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Chapitre 1353 – Voiles en Lambeaux

 

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

 

Il fut un temps où Cronos possédait un corps jeune et une âme encore plus jeune. Son âme était encore jeune, tout compte fait, mais son corps était devenu décrépit et fragile. Il était plein de douleurs, se sentait raide le matin et devait être manipulé avec soin.

Mais la vieillesse avait aussi des côtés agréables.

Cronos avait brûlé de toutes sortes d’espoirs et de désirs lorsqu’il était jeune, mais maintenant qu’il était au crépuscule de sa vie, celle-ci était calme et paisible. Ou plutôt, ses sentiments à l’égard de la vie étaient calmes et paisibles… ou était-ce la même chose ? Comme il ne possédait pas la sagesse de la vieillesse, c’était difficile à dire.

Une chose était sûre — n’ayant plus à s’inquiéter de l’avenir, il avait beaucoup plus de temps pour profiter des plaisirs insignifiants de la vie. Comme la chaleur de son lit, la compagnie de ses amis et voisins, ou la beauté du monde.

Comme Cronos ne dormait pas beaucoup, aussi vieux que soit son corps, il avait pris l’habitude de se rendre sur les quais à la tombée de la nuit, pour regarder les soleils se lever sur l’eau. Aujourd’hui, comme toujours, il quitta sa maison, muni d’une lanterne, et marcha jusqu’aux abords de la ville. Bien que les rues soient encore sombres, il y avait beaucoup de lève-tôt comme lui. Certains le saluaient avec des mots, d’autres avec des sourires.

Leurs visages étaient aussi ridés que le sien, et leurs corps aussi raides que le sien. C’est ce qui faisait que l’on se sentait moins seul quand on était vieux.

Finalement, Cronos traversa quelques ponts de corde et atteignit les quais. Plusieurs personnes étaient déjà là, attendant dans l’obscurité. Il connaissait certains d’entre eux pour les avoir vus à la Maison de la Jeunesse, d’autres l’avaient rencontré par la suite. Il les rejoignit, éteignit la lanterne, s’assit et regarda l’eau.

Ils bavardèrent tandis que la nuit vivait ses dernières minutes.

Dans l’obscurité, le Grand Fleuve brillait d’un bel éclat rouge. Puis, lentement, sa lumière devint plus vive. Les bavardages se calmèrent tandis que les vieillards et les femmes profitaient de la vue de l’eau qui s’écoulait.

Quelque part au loin, le voile noir couvrant le ciel ondulait. Des touches de lilas et d’azur se mêlaient à son étendue sombre. Le fleuve semblait s’enflammer, des couleurs flamboyantes se répandent à sa surface. Enfin, les soleils surgirent des profondeurs, peignant le monde d’un million de nuances d’écarlate. Reflétée dans l’eau, leur lumière était comme une flamme qui se propageait.

Cronos soupira légèrement.

« C’est un nouveau jour. »

Une brise fraîche caressait leurs visages, et le monde était en paix… ou peut-être semblait-il l’être. Bien sûr, il était en réalité en guerre, mais ils n’avaient pas à s’en préoccuper aujourd’hui. Sinon, la Dame aurait déjà averti les guerriers de la ville de se préparer au combat.

Le groupe de vieillards resta un moment sur la jetée, sans se presser de partir. Il y avait des ragots à partager et des conversations oiseuses à avoir. Cronos, le plus jeune du groupe, n’était pas encore fatigué d’entendre les mêmes vieilles histoires, aussi reçut-il beaucoup d’attention.

Il écoutait et riait, ressentant une confortable béatitude.

…Mais une note de confusion vint s’ajouter à ce bonheur.

Toujours absorbé par une histoire racontée par une vieille femme qui avait quitté la Maison de la Jeunesse quelques années avant que les autres ne s’enfuient, il jeta un coup d’œil au Fleuve et se figea, abasourdi.

