d’entre eux, mais elle a faim, elle aussi. C’est cela la vie. »

« La guerre est finie, et ceux qui ont jeté leurs armes pour se rendre sont transformés en esclaves. Ils sont amenés dans une arène et on leur demande de s’entretuer. Un jeune guerrier regarde une épée, sa main tremble. C’est cela la vie. »

« Un homme aime sa femme, mais se sent seul en sa compagnie. Un jour, alors qu’il se promène au marché, il voit une belle inconnue qui lui sourit chaleureusement. Il hésite à lui rendre son sourire. C’est aussi cela la vie. »

J’ai réfléchi.

« Alors… la vie est un choix ? »

Les cieux rirent : « La vie est un désir. C’est le désir d’être en vie. »

Les cieux étaient illuminés par une myriade d’étoiles, brûlant dans la belle obscurité.

Comme la flamme du désir avait brûlé dans le vide hideux, donnant naissance aux sept dieux.

Pourquoi la flamme faiblit-elle ?]

Sunny réfléchit longtemps à cette étrange histoire. S’agissait-il d’une fable que Nether avait écrit sur un coup de tête ? Ou la transcription d’une véritable conversation entre lui et le Dieu de la Tempête ?

Quoi qu’il en soit, cela devait avoir un sens. Le Démon de la Destinée n’était pas quelqu’un qui aurait gravé des runes dans la pierre sans raison.

Il avait essayé de créer la vie, et l’histoire aurait pu être une contemplation sur la nature de la vie. Cependant… pour Sunny, ce passage semblait comporter plusieurs couches.

La Déesse des Cieux Noirs avait décrit trois situations. L’une concernait la faim, l’autre le désir de survivre et la dernière la luxure. Alors, avait-elle essayé de dire que la vie se résumait à la faim, à la peur et à la luxure ?

Il ne le pensait pas. La situation exacte ne semblait pas avoir beaucoup d’importance… ce qui comptait, c’était que le personnage de chaque anecdote soit confronté à un choix. Nether avait été le Démon du Choix, alors… était-ce là le véritable sens de l’histoire ?

D’une certaine manière, Sunny avait l’impression que ce n’était pas non plus très important.

Ce qui était vraiment important, c’était la première et la dernière ligne de l’histoire.

Pourquoi la flamme faiblit-elle ?

La flamme faiblissante était, vraisemblablement, le désir — le désir primordial qui était né dans le Vide, et qui avait donné naissance aux dieux à leur tour.

Sunny se souvenait clairement des peintures murales décrivant l’origine des daemons, aussi bien celles qu’il avait vues dans la bibliothèque noyée de Grâce Déchue que celles qu’il avait vues dans l’Estuaire.

Sur l’une d’elles, une flamme dorée brûlait dans l’obscurité. Sur l’autre, sept silhouettes — les dieux — entouraient la flamme considérablement réduite.

Assis au bord de l’Île d’Ébène et regardant la mer de flammes divines au-dessus de lui, il cligna des yeux.

« Non, attends… vraiment… »

Pourquoi la flamme diminuait-elle ?

Les flammes divines qui avaient créé le Ciel Inférieur s’étaient lentement éteintes au fil des millénaires, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que cette quantité. Un jour, elles s’éteindraient complètement.

Mais pourquoi le désir primordial s’était-il éteint après avoir donné naissance aux dieux ?

Cela avait-il quelque chose à voir avec le secret de la vie ?

Nether avait construit la Tour d’Ébène parce qu’il voulait utiliser la flamme divine pour créer des êtres vivants, mais il avait fini par abandonner cette voie et était retourné dans le Monde Souterrain. Avait-il essayé de remplacer la flamme du désir par la flamme de la divinité ?

Tout cela semblait trop… lié, d’une certaine manière, et encapsulé dans cette étrange histoire pour n’être qu’une simple coïncidence.

Cependant, même si c’était le cas, Sunny n’arrivait pas à comprendre ce que cela signifiait réellement.

Il invoqua Sainte, lui fit part de sa théorie et lui demanda son avis.

…Sainte, bien sûr, resta silencieuse, se contentant de le regarder avec indifférence.

« C’est ce que je pensais. »

Sunny claqua la langue, congédia l’Ombre et retourna à la tour, une expression maussade sur son visage pâle.