Wandering Witch - chapitre 9
Ma propre histoire a commencé par une conversation, et je crois me souvenir comment ça s’est passé.
« Félicitations pour avoir réussi l’examen de compétences pratiques, Elaina. »
« Tu es devenue la plus jeune apprentie sorcière de tous les temps. C’est incroyable ! Nous sommes très fières de toi ! » Elles étaient visiblement heureuses pour moi quand je suis rentrée à la maison avec un corsage de campanules* sur la poitrine. Mais même aujourd’hui, je me souviens avoir été dans un état d’esprit étrange à ce moment-là.
*ndt : petites fleurs bleues en paquet.
J’ai probablement poussé un grand soupir et dit quelque chose comme « Mais je ne me sens pas très satisfaite. » Je ne cachais pas mon embarras, je ne pense pas l’avoir fait ; je suis sûre que c’est ce que je ressentais vraiment. Je n’avais pas l’impression d’être une gagnante—peut-être même que je n’avais pas l’impression que cela était réelle.
Bref, je n’étais pas si heureuse que ça.
« Il est arrivé quelque chose ? » demanda mon père.
« Les autres étaient trop faibles », ai-je répondu. « Alors, c’était un peu décevant. Maintenant, devenir une sorcière n’est plus qu’une question de temps, je suppose. »
« ……Oh. »
« Eh ben… »
Ils ne savaient pas quoi dire, je pense.
Je suis certaine que c’est par cette conversation que tout a commencé, et ce qui s’est passé par la suite est au moins en partie la faute de ma vantardise et de mon orgueil. Ces traits de caractère m’auront conduit dans des situations troublantes.
Mais après tout ce temps, ce ne sont que de simples souvenirs.
[ … ]
Cela s’est passé il y a environ quatre ans.
J’avais quatorze ans et je ne portais pas encore le chapeau triangulaire et la robe noire comme aujourd’hui. À l’époque, je portais généralement un chemisier blanc et une jupe noire.
Après avoir réussi l’examen de magie pratique du premier coup, j’avais décidé de passer immédiatement en apprentissage auprès d’une sorcière confirmée.
Cependant, pour diverses raisons, je n’ai pu demander à aucune des sorcières qui vivaient dans ma ville natale, dans le paisible pays de Robetta. Enfin, pour être plus précis, j’ai demandé, et elles ont dit non.
J’ai donc décidé d’utiliser une astuce secrète… Bon, tout ce que j’ai fait, c’est écouter les rumeurs.
Et d’après les rumeurs— « J’ai entendu dire qu’une mystérieuse femme nommée la Sorcière Stardust vivait dans la forêt près de Robetta. »
Dès que j’ai entendu ça, j’ai pris mon balai. Si elle n’est pas de Robetta, alors peut-être qu’elle m’acceptera comme élève, pensai-je.
D’après les rumeurs, la sorcière Stardust vivait au fin fond de la forêt ; c’était une vagabonde qui s’était installée de son propre chef dans une maison abandonnée au-dessus des arbres. Je ne croyais qu’à moitié à son existence, c’est pourquoi je fus très surprise d’apercevoir une sorcière dans la forêt.
« Oh-ho-ho…ah-ha-ha… »
« …… »
Ses cheveux étaient aussi noirs que la nuit, elle portait une robe noire et un chapeau pointu assorti, et sur sa poitrine se trouvait une broche en forme d’étoile. D’après ses vêtements, je pouvais dire que cette femme qui vivait dans sa cabane isolée dans la forêt était une sorcière, mais pas quel âge elle avait.
Et elle jouait avec des papillons dans l’herbe.
J’ai sérieusement envisagé de faire demi-tour, mais de toutes les sorcières à qui je pouvais demander, l’étrange personne devant moi était la seule qui restait. Finalement, après avoir réfléchi, je l’ai appelée. « …Hum, excusez-moi ? »
Elle m’a remarqué et a penché la tête sur le côté, toujours souriante. « Oh-ho-ho… Mmh ? Qu’est-ce que c’est ? Ce pourrait-il que tu sois… Elaina ? »
J’ai été surprise. Nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant ; comment pouvait-elle connaître mon nom ? « Vous me connaissez ? »
Au vu de la personne à qui je parlais, je me doutais bien de la réponse, et malheureusement, mon intuition était la bonne.
