Wandering Witch - chapitre 20
C’était une froide journée d’hiver.
Toutes sortes de gens se promenaient sur la route enneigée. Parmi eux, se trouvait une jeune fille portant une capuche en lambeaux, les yeux baissés.
« …Il fait si froid. »
Elle s’appelait Elise. C’était une jolie petite fille aux longs cheveux dorés et à la peau aussi blanche que la neige.
Elle avait douze ans. C’était encore une enfant.
« …… »
La jeune fille marcha pendant un petit moment encore avant d’arriver à une boulangerie.
Seules deux personnes occupaient la boutique : un homme âgé—le propriétaire des lieux—qui lisait un journal, et une jeune sorcière, qui fixait le pain aligné sur les étagères avec un sourire béat.
« Monsieur, je vais prendre celui-là, s’il vous plaît. »
A ce moment-là, l’homme jeta un coup d’œil, pliant son journal, puis regarda Elise avec un air troublé.
« De nouveau là, hein ? …Désolé, mais je ne peux pas te vendre de pain. Dépêche-toi de rentrer chez toi. »
« Pourquoi ? J’ai de l’argent. Vendez-moi-s-en. Je veux donner à ma petite sœur quelque chose de bon à manger. » Elle laissa tomber ce qu’elle avait sur le comptoir.
« Allons, je ne peux pas prendre de l’argent que tu as volé je ne sais où. » Le propriétaire posa sa paume sur la pile et la poussa vers elle.
« …Vendez-moi du pain. »
« Tu n’abandonnes jamais. Je te l’ai déjà dit, je ne vends pas aux monstres. »
« … »
La fille se retourna et quitta la boutique sans rien acheter. « …… ? »
La jeune sorcière observa leur échange avec une confusion considérable.
Peu après avoir été refoulée de la boulangerie, Elise est arrivée à un petit étal de rue.
« …… »
C’était un comptoir sans personnel. Il n’y avait pas de commerçant, seulement une boîte pour déposer de l’argent. Sur celle-ci était écrit :
UNE POMME POUR UNE PIÈCE DE CUIVRE. S.V.P.
LAISSER LES PAIEMENTS DANS LA BOÎTE.
Puisque aucun magasin ne voulait lui vendre de la nourriture, la jeune fille n’avait rien mangé d’autre que ces pommes ces derniers temps.
J’aimerais donner à ma sœur autre chose à manger que des pommes de temps en temps.
Tout en pensant cela, Elise mit les pommes dans son sac et déposa l’argent de ses achats dans la boîte.
Mais…
« Hé, toi. Qu’est-ce que tu fais ? »
Elle entendit une voix et quelqu’un lui attrapa la main. Elle a levé les yeux, surprise, et a vu un homme qui faisait une tête effrayante.
« J’ai installé cette boîte pour que les humains puissent l’utiliser. Je ne l’ai pas faite pour la vendre à des gens comme toi—rends-moi ces pommes. »
« Mais j’ai payé… »
« Je m’en fiche. Je ne veux pas de ton argent. »
« …… »
« Allez, rends-les-moi, monstre. » Puis sa prise sur sa main s’est resserrée.
À ce rythme, nous allons perdre la seule source de nourriture qui nous reste. Nous ne passerons pas l’hiver. Ma sœur va probablement mourir —Avec des pensées folles traversant son esprit, Elise paniqua.
Chomp.
Elle mordit la main de l’homme aussi fort qu’elle le pouvait. « Aïe ! Qu’est-ce que tu fais, sale gosse ? ! »
L’homme tressaillit un instant, Elise se dégagea de son emprise et s’éloigna en courant, toujours en tenant les pommes.
Elle continua à courir, surveillant attentivement son environnement, jusqu’à ce qu’elle parvienne enfin à rentrer chez elle.
Plus de la moitié du toit s’était effondrée—à la suite d’un incendie—et la partie qui avait encore un toit manquait d’un véritable plancher. Il y avait des trous dans les murs, qui étaient pratiquement minces comme du papier et n’offraient aucune protection contre le vent, la pluie et la neige.
C’est ce qu’elle appelait sa maison.
« …… »
Devant la maison, il y avait un petit paquet qui tenait parfaitement dans ses deux mains. Matin, midi et soir, il y avait toujours un petit paquet devant la maison.
Mais peut-être, juste peut-être, y avait-il quelque chose de différent à l’intérieur aujourd’hui. Avec un léger espoir, la jeune fille s’accroupit, les mains sur le paquet.
