Chapitre 80 – L’Assassin reçoit un travail

« Vous m’ordonnez de tuer un membre de la famille royale ? »J’ai demandé.

La punition pour une telle chose était grande. Le simple fait d’accepter ce travail pouvait entraîner la mise à mort de toute ma famille.

« Oui. C’est pour le bien de tous », a répondu le Duc Romalung.

« Vous avez dit que la raison est qu’il a été ensorcelé par la comtesse Granfelt, mais n’est-ce pas trop rapide de le tuer pour cela ? »

« Non, c’est une raison plus que suffisante pour son élimination. Il n’y aurait eu aucun problème s’il avait simplement voulu soutenir son amante et la couvrir de cadeaux, mais il est allé jusqu’à se ranger du côté de la faction noble. A ce rythme, l’équilibre entre les deux camps politiques va s’effriter », précise le duc.

« On ne peut l’ignorer. Alors quel prince souhaitez-vous voir disparaître ? »J’ai demandé.

Il y avait cinq personnes qui pouvaient officiellement être désignées comme des princes. Si l’on inclut les enfants illégitimes, ils sont douze. La gravité de ce problème était proportionnelle à qui il s’agissait.

« Le deuxième prince, Ricla », a précisé la princesse.

Ricla était une personne très importante. Lui et son frère aîné étaient tous deux candidats au trône.

À l’origine, il semblait que le prochain roi serait le fils aîné, car ses réalisations dépassaient de loin celles de ses frères et sœurs. Cependant, le deuxième prince avait également réalisé des performances spectaculaires ces dernières années et était devenu un candidat rival.

« Nous avions initialement prévu de faire du prince Ricla le prochain roi. Il était doux et simple, ce qui le rendait facile à manipuler. Malheureusement, c’est exactement la raison pour laquelle la comtesse Granfelt a posé ses yeux sur lui… C’est étrange. Bien qu’indéniablement timide, Ricla n’a jamais été un idiot. Je ne peux pas croire qu’il ait pu trahir son pays par amour. Je pense à un certain nombre de choses qui pourraient expliquer son comportement – un lavage de cerveau ou des drogues, peut-être – mais tout ce dont je suis certain, c’est qu’il ne peut pas être sauvé, a déclaré le duc Romalung.

Au départ, j’avais pensé que la décision de tuer Ricla était précipitée, mais je supposais que c’était la gravité de la situation. J’ai convenu avec eux que l’éliminer le plus rapidement possible était la bonne décision.

Je ne pouvais pas permettre à un prince d’être la marionnette d’un démon. Cette tâche était digne d’un Tuatha Dé.

« Est-ce la nature de cette tâche qui a poussé la princesse Farina à me la confier directement ? »J’ai demandé.

« Oui. Si l’oncle était le seul ici, vous l’auriez probablement soupçonné de vouloir renverser la famille royale », a répondu la princesse.

« C’est juste. Il y a cependant une chose importante qui me préoccupe. Puis-je poser une question ? »

« Allez-y. »

C’était un peu arrogant de ma part d’insister sur ce point, mais avec des enjeux aussi élevés, je ne pouvais pas prendre de risques.

« Vous avez décidé que la famille royale devait donner l’ordre directement. Pourquoi utiliser une doublure pour la princesse Farina ? Cela ne fait que me rendre suspicieux. »

L’expression de la princesse Farina s’est raidie, puis un sourire a lentement émergé sur son visage.

Il était différent du sourire qu’elle arborait précédemment. Son expression était douce, mais il y avait quelque chose de faux. Celui-ci, par contre, semblait naturel.

« …Qu’est-ce qui vous fait penser que je suis un imposteur ? »demanda-t-elle.

« Vos cheveux le prouvent. Les femmes de la famille royale ont les cheveux roses », ai-je répondu.

« Mais mes cheveux sont roses ! »

« En effet. Ils correspondent exactement à ceux de la princesse Farina. Toutefois, bien que l’odeur soit faible, je sens la teinture capillaire. On dirait que vous la masquez avec du parfum, mais je peux quand même dire que vous avez coloré vos cheveux. La vraie princesse n’aurait pas besoin de faire quelque chose comme ça. »

Personne d’autre que moi n’aurait pu le reconnaître. Les assassins aiguisaient leurs sens et observaient toujours leur environnement afin de ne pas négliger la moindre chose, même la plus insignifiante.

Comme la demande de tuer le prince Ricla venait d’un prétendant, je devais envisager la possibilité que ce soit un piège.

« Ah-ha-ha-ha, vous m’avez démasqué. Même le roi lui-même n’a pas vu mon déguisement. Tu es vraiment le plus grand chef-d’œuvre du clan Tuatha Dé, Lugh Tuatha Dé ! Je l’aime vraiment, Père. »

« Fallait-il que tu abandonnes la partie si vite, Nevan ? »gronde le Duc Romalung.