« Oui, tu es plutôt célèbre. Tu es la gamine effrontée qui a complètement écrasée la concurrence et réussie l’examen pratique de magie à seulement quatorze ans, n’est-ce pas ? »
« …… »
« Bien sûr, ce n’est pas mon avis. Je suis désolée si je t’ai blessé. » « …Non, j’ai l’habitude. »
Comme l’examen était très strict et ne permettait qu’à une seule personne de le réussir à chaque fois, en tant que plus jeune personne à avoir jamais réussi, j’ai fait l’objet de beaucoup d’attention—une attention négative.
Après m’être rapidement débarrassée de mages plus âgés que moi, je ne me suis pas très bien entendue avec les sorcières de ma ville natale. Après qu’elles eurent toutes refusé mes demandes d’apprentissage, je me suis retrouvée ici, à placer mes espoirs dans une mystérieuse sorcière qui vivait dans la forêt.
Mais si les ragots sont arrivés jusqu’ici, il est impossible qu’elle m’accepte. J’avais déjà commencé à abandonner.
« Alors, qu’est-ce que tu veux ? »
« …Rien. » J’ai commencé à partir. Je pensais que c’était impossible à coup sûr.
Mais elle m’a dit : « Serais-tu ici pour me demander de te prendre comme apprenti ? Si c’est le cas, cela ne me dérange pas du tout. J’ai beaucoup de temps libre. »
« Ah. » J’étais choqué—à tel point que je n’ai pas compris tout de suite ce qu’elle avait dit.
« Pourquoi es-tu surprise ? Oh, tu es venu me demander autre chose ? »
« Non, je voulais vraiment vous demander de devenir votre apprentie, mais… »
« Bien, bien. Alors, c’est réglé. A partir d’aujourd’hui, tu es mon apprentie. »
« Oh, mais… hum, hein ? » Mon cerveau n’avait pas encore pris conscience de cette étrange évolution. Je m’attendais à ce que, si elle savait pour moi, elle me refuse comme les sorcières de Robetta.
« Tu as l’air d’avoir des sentiments compliqués à ce sujet. Je sais ce que tu penses, mais détends-toi. Je ne suis pas comme les faibles sorcières de ta ville natale. Je me fiche de savoir si mon apprentie est une gamine effrontée ou non », dit-elle d’un ton ferme.
Aujourd’hui encore, je me souviens à quel point ses paroles ont touché mon cœur. Ah, je suis enfin parvenu à trouver quelqu’un qui me reconnaît pour mes vraies capacités, pensai-je.
« Alors ? Veux-tu devenir mon apprentie ? Ou bien iras-tu ramper devant les faibles sorcières de chez toi ? »
Je m’inclinai devant elle. « …… Je ne retournerai pas chez moi. S’il vous plaît, faites de moi votre apprentie. »
Et c’est ainsi que j’ai rencontré la sorcière Stardust—ma professeure, Mlle Fran.
Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis le début de mon entraînement.
Un entrainement normale d’une apprentie sorcière consiste à apprendre des sorts auprès de son professeur et à renforcer ses compétences techniques. Naturellement, je pensais que c’était ce que j’allais faire.
Mais ma relation avec Mlle Fran était un peu inhabituelle.
…Non, c’était très inhabituel. À l’époque, une journée typique pour moi se déroulait comme ça :
« Bonjour, Elaina. J’ai faim, alors, s’il te plait, prépare-moi quelque chose à manger. »
« …Qu’est-ce que vous voulez ? » Préparer les repas de Mlle Fran était devenu ma leçon quotidienne.
« Voyons voir… J’ai envie de manger un steak. »
« Ce n’est pas un peu trop lourd pour le matin ? »
« Dans ce cas, les herbes là-bas feront l’affaire. »
« Vous ne trouvez pas que c’est peu trop léger cette fois ? »
Finalement, nous nous sommes contentées de manger le pain que nous avions fait cuire la veille. Ensuite, j’étudiais la magie toute seule jusqu’à l’heure du déjeuner. Quant à mon professeur, elle faisait d’étranges recherches, allait cueillir des plantes sauvages comestibles ou, plus généralement, n’en faisait qu’à sa tête.
