Chapitre 1485 – Traverser le Vortex

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Traverser le tunnel sous-marin tortueux était une lutte constante… mais, étrangement, c’était surtout sans danger. Comme Anémone l’avait dit, tant que le Briseur de Chaînes ne touchait pas l’eau, il n’y avait pas grand-chose à l’intérieur du vortex qui pouvait les menacer.

Si le navire volant touchait les parois tortueuses du tunnel, la mort était pratiquement assurée — non seulement à cause du terrible courant et de la pression dévastatrice, mais aussi parce que la moindre ondulation alerterait les êtres terrifiants qui habitent dans les profondeurs insondables du Grand Fleuve de leur présence.

Rester à l’écart des parois n’était pas un défi au début, mais plus ils descendaient, plus la situation devenait périlleuse. Le tunnel se rétrécit, tandis que ses méandres deviennent de plus en plus fréquents et abrupts au fil des jours. Parfois, il se tordait tellement que le Briseur de Chaînes volait pendant un moment au lieu de descendre continuellement.

C’était comme s’ils voyageaient vraiment dans les intestins d’une bête inimaginable.

Pire encore, le tunnel n’était pas statique. Il bougeait constamment, ondulait, donnant l’impression que les parois d’eau en mouvement poursuivaient le gracieux navire.

C’était peut-être le cas.

Parfois, l’eau était enveloppée d’une obscurité abyssale. Parfois, elle brillait d’une lumière aveuglante.

Nephis dirigeait le navire dans l’obscurité, mais lorsque les profondeurs du Grand Fleuve s’embrasaient d’un magnifique éclat, Cassie devait prendre les rames. Les autres furent contraints de s’enfuir à l’intérieur du vaisseau volant, la laissant seule face aux formes déchirantes qui se déplaçaient dans l’eau rayonnante.

N’importe qui aurait été secoué et mentalement éprouvé par le fait d’avoir à supporter l’horreur et la pression de ces terribles créatures dans la solitude. Malgré cela, Cassie restait calme et apparemment imperturbable… Sunny ne savait pas si c’était bon signe ou non.

Ce qu’il savait, en revanche, c’est qu’ils n’auraient jamais survécu au voyage à travers le vortex sans le Briseur de Chaînes. Ils auraient été engloutis depuis longtemps par le Grand Fleuve si Cassie n’avait pas réparé le circuit d’enchantement.

Sunny pensait qu’ils parviendraient peut-être indemnes de l’autre côté du vortex.

Les jours passèrent dans un silence tendu. Plus ils descendaient, plus la pression qui assaillait leurs esprits était palpable. L’obscurité abyssale était suffocante, et la lumière rayonnante était épouvantable. Qui plus est… à un moment donné, le monde lui-même devint étrange, jouant des tours à leurs esprits.

Le temps devenait alambiqué et insaisissable, comme s’il était, lui aussi, écrasé par le poids oppressant de l’eau qui les entourait. Sunny et Nephis, qui avaient déjà vécu quelque chose de similaire lors de la tempête temporelle, étaient moins affectés par cette étrangeté que les autres membres de la cohorte. Cependant, elles finirent par s’habituer à cette instabilité du temps.

Avec le temps, l’espace était également devenu peu fiable.

Au début, Sunny pensait que c’était le vol du Briseur de Chaînes qui avait perdu de sa fluidité, faisant trembler le navire volant de temps en temps. Parfois, il était secoué, et parfois, il oscillait.

Mais il réalisa alors que c’était le tissu même de la réalité qui s’était déformé.

Il le comprit en portant à Nephis une tasse de thé, infusée avec l’eau vivifiante du Printemps Sans Fin. D’habitude, il lui fallait moins d’une minute et une dizaine de pas pour aller de l’entrée du pont inférieur à la poupe. Cependant, cette fois-ci, Sunny compta au moins une centaine de pas avant d’atteindre le cercle runique.

Le thé qu’il transportait était encore chaud et fumant.

Ce n’est… pas bon.

Il fixa la tasse de thé dans sa main, puis Nephis, qui dirigeait le navire sans avoir apparemment remarqué quoi que ce soit d’étrange.

Et si ce n’était pas le pont qui avait été étiré comme un élastique, mais l’un d’entre nous ?

Et si l’espace entre le navire et les parois du tunnel s’était soudainement contracté ?

En un rien de temps, les ténèbres environnantes semblèrent beaucoup plus terrifiantes.

Mais aucun d’entre eux ne pouvait y faire quoi que ce soit. S’inquiéter d’être déchiré par une fracture de l’espace ne lui apporterait rien de bon non plus.

Sunny se distrayait donc en se concentrant sur le tissage.