« Ce n’est pas grave. Il a déjà tout compris. »

La fille était en fait Nevan, la fille unique du Duc Romalung et ma camarade de classe à l’académie.

« Duc Romalung, qu’est-ce que cela signifie ? »J’ai demandé.

« Je m’excuse. Je voulais dire que c’était une sorte de petit test. Cian est vraiment fervent dans son éloge à votre égard. Je n’ai pas l’intention de voler le nom de la famille royale ou de vous tromper. Je ne serais pas surpris si vous doutiez de mes paroles, alors permettez-moi de vous le prouver. »

A peine avait-il fini de parler que la servante derrière nous s’est avancée. Elle a enlevé une perruque et s’est essuyé le visage avec une serviette humide pour enlever son lourd maquillage. Elle avait des cheveux roses, et son visage était identique à celui de Nevan.

« Enchanté de vous rencontrer. Je suis Farina. Je vous présente mes excuses. J’étais personnellement contre cette petite farce. »

« Cela nous a permis de découvrir les véritables capacités de Sir Lugh, donc c’était mieux ainsi, n’est-ce pas ? Vous savez sans doute déjà qu’elle est la Princesse Farina, et que je suis Nevan Romalung. Je lui servais de doublure, » dit la fille du Duc Romalung.

« Je suis Lugh Tuatha Dé. Je suis heureux de faire votre connaissance, Princesse Farina. »

Je me suis levée et mise à genoux pour montrer ma fidélité à la couronne.

« Veuillez-vous lever. Je vous ai vu vous agenouiller tout à l’heure, vous n’avez donc pas besoin de le faire à nouveau. Je vous laisse le reste, Duc Romalung », a déclaré la princesse Farina en inclinant la tête.

Elle était une personne humble. Avec elle et Nevan portant des cheveux roses, il était difficile de dire qui était le vrai produit. Elles ressemblaient presque à des jumelles.

Voyant ma perplexité, le duc Romalung m’a souri. « Nevan et Farina se ressemblent beaucoup, n’est-ce pas ? Elles sont cousines. C’est pourquoi la Princesse Farina m’appelle Oncle. »

« Il doit être facile pour vous deux de vous déguiser et de changer de place », ai-je remarqué.

« Oui. Vous êtes la première personne à voir clair dans cette ruse. Comme vous le voyez, c’est un ordre légitime de la famille royale. Cela vous met-il à l’aise ? »répondit le duc.

« En grande partie. Mais j’ai encore quelques doutes. Pourquoi travaillez-vous pour la Princesse Farina, Duc Romalung ? Je pensais que vous voudriez vous allier avec le premier ou le second prince, ceux qui sont en lice pour le trône. »

« Je le fais à la demande de mon ami le roi. Il pense que Farina est la plus brillante de ses enfants, mais elle ne peut pas devenir roi parce qu’elle est une femme. Ainsi, il m’a demandé de trouver un moyen pour elle d’exercer une certaine autorité. J’ai d’abord pensé à lui trouver un mari convenable, mais je n’ai pas réussi à trouver un bon parti. Mon second plan était de faire en sorte que Farina contrôle Ricla. J’ai nourri le prince de succès pour renforcer sa réputation… Malheureusement, juste au moment où il devenait une figure influente, ceci est arrivé. »

Cela explique les actions du duc. Seuls les hommes pouvaient accéder à des postes d’autorité dans ce pays. Le duc avait préparé une bonne figure de proue derrière laquelle Farina pouvait avoir une certaine influence, mais ensuite on le lui a enlevé. Maintenant, le duc n’avait pas d’autre choix que de retirer le prince.

« Je comprends. Et si je refuse ? »

Les yeux du Duc Romalung se sont rétrécis. « Je ne peux pas garantir votre sécurité. Vous savez trop de choses que vous ne devriez pas savoir. De plus, je suis sûr que vous comprenez bien pourquoi nous avons offert à Natural You des feuilles de thé et mentionné le nom de Maha. »

« Oui, j’en ai une bonne idée. »

C’était difficile de croire qu’ils avaient découvert qu’Illig Balor et moi étions la même personne. Je n’étais pas sûr qu’ils avaient découvert tout ça. Peut-être que mon assurance les avait tenus partiellement dans l’ignorance.

J’ai discuté avec le duc pendant un moment et j’ai finalement obtenu la réponse que j’attendais.

« Vous et Maha êtes amants, n’est-ce pas ? J’ai vérifié qu’il y a une sorte d’accord entre la maison Tuatha Dé et Natural You. Maha s’est clairement prise d’affection pour vous, elle n’utiliserait pas les ressources de la société pour vous aider autrement. La jeune femme a également fait l’effort de vous voir lors de votre cérémonie de Chevalier Sacré. La conclusion inévitable est que vous entretenez une relation. »

J’étais soulagé. Il semblait que mon assurance avait fonctionné.