« J’aimerais beaucoup apprendre la magie aujourd’hui… », disais-je.
« Oh, désolée, je ne peux pas délaisser tout ça pour l’instant, on pourrait faire ça plus tard ? » Même lorsque je lui demandais de m’aider, elle évitait généralement la question. Pas une seule fois elle ne m’a enseigné de sorts.
En fait, elle m’a encouragé à faire le contraire.
« Elaina, tu vas te fatiguer si tu étudies trop. Et si tu t’amusais un peu de temps en temps ? »
Les conditions qu’une apprentie sorcière doit remplir pour devenir une sorcière sont fixées par chaque professeur, mais ce que je devais faire pour gagner l’approbation de Mlle Fran n’était pas clair du tout. Elle ne me l’a jamais dit.
Tout ce que je pouvais faire en tant qu’apprentie, c’était de faire de mon mieux. Essayer quoi, me direz-vous ?
Tout, apparemment.
J’ai décidé qu’elle ne m’enseignait peut-être pas la magie pour me rendre plus indépendante, et j’ai cessé de lui poser des questions, même quand il y avait quelque chose que je ne comprenais pas. Mais les demandes de Mlle Fran devenaient de plus en plus extrêmes.
« Elaina, nous n’avons pas de nourriture. Va en acheter. »
« Elaina, va dans la forêt et attrape cinq lézards. J’en ai besoin pour mes recherches. »
« Elaina, le dîner est prêt ? »
« Elaina, il y a une araignée dans la salle de bains. Extermine-la. Elles me font peur. »
« Elaina, masse-moi les épaules. »
Je me suis dit que ces choses étaient également nécessaires pour devenir une sorcière, et jour après jour, j’ai répondu aux demandes ridicules de Mlle Fran comme une servante. En y repensant aujourd’hui, je pense que j’ai très bien supporté la situation.
J’ai parfois douté d’elle, me demandant si elle n’avait pas simplement voulu m’utiliser comme servante. Mais même si j’avais des doutes, ce n’est pas comme si je pouvais m’enfuir. Je pourrais essayer de rentrer chez moi, mais personne ne deviendrait mon professeur.
Patience, patience.
Je me suis donc jeté dans l’étude et la pratique.
Un soir, avant d’aller me coucher, j’ai posé une question à Mlle Fran. « Pourquoi ne m’apprenez-vous pas la magie ? »
Mlle Fran a baillé et m’a répondu nonchalamment : « Parce qu’il n’y a pas besoin de t’apprendre. »
Je n’ai pas compris ce qu’elle me disait sur le moment.
J’ai enduré jour après jour, et avant de m’en rendre compte, j’avais passé un mois en tant qu’apprentie de Mlle Fran.
C’est arrivé pendant que je suivais ma leçon quotidienne absurde, utilisant la magie de vent pour abattre des arbres et les couper pour en faire du bois de chauffage, puis le brûlant avec la magie du feu, et enfin l’arrosant avec de l’eau.
« Tiens, tiens… Tu es bien imprudente, n’est-ce pas ? »
Mlle Fran se tenait juste derrière moi. Si je me souviens bien, c’était la première et la dernière fois qu’elle se trouvait à proximité lorsque je pratiquais la magie. J’ai arrêté ce que je faisais et je me suis précipité vers elle. Je me suis dit qu’elle avait peut-être enfin décidé de m’apprendre quelque chose.
Cependant, mon espoir fugace a été anéanti en un instant.
« Qu’est-ce que tu veux ? Je n’ai pas grand-chose à t’apprendre, tu sais. »
Finalement, elle n’avait vraiment pas l’intention de m’enseigner la magie, et elle resta là, derrière moi, à me regarder m’entraîner.
Il doit bien y avoir un sens à tout cela, me dis-je encore et encore, récitant les mots dans ma tête comme une incantation, et continuant avec sérieux ma routine absurde.
« Dans peu de temps, il sera temps… », ai-je cru l’entendre marmonner.