Après environ sept cycles d’obscurité et de lumière — il ne pouvait pas dire exactement combien, tant le temps était devenu étrange — il réussit à modifier l’enchantement [Coffre Spacieux] du Coffre de la Convoitise pour lui permettre d’abriter des êtres vivants. Il n’avait pas copié la trame d’une Mémoire Suprême, mais lui avait emprunté quelques éléments.

Malheureusement, c’était un effort futile. Sunny avait peut-être modifié la trame de l’enchantement pour supprimer la limitation aux objets inanimés, mais il était loin de savoir comment intégrer un espace habitable dans l’espace de stockage du coffre. Il n’y avait ni prairie, ni forêt, ni rivière à l’intérieur.

Ce qui signifiait qu’il n’y avait pas non plus de lumière, d’eau ou d’air. Il n’y avait rien du tout. Il était donc hors de question de placer un être vivant à l’intérieur, à moins qu’il ne veuille qu’il meure d’asphyxie.

Théoriquement, il pouvait désormais cacher ses ombres dans le Coffre de la Convoitise, puisqu’elles n’avaient pas besoin de respirer. Cependant, Sunny avait du mal à imaginer pourquoi il voulait faire une telle chose. Peut-être pour les punir de s’être mal comportés…

Il ne partagea pas ces pensées avec les ombres, mais elles commencèrent tout de même à éviter le coffre denté, pour une raison ou pour une autre.

Le temps s’écoula lentement.

Ou peut-être s’écoulait-il rapidement.

Tout ce que Sunny savait, était que les profondeurs du Grand Fleuve semblaient de plus en plus terribles à chaque fois qu’il regardait dans les ténèbres abyssales. Même Cassie commençait à avoir l’air inquiète.

Le tunnel ne se rétrécissait plus. En revanche, ses méandres devenaient de plus en plus sauvages.

Et puis, un jour…

Le Briseur de Chaînes sembla s’arrêter.

Sunny sursauta lorsque la sensation familière de mouvement disparut complètement. Se levant de son siège, il remarqua que les autres membres de la cohorte avaient l’air perplexe.

Très vite, il entendit le glapissement étouffé de Neph.

En regardant vers la poupe, il la vit agripper les rames de direction si fort que ses mains étaient devenues blanches. Elle bougeait les deux rames d’une manière étrange… non pas lentement et doucement, comme d’habitude, mais avec force et un sentiment d’urgence.

Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?

Pourquoi Nephis bougeait-elle les rames si elles étaient immobiles ?

Sunny tressaillit en regardant les murs du tunnel.

Les murs… étaient devenus flous.

Le Briseur de Chaînes était figé sur place, mais le tunnel lui-même passait devant lui à une vitesse phénoménale. Les tours et les détours que Nephis avait prudemment parcourus défilaient maintenant devant eux, la forçant à diriger le vaisseau aussi vite qu’elle le pouvait… et bien plus vite que cela, même, s’ils voulaient survivre.

Ça n’a aucun sens…

Sunny resta confus pendant un moment.

Comment le vaisseau volant pouvait-il à la fois rester en place et être dirigé dans les méandres du tunnel ?

C’était comme si le monde lui-même était tourné et déplacé par les mains de Neph.

Mais encore une fois, à quand remonte la dernière fois où le monde a eu un sens ?

Peut-être que la position statique du Briseur de Chaînes n’était qu’une question de perspective. Peut-être étaient-ils simplement portés par une force insondable et étrange.

Qu’est-ce que cela pouvait bien faire ?

La seule chose qui comptait était que Nephis les guide à travers le tunnel qui se déplaçait rapidement.

Et c’est ce qu’elle fit. Totalement concentrée, elle guida le Briseur de Chaînes, empêchant l’eau de l’engloutir. Une minute passa, suivie d’une autre, et d’une autre encore…

Finalement, cela dura une éternité.

Soudain, le tunnel disparut.

Quelque chose clignota, aveuglant Sunny, avant d’être remplacé par l’obscurité. Il pouvait à nouveau sentir le mouvement.

…En fait, il sentait beaucoup de mouvement !

C’était comme si le Briseur de Chaînes avait été tiré d’une catapulte. Leur vitesse était si effroyable qu’il fut instantanément projeté une douzaine de mètres en arrière, et ne parvint à rester sur le navire qu’en s’agrippant à la rambarde.

P-putain !

Sunny sentit une force énorme le repousser et un ouragan s’abattre sur lui avec une fureur primitive. Il ne put que serrer les dents et s’accrocher pour survivre.

Lentement, leur vitesse diminua. Nephis, qui avait été pressé dans l’aplustre, poussa l’une des rames et fit rouler le navire.

Ce n’est qu’à ce moment-là que Sunny réalisa que le Briseur de Chaînes volait à l’envers.

Alors que le navire volant tournait autour de son axe, Sunny tomba sur le pont et se releva faiblement.

Ils avaient apparemment échappé au vortex.