Ça ne me dérangeait pas que les gens découvrent qu’il y avait un lien entre Lugh et Maha. Cela servait en fait à dissimuler davantage mon identité d’Illig Balor.

Si quelqu’un déduisait que Illig et Lugh étaient la même personne, prouvant ainsi un lien entre Natural You et la Maison Tuatha Dé, cela pourrait être désastreux. Sachant cela, j’avais préparé des preuves pour faire croire que Maha me soutenait en raison d’une relation personnelle. J’espérais qu’une fois que quelqu’un découvrirait cela, cela l’empêcherait de creuser davantage et de découvrir la vérité.

« On dirait que je n’ai aucun moyen de m’en sortir. J’accepte le poste. Mais j’aurai besoin de soutien et de temps pour faire les préparatifs adéquats. Je ne peux pas effectuer le travail tout de suite. »

« Je comprends. Vous avez deux mois. C’est l’emploi du temps du Prince Ricla. Vous décidez du meilleur moment pour le tuer », a dit le duc Romalung en me tendant un document.

« C’est tout ce que vous avez à me dire ? »

« Hmm. En ce qui concerne ce qui était initialement prévu, oui. Cependant, j’ai une proposition à vous faire. Seriez-vous intéressé par un mariage avec ma nièce ? »

« Vous voulez dire la princesse ? »J’ai demandé, choqué.

« Oui, bien sûr. Je suis en train de perdre une pièce importante chez le prince Ricla, et j’ai un besoin imminent d’une nouvelle pièce. Vous feriez bien l’affaire. Vous êtes habile et sage et vous êtes un Chevalier Sacré ainsi qu’un Élu. Vous conviendriez sûrement à la princesse. Je doute que devenir le prochain roi soit une mauvaise proposition pour vous. »

« Ce serait merveilleux, Père. Je pense que Princesse Farina et Seigneur Lugh sont parfaitement assortis ! »s’exclame Nevan.

« Si vous le voulez bien, Seigneur Lugh, je vous demanderais d’y réfléchir. J’ai entendu tant de choses splendides à votre sujet, » ajouta la Princesse Farina.

J’ai supposé que tout ce qu’elle savait sur moi était le résultat d’une enquête approfondie.

« Je remets l’offre à plus tard pour le moment. Pour notre bien à tous les deux », ai-je répondu.

Je voulais refuser catégoriquement, mais cela aurait été une offense. Ainsi, j’ai choisi une sortie qui montrait de la considération. Si on découvrait que j’étais un assassin et que la princesse Farina avait un lien avec moi, elle serait ruinée.

« Vous êtes si gentil. Je vous aime de plus en plus, » dit la princesse.

Nevan a regardé sa cousine. « Princesse Farina, si vous épousez Lugh, laissez-moi l’emprunter de temps en temps. J’ai aussi besoin de lui pour la Maison Romalung. N’êtes-vous pas d’accord, Père ? »

« C’est un homme très impressionnant. Je ne peux pas m’y opposer », a répondu le duc.

Par « emprunter », Nevan voulait vraisemblablement dire pour la reproduction.

Tous les nobles choisissent leurs épouses en fonction, dans une certaine mesure, de la probabilité de produire le meilleur héritier possible. La maison Romalung a cependant poussé la chose à un autre niveau. Ils ont utilisé tout leur pouvoir pour rechercher des gènes supérieurs.

Ils se sont engagés dans une reproduction sélective en prenant les meilleurs candidats qu’ils pouvaient trouver. Je pouvais voir les résultats de cela directement en face de moi dans le Duc Romalung et Nevan. Ils possédaient tous deux une beauté inhumaine et un talent incroyable.

« Gardons cette discussion pour une autre fois », ai-je suggéré.

« Très bien. Nous pourrons revoir le sujet une fois l’assassinat terminé. Retrouvons-nous à l’académie dès sa réouverture. Vous feriez mieux de ne pas m’ignorer… Je serais particulièrement ravie de vous rencontrer dans les dortoirs, « dit Nevan avec un sourire. Son sourire naturel.

Il semblait que j’avais attiré l’attention d’un personnage vraiment gênant. La seule grâce salvatrice était que la Maison Romalung ne désirait que ma génétique.

Dans le pire des cas, je devais coucher avec Nevan. Mais j’avais l’intention de faire de mon mieux pour éviter de me faire embarquer dans cette histoire.

Tarte me regardait avec des joues gonflées, sur le point de pleurer. Je ne voulais pas les contrarier, elle et Dia.