Le lendemain, dans l’après-midi, elle m’a tapoté l’épaule et m’a dit : « Je vais te tester maintenant. »
J’ai été déconcertée par cette annonce soudaine et je me suis franchement demandé ce qu’elle voulait dire. Mais plus que de la confusion, je me suis sentie heureuse. Je parie que si je réussis ce test, elle m’apprendra un peu de magie, pensais-je.
Mlle Fran me conduisit dans une prairie. L’herbe verte et luxuriante se balançait dans la brise, à perte de vue. Debout en face de moi, elle tenait sa baguette et souriait comme elle le faisait toujours. « À partir de maintenant, toi et moi allons nous battre. »
J’étais perplexe. Contre quelqu’un comme moi, elle serait invincible. J’en étais persuadé.
« …Vous plaisantez ? »
« Allons, allons. Penses-tu honnêtement que je plaisanterais dans une situation aussi grave ? »
Vous ne m’avez pas enseigné la moindre parcelle de magie, et soudainement, on va se battre ?
C’est absurde.
« Mais Mlle Fran, quelle que soit la façon dont vous voyez les choses, c’est… »
« Bien, commençons. »
Mes faibles objections ont été rapidement ignorées.
Elle frappa dans ses mains pour donner le signal de départ et réduisit instantanément l’écart entre nous, où elle déchaîna un barrage de sorts à bout portant.
J’ai été totalement prise au dépourvu et j’ai paniqué.
Le test soudain, les attaques délibérées à bout portant—en y repensant maintenant, Mlle Fran devait l’avoir fait exprès pour me faire sortir de ma zone de confort.
C’était une tactique sournoise.
« …Eek ! » Et l’Elaina de cette époque était complètement dépassée par les tactiques sournoises. Les sorts se succédèrent dans l’air, chacun constituant un danger mortel.
Des boules de magie. Des torrents de chaleur. Des lames de vent. Des pluies de pierres. Des coups de tonnerre.
Naturellement, j’étais désavantagé dans la bataille, et c’était tout ce que je pouvais faire pour me défendre. Certains de ses sorts m’envoyaient rouler dans l’herbe, d’autres me projetaient en l’air, mais pendant tout ce temps, j’attendais et guettais ma chance de contre-attaquer.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? C’est le mieux que tu puisses faire ? Je croyais que tu avais écrasé les autres lors de l’examen pratique. Ce n’est pas très impressionnant. » Fran parlait doucement, affichant son sourire habituel, alors même que ses attaques incessantes se poursuivaient. C’était très, très sinistre.
C’est comme si elle prenait plaisir à me tourmenter, pensais-je. Finalement, cette femme et les sorcières de Robetta sont exactement les mêmes… Elle m’a laissé devenir son apprentie juste pour pouvoir m’écraser plus tard, n’est-ce pas ? Elle ne m’a rien appris et m’a négligé, hein ?
Au cours du mois précédent, j’ai toujours eu des doutes dans mon cœur, mais je les ai délibérément ignorés. Elle est différente. Je peux croire en elle, m’étais-je dit pour persévérer.
« …… »
Et puis tout est devenu noir.
Quand j’ai repris mes esprits, j’étais immobile, étourdi. Mlle Fran avait arrêté d’attaquer et me regardait en ricanant. « Tiens, tiens. Déjà fini ? »
C’était la goutte de trop. Une avalanche d’émotions différentes se bouscula en moi, et je ne pus les retenir plus longtemps : le désespoir de ma confiance trahie, la frustration de n’avoir pas réussi à toucher une seule fois cette sorcière, la tristesse d’avoir été écartée, évitée et ignorée malgré tout mon travail, juste parce que j’étais si jeune. Je ne pouvais pas les empêcher de se déverser en moi et d’étouffer mon sens de la raison. Je n’en pouvais plus.
« Urgh…uwaaaaaahhh… »
J’ai pleuré. Je me suis effondrée à l’endroit même où je me trouvais et j’ai commencé à sangloter. J’ai essuyé et essuyé mes yeux brûlants, mais les grosses gouttes de larmes ne s’arrêtaient pas. J’ai essayé de me mordre la lèvre pour ne pas gémir et paraître encore plus pathétique, mais je ne savais pas comment m’arrêter. Je me suis assise au milieu de la prairie et j’ai pleuré. Je suis sûre que ça devait être désagréable à regarder.
