Chapitre 1352 – Près de la Limite

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

En fin de compte, Sunny ne parvint pas à faire dire au spectre quoi que ce soit d’instructif. Comme d’habitude, toutes les réponses qu’il reçut étaient soit vagues et trompeuses, soit des insultes qui n’avaient rien à voir avec la question.

Plus tard, d’humeur sombre, il quitta l’ombre de l’arbre sacré et fit le tour du vaisseau, examinant son état. Sunny se sentait bizarre à la lumière des choses qu’il avait apprises et qu’il soupçonnait d’être vraies.

Ah, c’est rageant !

Il semblait être tombé sur la vérité, ou plutôt sur une grande partie de la vérité. Cependant, il y avait encore beaucoup de pièces manquantes, et c’étaient celles qui contenaient les réponses les plus importantes.

Son esprit tournait en rond, échafaudant une théorie sans fondement après l’autre. Sunny ne parvenait pas à en saisir le sens véritable, mais ce qu’il réussissait à faire, c’était s’épuiser mentalement.

Finalement, se sentant mal, il chassa de sa tête le désir maniaque d’aller au fond des choses ici et maintenant et s’installa près du ketch pour commencer à tisser une nouvelle Mémoire pour Cauchemar.

Le coucher de soleil ardent dura toute la journée, puis fut remplacé par l’éclat fantomatique de la nuit. Ici, à l’ouest du Grand Fleuve, même l’opalescence de l’eau était différente. Elle oscillait entre le carmin profond, le cramoisi vibrant et le marron riche… comme s’ils naviguaient vraiment sur un fleuve de sang.

Les nuits dont ils avaient été témoins auparavant étaient oniriques, mais celle-ci… celle-ci était comme une scène d’un cauchemar d’une sombre beauté.

Sunny et Nephis n’avaient pas dormi un seul instant, trop méfiants pour fermer les yeux.

Au matin, l’obscurité impénétrable de la nuit fut à nouveau remplacée par un coucher de soleil flamboyant. Un des sept soleils semblait toujours à portée de main, noyé dans les courants du temps.

Plus ils naviguaient vers l’ouest, plus la lumière devenait faible. Finalement, ils furent entourés d’un crépuscule ardent.

« Sunny… le courant n’est-il pas étrange ? »

La voix de Neph était tendue.

Il tenait actuellement la rame de direction, tandis qu’elle se penchait sur la rambarde à proximité.

Confus, Sunny envoya l’une de ses ombres jeter un coup d’œil par-dessus bord. Il lui fallut un long moment pour comprendre ce qui avait alarmé Nephis.

Étrange.

Le courant du Grand Fleuve… changeait.

Depuis qu’ils étaient entrés dans le Tombeau d’Ariel, il avait toujours coulé dans la même direction. Mais à présent, on aurait dit que le courant se tordait, non seulement en emportant le Briseur de Chaînes vers l’avant, mais aussi en le tirant légèrement sur le côté.

Dans la direction du soleil couchant.

Il serra la rame plus fort.

« Nous devons approcher du bord. »

Le Grand Fleuve était vaste et coulait à l’infini… mais il n’était pas illimité. C’est l’une des premières choses qu’ils avaient demandées à Ananke, espérant qu’il y avait une rive quelque part dans ce monde inhospitalier.

…Mais il n’y avait pas de rivage.

Au lieu de cela, le Grand Fleuve était limité d’ouest en est —du crépuscule à l’aube, comme le Peuple du Fleuve appelait ces directions — par un abîme sombre et sans fond. C’était comme si le fleuve coulait à travers le néant, suspendu dans le vide par le pouvoir du Démon de l’Effroi.

Au lieu d’une rive, il y avait donc un bord. Une cascade colossale et incessante où les eaux du temps se déversaient dans l’abîme et disparaissaient dans les ténèbres sans limites. Naviguer près du bord équivalait à un suicide.

Ils n’avaient pas encore atteint les eaux vraiment dangereuses — sinon, les courants auraient déjà entraîné le Briseur de Chaînes vers les abysses avec une force féroce — mais le changement subtil de la direction de l’écoulement de l’eau indiquait que le bord n’était déjà plus très loin.