Il y avait un point noir à l’horizon.

C’était un navire qui se dirigeait vers Grâce Déchue.

Cronos trembla légèrement.

Un navire… mais il n’est pas encore temps pour les pêcheurs de rentrer. Quelque chose de grave est-il arrivé ?

Peu après, les autres vieillards remarquèrent eux aussi l’approche du navire. La conversation s’éteignit et tous regardèrent au loin, sombres et tendus.

Puis leurs expressions changèrent.

Le mystérieux navire s’était suffisamment rapproché pour qu’ils puissent discerner quelques détails… sa taille, la couleur de sa coque et de ses voiles, la forme étrange de son mât…

Cronos fut soudain saisi d’effroi.

« C’est… ce n’est pas… »

Le navire avait une silhouette gracieuse mais semblait indescriptiblement menaçant lorsqu’il émergea de la lueur cramoisie du crépuscule. Sa coque était abîmée et couverte de cicatrices, tandis que ses voiles en lambeaux étaient comme un mauvais présage. Plus important encore…

Le vaisseau fantôme n’était pas familier. Il était indubitablement étranger à leur ville et à sa flotte de bateaux de pêche, que Cronos connaissait par cœur.

Il n’avait jamais vu un navire inconnu arriver à Grâce Déchue. Ils avaient déjà reçu des invités dans le passé, lorsque ses parents étaient jeunes, mais cette époque était révolue.

Car Grâce Déchue était la dernière ville humaine sur le Grand Fleuve.

« S-Souillés ! »

Le cri de quelqu’un rompit le silence, faisant vaciller les vieux.

Les Souillés n’avaient pas l’habitude de traverser le Grand Fleuve sur des bateaux, mais ils étaient aussi sinistres et imprévisibles. Le navire de mauvais augure pouvait très bien appartenir aux monstres abominables.

Mais si c’était le cas, pourquoi la Dame ne les avait-elle pas prévenus d’une attaque imminente ? Pourquoi la lumière qui brûlait au sommet de son palais était-elle encore blanche ?

Une peur glacée s’empara de Cronos.

La Dame a-t-elle succombé ? Non, non… impossible !

Ses pensées irrévérencieuses furent interrompues par un grand cri. Les observateurs reculèrent, horrifiés par une ombre noire qui se déplaçait sous l’eau.

Choqué, Cronos vit la tête d’un serpent colossal surgir des flots près du navire qui s’approchait. Les écailles de la bête étaient d’un noir d’onyx, brillant d’une sombre lueur sanguine alors qu’elles reflétaient la lumière cramoisie du crépuscule.

« Un… un Corrompu ! »

Les habitants de Grâce Déchue avaient tous entendu des légendes sur le Roi-Serpent lorsqu’ils étaient enfants, alors voir une abomination similaire surgir des profondeurs était comme voir leurs peurs d’enfants prendre vie.

À ce moment, les yeux sans lumière du serpent se tournèrent vers la jetée. Cronos sentit son âme trembler, comme si la créature le regardait directement.

Puis, quelque chose d’inexplicable se produisit.

Le corps colossal du monstrueux léviathan se mit soudain à onduler, devenant vague et indistinct. C’est alors qu’il se dissipa dans une marée de ténèbres.

À la place, une mince silhouette humaine apparut à la proue du navire qui s’approchait.

La silhouette sombre se découpait sur le ciel brûlant, son manteau bougeant légèrement dans le vent. Elle semblait appartenir à un jeune homme à la peau de porcelaine et aux cheveux noir de jais, dont les yeux étaient aussi sombres que la nuit.

Le même regard sans lumière balaya la jetée, puis les voiles de l’inquiétant navire s’abaissèrent, comme par magie.

Cronos respira difficilement en fixant le vaisseau fantôme.

Une étrange pensée apparut dans son esprit :

« Est-ce… est-ce la fin ? Ou un nouveau départ ? »

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