« Eh ? Huh ? Hum… » Mlle Fran m’a regardé pendant que je pleurais, ses yeux s’écarquillant de surprise et de confusion. Elle s’est approchée de moi avec précaution. « D-d-d-désolé ! Je ne m’attendais pas à ce que tu pleures… »
Ses deux mains bougeaient sans cesse pendant qu’elle parlait. « Waaaaaahhh… »
« Ahhhhh… »
Je ne voulais pas qu’elle me voie pleurer, alors j’ai caché mes yeux avec mes deux mains. Bien sûr, cela n’a pas empêché les larmes de couler. Je me suis mordu la lèvre très fort cette fois-ci, mais je n’ai fait que trembler. Rien ne marchait ; je continuais à pleurer malgré tous mes efforts pour m’arrêter.
Quant à Mlle Fran-qui sait ce qu’elle pensait-elle a commencé à chercher ici et là un moyen de freiner le flot de larmes.
« O-ok ! …Hé, regarde, Elaina. J’ai fait un de ces papillons que tu aimes tant ! » Fran a fait apparaître de la glace, l’a taillée en forme de papillon et me l’a montrée. Mais je ne suis même pas celle qui aime les papillons.
J’ai continué à pleurer.
« Huh… ? Ça n’a pas marché… ? Dans ce cas, que dirais-tu de ceci ? Une couronne faite de plantes ! » D’un seul coup, elle avait coupé les herbes qui poussaient autour de nous grâce à la magie du vent, les avait roulées et en avait fait une couronne pour moi. Elle essaya de placer la couronne sur mon chapeau pointu, et je fis de mon mieux pour l’éviter.
« P-pas bon… ? Alors, que diriez-vous de ça ? Regarde, une boule de feu ! » Je n’avais aucune idée de ce qu’elle pensait accomplir avec ça.
« Je suis à court d’options… Je vais faire des grimaces ! Regarde, hé, hé ! »
Je l’ai ignorée.
« Euh, eh bien… dans ce cas… Oh oui ! » Finalement, après avoir essayé toutes les méthodes, elle m’a serré dans ses bras. Cela semblait être une mesure désespérée, quelque chose qu’elle ne ferait que s’il n’y avait absolument rien d’autre à essayer, mais cela a eu un effet instantané. Le flot de mes larmes et de mes émotions a immédiatement commencé à diminuer.
« Mnnn… » J’ai immédiatement essayé de la repousser de toutes mes forces. « Voilà, voilà. Calme-toi, Elaina. »
« Arrêtez… ! Qu’est-ce que vous essayez de faire… ?! »
Elle pensait probablement que j’étais gênée, mais c’était loin d’être le cas. Je rejetais son étreinte parce que je détestais vraiment, profondément ça. Mais ses bras étaient enroulés autour de moi, me serrant avec une force surprenante. Je ne pouvais pas m’échapper.
« Je suis désolée, vraiment. J’ai un peu exagéré, hein ? »
« …Ne vous foutez pas de moi ! Vous vous amusiez à me malmener, et maintenant vous voulez jouer les gentils ? Vous n’avez jamais eu l’intention de m’aider à devenir une sorcière ! »
« M’amuser ? Je n’ai jamais… »
« Lâchez-moi… ! Je déteste ça ! Je déteste tout le monde ! Toutes les sorcières de Robetta, et vous aussi ! Vous êtes toutes pareilles ! Ugh, et je vous ai cru quand vous avez dit que vous étiez différente des sorcières en ville ! »
« …… »
« Vous ne savez même pas à quel point j’ai travaillé dur ! Vous ne voyez que le résultat final et vous vous en moquez ! Pourquoi est-ce que même une seule personne ne peut pas me voir telle que je suis ? ! Je… je veux juste une approbation, mais— »
Les bras qui me tenaient se sont resserrés.
« Je suis vraiment désolé, Elaina. Je comprends véritablement ce que tu ressens. » Elle a caressé mes cheveux. « Tu as si bien supporté tout ça. »
« Je vous ai dit d’arrêter… ! Vous essayez encore de me tromper, hein ? » Ma voix était tremblante.