Ce qui était une bonne nouvelle.

Car cela signifiait qu’ils étaient encore plus proches de Grâce Déchue.

…Et de Dusk, la dernière sybille de l’Estuaire.

Sunny inspira profondément.

« Revérifie les outils de navigation. Ce serait vraiment terrible si nous dépassions Grâce Déchue et que nous nous retrouvions plus loin dans le passé que prévu. »

Cela aurait été terrible, en effet, étant donné qu’il n’y avait personne d’autre que des Souillés plus loin en aval que la dernière cité humaine.

Si la dernière ville humaine était encore debout…

Sunny fronça les sourcils, se souvenant de la tempête. Ils ne savaient pas vraiment combien de temps ils avaient passé à lutter contre sa rage, et surtout combien de temps ils avaient passé dans l’œil étrangement tranquille du cataclysme itinérant, essayant tant bien que mal de ne pas regarder l’eau.

Qui l’eût cru ? Grâce Déchue avait peut-être déjà été consumée par la Souillure.

Même si ce n’était pas le cas, il était impossible de savoir si Dusk était une amie ou une ennemie, et encore moins si c’était elle qui avait envoyé à Ananke le message de les trouver à travers les rêves.

Ils devaient être prêts à se battre.

Tandis que Nephis essayait de déterminer leur position à l’aide des outils de navigation, Sunny donna silencieusement une série d’ordres à ses Ombres.

Debout à la proue du gracieux navire, Sainte libéra ses ténèbres avec un aplomb indifférent. Cauchemar s’agita dans l’ombre, ses yeux cramoisis s’illuminant d’une lumière dangereuse. Fiélon s’éleva sur le pont, des flammes infernales brûlant derrière la plaque noire de son casque redoutable.

Nephis rangea aussitôt ses outils et regarda vers l’aval.

« Tout semble aller bien. Nous devrions être très proches… bien sûr, la ville pourrait avoir migré dans n’importe quelle direction à présent. Mais elle n’a pas pu aller bien loin sans sacrifier toute sa population de Nés du Fleuve. »

Sunny acquiesça lentement. En effet… bien que les villes flottantes de la civilisation du Grand Fleuve puissent théoriquement voyager aussi loin que leurs habitants le souhaitent, en réalité, elles étaient liées à la durée de vie des Nés du Fleuve. Les migrations s’effectuaient sur des générations, pas sur des mois ou des années.

« Remplace-moi à la rame. »

Nephis entra silencieusement dans le cercle runique, libérant Sunny. Pour l’instant, il était le combattant le plus efficace entre eux deux…

Plus important encore, il n’avait aucune idée de la façon d’amarrer un navire. Si les habitants de Grâce Déchue étaient vraiment amicaux… il serait vraiment embarrassant de s’écraser sur leur quai à la première heure après l’arrivée.

Ouais… Je m’occuperai du combat, si on en arrive là.

Sunny regarda secrètement autour de lui, vérifiant ce que faisait le Péché de Réconfort. S’assurant que le spectre de l’épée ne préparait rien de bon, il poussa un soupir de soulagement et étendit son sens de l’ombre aussi loin qu’il le pouvait.

Après cela, il ne leur restait plus qu’à attendre.

Une heure passa dans un silence tendu, puis une autre. La traînée de l’abîme était encore légère, mais elle s’accélérait lentement. Entouré d’un coucher de soleil éternel, Sunny avait du mal à mesurer le temps.

Le Briseur de Chaînes naviguait dans un crépuscule cramoisi. Les eaux du Grand Fleuve reflétaient le ciel brûlant et semblaient s’embraser à leur tour.

Sainte se déplaça alors légèrement et tourna la tête.

…Au loin, Sunny vit une étincelle de lumière briller au-dessus de l’horizon. Quelque part, une flamme blanche brûlait au sommet d’un grand phare.

Ils avaient trouvé la dernière cité humaine du Tombeau d’Ariel, semblait-il…

Après des mois d’errance dans les périlleuses étendues du Tombeau d’Ariel, ils avaient atteint Grâce Déchue.