Chapitre 1282 – Les Courants du Temps

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Sunny ne savait pas à quelle distance exacte ils s’étaient éloignés de l’île sombre, mais celle-ci devait être immense. Sa carapace était non seulement énorme, mais elle avait aussi été créée pour régner dans l’eau. Comme il se déplaçait dans le courant du Grand Fleuve, sa vitesse, déjà grande, était encore plus effarante.

Il décida donc qu’il était prudent de remonter à la surface.

S’élevant progressivement, il traversa l’abîme radieux et leva enfin la tête au-dessus des vagues scintillantes.

Toujours accrochée à ses cornes, Nephis s’affaissa et respira bruyamment. Elle avait eu du mal à résister à l’eau, qui la frappait comme un bélier depuis si longtemps.

Plus la vitesse de Sunny était grande, plus la résistance était grande. Elle avait déjà été épuisée par la sollicitation de sa Capacité au-delà de ses limites, et supporter la course fiévreuse dans les profondeurs n’avait pas dû être facile.

Mais maintenant que le serpent d’onyx avait la tête hors de l’eau, Nephis pouvait enfin se reposer un peu.

Le ciel était toujours d’un noir impénétrable. Une douce lueur s’élevait de la rivière, illuminant le vaste vide de son étendue fluide. La vue était aussi onirique et magique que le premier jour où Sunny l’avait vue…

Mais son cœur était transpercé par le désespoir.

C’était parce que même maintenant, après avoir laissé l’île sombre si loin derrière eux, il ne pouvait pas voir le moindre signe de terre autour d’eux.

Un vieux doute s’insinua dans son esprit, sapant les forces de son corps fatigué.

Et s’il n’y avait pas de terre… et si ce monde n’était que de l’eau…

Serrant les crocs, Sunny laissa échapper un grognement silencieux et tendit chaque fibre de sa carapace pour accélérer encore plus.

Avec son museau d’onyx comme fer de lance et sa nageoire dorsale noire comme lame tranchante, il découpa la surface rougeoyante du Grand Fleuve. Plus vite, plus vite… il n’était pas encore au bout de ses peines.

Il ressentait une certaine exaltation à filer vers l’horizon à une vitesse effarante. La vitesse, la puissance de sa carapace, le poids mince du corps de Neph pressant sur ses écailles, et l’immensité vide du ciel noir illimité… c’était presque libérateur.

Mais en même temps, son cœur se noyait dans l’anxiété, la peur et l’effroi.

Et bientôt, on lui prouva qu’il avait raison d’avoir peur.

Sunny eut un pressentiment inquiétant et leva la tête un peu plus haut au-dessus de l’eau. L’instant d’après, ses yeux serpentins se rétrécirent.

Là, devant eux… la surface du Grand Fleuve bouillonnait. Un essaim illimité de krills se dirigeait rapidement à leur rencontre, des centaines de milliers de Bêtes Corrompues brûlant d’un désir fou de dévorer vivants le serpent d’onyx et sa cavalière.

L’énorme corps de Sunny tremblait, mais il essayait de rester calme.

Ce n’est pas la fin…

L’essaim de krills était un ennemi redoutable, mais la terreur résidait dans le nombre de Locustes Fluvial. La légion affamée qui se précipitait vers Sunny était de loin la plus nombreuse qu’il ait jamais vue, à tel point que même le Serpent Azur aurait été incapable de l’affronter. Cependant…

Contrairement à l’ancien léviathan, Sunny n’était pas contraint de défendre sa proie, et si les krills étaient nombreux, ils n’étaient pas individuellement forts.

Plus important encore, ils n’étaient guère trop rapides.

Décrivant un virage serré, Sunny rugit et s’envola vers l’ouest, parallèlement à la masse d’abominations qui s’approchait. Ses pensées fébriles se dissolvaient en un simple besoin bestial de distancer l’essaim. La distance qui les séparait se réduisait à une vitesse effrayante, mais il ne voyait toujours pas le bord de la vaste étendue d’eau agitée.

Et le temps qu’il l’aperçoive, il n’y avait plus de temps à perdre.

Bon sang !

Tandis que Nephis se relevait et invoquait une épée, Sunny plongea dans la masse de krills. L’eau déferla autour de lui, créant une barrière… mais plusieurs abominations la traversèrent.

Ses mâchoires claquèrent et l’épée de Neph scintilla.

…Quelques instants plus tard, ils franchirent le mur de Locustes Fluvial et se libérèrent de l’essaim. Sunny venait à peine d’atteindre les bords de la zone d’eau agitée, en dépit du fait qu’ils devaient traverser les krills à la toute fin, l’étendue du Grand Fleuve devant eux était claire.

Sunny nagea de toutes ses forces, contournant l’essaim qui le poursuivait et augmentant la distance entre les criquets glissants et sa queue.