« Non, j’arrête de te tromper. Je vais tout te dire. Moi non plus, je n’en peux plus », dit-elle en posant ses deux mains sur mes épaules et en me regardant droit dans les yeux. Son sourire toujours présent était teinté de tristesse.
Puis elle a lentement ouvert la bouche pour parler. « Je l’ai fait parce que… tes parents me l’ont demandé. »
[ … ]
Après être retournés dans sa maison dans les bois, Mlle Fran m’a tout raconté.
« Il y a environ un mois, j’ai rencontré tes parents. Ils m’ont remis cette demande, accompagnée d’une grosse somme d’argent. « Veuillez soumettre notre fille à un entraînement extrêmement strict », disait-elle.
Je n’avais absolument aucune idée de ce qu’ils voulaient dire, alors j’ai essayé de demander. Tes parents m’ont dit qu’ils s’inquiétaient de ton avenir. Ils craignaient que si tu avançais comme tu le faisais, sans jamais apprendre l’échec, et que tu te perdais plus tard, tu pourrais te retrouver dans de sérieux ennuis.
Tes parents ont leur raison ; je veux que tu comprennes qu’ils n’ont pas élaboré ce plan parce qu’ils voulaient que je te brutalise, d’accord ?
Ils avaient leurs propres raisons pour amener leur plan jusqu’à quelqu’un comme moi. Ta ville natale, si je ne me trompe pas, se trouve dans le paisible pays de Robetta, n’est-ce pas ? Les sorcières qui y vivent sont intimidées par tes capacités. J’ai entendu dire qu’elles ne pouvaient pas enseigner à une fille comme toi. Après tout, ce pays est très, he bien… paisible, et il n’y a pas vraiment de sorcières de haut niveau dans les environs…
Tes parents avaient prédit que toutes les sorcières de ton pays te rejetteraient, et ils sont donc venus me voir. Pour faire court, ils ont dit que tu étais trop imbu de toi-même, et ils ont donc imaginé un plan pour te mettre à l’épreuve dès le début. À contrecœur, j’ai accepté.
Et puis tu es arrivé. Tes parents m’avaient donné l’impression que tu étais une petite effrontée ordinaire, alors mon plan était d’être très strict et de briser ta forte volonté.
Cependant, lorsque nous avons commencé à passer du temps ensemble, tu n’étais pas du tout comme je l’avais imaginé. Tu ne rechignes pas à l’effort pour atteindre tes objectifs, et tu as un esprit brillant et insatiable. Et la capacité d’être à la hauteur de ton ambition. J’aurais pu te donner mon approbation tout de suite.
Depuis que tu es ici avec moi, j’ai renoncé à enseigner l’échec à « l’arrogante Elaina ». Je suis sûre que tes parents voulaient que je t’apprenne que « parfois, les choses ne se passent pas comme on l’avait prévu », mais j’ai compris que ce serait inutile.
De plus, il y a un autre problème que je n’ai pu découvrir que parce que je suis ton professeur.
Elaina, tu prends trop sur toi. Tu es tout à fait consciente de ta propre jeunesse et de tes véritables capacités, alors tu me laisses te traiter de façon déraisonnable.
Peu importe mon comportement ridicule, peu importe les demandes idiotes que je faisais, tu ne te plaignais pas du tout, n’est-ce pas ? Après tout, tu pensais qu’il n’y avait personne d’autre à qui demander de t’entraîner, pas vrai ?
Quand tu as été rejetée par les sorcières de Robetta, qu’as-tu pensé ? Tu les as abandonnées et tu t’es débrouillée toute seule, n’est-ce pas ? As-tu contesté ces sorcières, ne serait-ce qu’une seule fois ?
J’ai décidé d’attendre que tu atteignes les limites de ton endurance. Et hier, quand j’ai vu tes sorts, j’ai deviné que cela arriverait très bientôt. Le test d’aujourd’hui était la touche finale.
D’ailleurs, je m’attendais à ce que l’examen se poursuive jusqu’à ce que je gagne, et ensuite, si tu ne te plaignais toujours pas, j’avais l’intention de te faire la morale. Ce serait totalement et manifestement injuste.
Tu ne peux pas juste cacher tes vrais sentiments et continuer, parce qu’à un moment donné, tu vas craquer. Cela dit, je ne m’attendais pas à ce que tu fondes en larmes… mais je t’ai traitée de façon terrible, n’est-ce pas ? Tu es d’une maturité inhabituelle, alors j’ai complètement oublié que tu étais encore une jeune fille de quatorze ans. Je suis vraiment désolé. »
Et puis, Mlle Fran a ajouté une chose.
« Il ne faut pas que tu te contentes d’endurer. Si tu ne peux pas le supporter, combats-le. Apprends à prendre position et à dire quand les choses vont mal. Défoule-toi quand tu en as besoin. Et protège-toi. »
Je ne me souviens plus de ce que j’ai ressenti en entendant les paroles de mon professeur, mais elle m’a dit à ce moment-là des choses que je n’avais jamais entendues auparavant dans ma vie.
Ne te contente pas d’endurer.
Ces mots sont probablement la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui. Je le pense vraiment.
Enfin, même aujourd’hui, j’ai tendance à laisser le stress s’accumuler.
[ … ]
J’ai suivi l’entraînement de Mlle Fran pendant un an. Après l’avertissement à propos d’une trop grande persévérance au cours de mon premier mois, le véritable entraînement a enfin commencé.
« Bonjour, Elaina. J’ai faim, alors prépare-moi quelque chose à manger. »
« Tenez, prenez des herbes. »
« …Hum, c’est ta façon de me donner du fil à retordre ? »
« On m’a dit de ne pas supporter trop d’abus, alors j’ai décidé d’essayer d’être honnête à propos de mes sentiments. Plus précisément, le sentiment que préparer le petit-déjeuner pour mon professeur est une souffrance. »
« …… »
« Je plaisante. »
Finalement, nous avons décidé de manger le pain que nous avions fait cuire la veille.
Comme avant, je me sentais parfois un peu comme la servante de Mlle Fran, mais si je pensais que c’était une compensation pour toute la magie qu’elle m’enseignait enfin, ce n’était pas du tout une souffrance.
Oh-ho, ce n’est pas de la torture ! Ce sont mes cours.
« Tu as des compétences et du talent », dit Mlle Fran. « S’il y a une chose que tu n’as pas, c’est l’expérience. »
Et pour y remédier, j’ai affronté Mlle Fran encore et encore.
Chaque jour était très enrichissant.
Les nombreux jours que j’ai passés là-bas par la suite m’ont semblé bien plus courts que l’enfer du premier mois. Presque tous les jours, nous avions un entraînement intensif de magie, puis nous retournions à la maison dans la forêt pour étudier la magie. C’était très amusant.
Au cours de ma formation avec Mlle Fran, il y a eu un événement qui m’a particulièrement marqué. Comme d’habitude, je m’entraînais à la magie devant sa maison dans la forêt.
« Elaina », dit brusquement Mlle Fran, il y a des bouteilles là-bas, n’est-ce pas ? Tu les vois ? » En effet, deux bouteilles de vin se trouvaient à l’endroit qu’elle désignait.
« Oui, je les vois, mais… qu’en est-il ? »
« Frappe un côté avec un sort de vent. »
« …… »
La distance entre les deux bouteilles correspondait à la largeur d’un arbre. Pour être clair, il y avait beaucoup de place. La marge de manœuvre était telle que j’ai cru qu’elle se moquait de moi.
« D’accord. » J’ai agité ma baguette et manipulé le vent. La masse d’air a fait un petit hyoom ! en fonçant sur les bouteilles, frappant directement l’une d’entre elles, comme je l’avais prévu. La bouteille s’envola dans tous les sens et atterrit dans le sous-bois.