Plus vite, plus vite, plus vite…

Bientôt, les krills furent laissés loin derrière. Nephis s’affaissa à nouveau, serrant son épée d’une main tremblante.

…Il ne lui restait plus beaucoup d’essence.

Ils continuèrent à descendre le courant, parcourant une distance énorme. Le serpent d’onyx filait comme une flèche… non, bien plus vite qu’une flèche ne pourrait le faire. Mais ce n’était pas suffisant.

Après le premier essaim, il y en eut un autre.

Après le deuxième essaim, il y eut une créature effrayante qui s’élança vers eux depuis les profondeurs.

Après la créature, il y eut une masse gargantuesque d’algues pourrissantes qui faillit les prendre au piège et les dévorer, une douzaine de gueules grotesques apparaissant soudain sous les herbes qui se balançaient.

Et après cela, il y avait plus d’horreurs qu’il ne pouvait en compter. Des volées d’oiseaux prédateurs dont la chair desséchée semblait renfermer des perles, des créatures invisibles capables de transformer instantanément de grandes portions de la rivière en glace adamantine, des lumières fantomatiques qui brûlaient dans les profondeurs de l’eau, remplissant leur esprit d’un désir indescriptible de s’en approcher…

Mais Sunny était un serpent de mer, un monarque parmi les bêtes. Son long corps était rapide, puissant et tenace. Il était incroyablement rapide et à l’aise dans l’eau. Il avait distancé les krills, déchiré les algues pourrissantes, plongé dans les profondeurs pour éviter les oiseaux de proie, brisé la glace, résisté à l’attrait des lumières fantomatiques…

Il avait échappé à tout cela.

Mais…

Son essence se tarissait. Elle était presque épuisée. Il était épuisé et avait largement dépassé les limites de sa force mentale.

Et il n’y avait toujours pas de terre en vue.

Lorsque les sept soleils apparurent lentement au-delà de l’horizon, chassant les ténèbres impénétrables, et que le Grand Fleuve cessa de briller…

Il était complètement vidé.

Ce n’était même plus une question de volonté. Il n’avait plus rien à donner. Son essence était complètement appauvrie.

Finalement, le désespoir s’empara de son cœur.

La carapace de l’ombre fut la première à succomber. Le puissant serpent d’onyx frémit, puis se dissout en ombres, qui furent instantanément chassées par la pâle lumière de l’aube.

Son incarnation disparut à son tour. Sunny devint intangible, puis fut projeté hors de l’étreinte des ombres, retrouvant enfin sa forme humaine.

Il souffrait. Chaque muscle de son corps semblait sur le point d’exploser. Ses poumons étaient comme consumés par le feu. Sa tête était lourde et ses membres étaient faibles.

Il ne parvint même pas à s’adapter au changement à temps, ingurgitant une gorgée d’eau.

…Ce qui n’était pas grave. De toute façon, il était en train de mourir de soif.

Sunny se sentit couler et lutta faiblement pour rester à flot. Mais même cela était trop difficile.

Suis-je… en train de me noyer ?

Un instant plus tard, un bras puissant l’enlaça, et il sentit Nephis presser son corps contre le sien. Nageant avec l’aide de sa seule main libre, elle les tira tous deux vers le haut.

Bientôt, leurs têtes dépassèrent la surface de l’eau.

Sunny fut momentanément aveuglé par la lumière du soleil et toussa, essayant de faire entrer de l’air dans ses poumons.

Fini… c’est fini… nous ne survivrons pas aux quelques jours nécessaires à la récupération de notre essence…

Alors qu’il essayait de penser à quelque chose — n’importe quoi — qui pourrait les maintenir en vie, un étrange frisson parcourut soudain le corps de Neph. Comme elle l’étreignait toujours par derrière, il pouvait le sentir clairement.

« Sunny… Sunny… »

Il tenta de répondre, et fut soudainement frappé par l’étrangeté de son corps humain. Il se sentait étranger et minuscule, ce qui ne convenait pas du tout à un serpent féroce comme lui.

Il avait oublié comment parler.

Sors de là, bon sang.

Sunny rassembla lentement ses sens, se rappelant ce que signifiait être humain. Il remua alors sa langue inconnue et dit d’une voix rauque :

« Quoi ? »

Nephis se déplaça, les tournant tous deux vers l’aval. Sa voix était tout aussi rauque que la sienne :

« Là ! »

Il fronça les sourcils, suivant du regard la direction que son doigt indiquait, puis se figea.

Là, sur l’eau, à une centaine de mètres à peine…

Un petit bateau se balançait sur les vagues, les deux voiles baissées.

Il était fait d’un beau bois sombre, avec des motifs complexes sculptés le long de ses flancs. Il n’y avait aucun mouvement à l’intérieur, mais le bateau semblait rester en place, étrangement insensible au fort courant du Grand Fleuve.

C’est ainsi qu’ils furent lentement entraînés dans sa direction.