« Voilà, j’ai réussi. »
Mais Mlle Fran a haussé les épaules comme pour dire : « Bon sang… »
« Je t’ai dit de la faire tomber ? »
« …Euh, mais vous n’avez pas dit de la frapper ? »
« Laisse-moi te dire quelque chose. Si tu es une apprentie sorcière, tu passes le test en la heurtant. Mais les sorcières à part entière doivent avoir des compétences plus fiables et plus précises que cela. »
« …Huh. »
« Une sorcière ne renverse pas la bouteille, elle vise le point médian entre la renverser et ne pas la renverser. Pour faire simple, comme ceci— »
Mlle Fran agita sa baguette et le vent se dirigea directement vers la bouteille restante et la frappa directement. Cependant, la bouteille ne tomba pas. Elle se mit simplement à osciller, puis se stabilisa.
Mlle Fran sourit. « Oh, bien, ça a marché… Très bien, juste comme ça. Les sorcières doivent apprendre à contrôler leur magie avec précision. Alors plus question de les renverser. »
« …… »
Je comprends ce que vous essayez de dire, et cela semble raisonnable, mais fallait-il que vous fassiez tout pour que j’échoue d’abord… ?
Après avoir passé environ un an en tant qu’apprentie, je suis arrivée au point où je pouvais commencer à rivaliser avec Mlle Fran.
Et j’ai été capable de gagner contre elle—une fois. Ce jour-là est devenu le dernier jour de mon apprentissage. Avec son sourire habituel, elle m’a dit : « Je n’ai plus rien à t’apprendre. Tu es devenue très forte. »
Aujourd’hui encore, je ne me souviens pas comment j’ai pu gagner cette dernière fois. C’était probablement un coup de chance. Mlle Fran a retiré le corsage de fleurs de ma poitrine et a épinglé à sa place la preuve que j’étais une sorcière à part entière.
C’était une broche en forme d’étoile.
« Félicitations, Elaina. La sorcière Stardust te reconnaît comme sorcière officielle… Au fait, que penses-tu de « la sorcière cendrée » comme titre de sorcière ? »
« …N’est-ce pas un peu trop simple ? »
Avez-vous pris cette décision juste en regardant mes cheveux ?
« Hein ? Je le trouve vraiment cool pourtant… »
« En y pensant, comment avez-vous eu le titre de sorcière Stardust, Mlle Fran ? »
« Je l’ai choisi parce que ça sonne cool, bien sûr ! »
« …… »
« Eh bien, qu’en dis-tu ? Sorcière cendrée. »
« Bien sûr, c’est bien. » Je m’en fichais un peu.
« Alors c’est décidé. Tu es désormais la sorcière cendrée, Elaina. Fais de ton mieux à partir de maintenant, d’accord ? »
Elle posa une main sur mon épaule.
J’inspirai profondément et répondis : « Je le ferai. »
En discutant des souvenirs que nous nous étions faits pendant ma formation, nous sommes retournés à la maison dans les bois, et Mlle Fran a tout de suite pris ses bagages. Elle n’avait de vagabond que le nom, et en réalité, c’était une sorcière distinguée d’un autre pays. C’était la première fois que j’en entendais parler.
Cela avait été assez difficile d’être loin de chez soi pendant un an, me dit-elle en souriant.
Il n’y a pas vraiment de quoi sourire…, pensais-je, mais elle souriait probablement pour moi.
« Dans ce cas, pourquoi êtes-vous venue dans le paisible pays de Robetta ? » J’ai essayé de lui demander.
« Parce qu’il y avait quelqu’un que je devais voir, coûte que coûte », répondit-elle, refusant d’en dire plus. « J’aimerais beaucoup prendre mon temps, mais je dois partir. Beaucoup de gens attendent mon retour à la maison. C’est pourquoi ceci est un au revoir. »
Sur ce, elle s’est retournée pour partir de l’endroit où je l’avais trouvée un an plus tôt en train de chasser les papillons.
« Au revoir, Mlle Fran. L’au revoir m’a gelé le corps comme un vent glacial.
« Au revoir, Elaina. Je reviendrai te voir un jour. S’il te plaît, attends-moi avec impatience. »
« …D’accord ! »
Puis mon professeur est monté sur son balai et s’est envolé dans le ciel.
Je l’ai saluée et saluée pendant qu’elle s’éloignait lentement, pour finalement disparaître dans le ciel bleu.
Cette fois, je n’ai pas essayé de retenir mes larmes.