Puis elle l’ouvrit. « Ugh ! dégoûtant ! »
Elise le jeta immédiatement de côté. Le paquet vola dans les airs avant de s’écraser contre le mur d’une maison voisine. Des cadavres de souris et d’insectes en tout genre s’échappèrent de l’emballage et s’éparpillèrent sur la neige.
Leurs carcasses couleur boue s’enfonçaient lentement dans la blancheur du coussin.
« …Oh non. Et on s’est donné du mal pour le fabriquer. »
« Quel gâchis. »
« C’est affreux. »
Plusieurs voisins la regardaient en échangeant des mots. Après avoir jeté un coup d’œil à ces personnes, Elise disparut dans sa maison.
« Bienvenue, grande sœur ! »
Elise entendit une voix provenant d’un coin de la maison. Elle s’avança à l’intérieur et vit une fillette souriante enveloppée dans une couette rapiécée.
Elle était le portrait craché d’Elise, avec ses cheveux dorés et sa peau blanche pâle. C’était la sœur d’Elise, de deux ans sa cadette.
Elle s’appelait Mirina.
« Je suis rentrée, Mirina—tiens, je t’ai apporté quelque chose. »
Après s’être blottie contre sa jeune sœur et s’être enveloppée dans la couverture avec elle, Elise sortit une pomme verte fraîche de son sac et la tendit à Mirina.
« Wow, incroyable ! Comment l’as-tu eue ? »
« Je l’ai achetée juste pour toi parce que je veux que tu ailles vite mieux. Mange, d’accord ? »
« Je le ferai ! Merci ! »
En regardant Mirina sourire en croquant la pomme, l’expression d’Elise s’adoucit un peu.
« Comment tu te sens ? »
« Beaucoup mieux, maintenant que je mange une pomme ! »
« Oh ? Je suis contente. » En se rappelant l’incident devant l’étale de rue, elle sentit une douleur piquante dans son cœur. « …Mais je suis vraiment désolée pour tout. »
« Pourquoi tu t’excuses ? »
« Tu n’es pas fatiguée de manger toujours la même chose ? »
« Hmm… ? Mais j’adore les pommes ! Je suis heureuse d’en manger tous les jours ! »
« …Je vois. »
C’est bien—Elise plongea la main dans son sac et en sortit sa propre pomme.
Lorsque toutes les pommes auront été mangées, cette fois c’est sûr, elles n’auront plus rien pour se nourrir. Leur ligne de vie avait été coupée.
Elise rabattit son capuchon en croquant la pomme, ruminant l’avenir sombre qui s’annonçait. Dans la sécurité de son foyer, elle n’avait pas besoin de cacher ce qui dépassait de sa tête.
« …Soupir. »
Sous le capuchon serré apparaissaient deux cornes de mouton enroulées.
La jeune fille était une demi-humaine ; elle possédait une forme humaine avec une touche animale.
Malheureusement, elle n’avait rapporté que suffisamment de pommes pour une journée. Le lendemain matin, elles n’auraient plus rien à manger. Elise se glissa lentement hors de la couverture, pour ne pas réveiller Mirina, et se dirigea vers la rue principale de la ville, vers le stand avec les pommes.
Après avoir vérifié que le propriétaire n’était pas dans les parages, Elise prit quelques pommes et les mit dans son sac.
Puis, une fois son sac rempli, elle sortit de l’argent de sa poche et s’apprêta à le déposer dans la boîte…
« …Non, ce n’est pas grave. Je n’ai pas besoin de mettre de l’argent dedans. »
…mais elle ne l’a pas fait.
Cela n’a pas d’importance si je paie ou non. Ce qui signifie que je peux voler autant que je veux. Ce n’est pas une mauvaise chose à faire. Je ne suis pas une mauvaise personne.
Se répétant des excuses, la jeune fille se retourna pour quitter le stand. C’est alors que cela se produit.
Une main se posa sur l’épaule d’Elise.
Lorsqu’elle leva les yeux, surprise, une sorcière se tenait là.
« Tu ne dois pas faire ça. Tu dois payer pour ce que tu as pris. »
C’était la jeune sorcière qu’elle avait vue à la boulangerie la veille.
Jetant plusieurs pièces d’argent dans la boîte, elle dit : « Et si nous parlions un peu ? »
Ses cheveux cendrés se balançaient librement et elle souriait doucement en parlant.
[ … ]
Je voyageais en toute tranquillité lorsque j’ai été convoquée pour la première fois par un représentant du gouvernement, juste après avoir fait quelques courses à la boulangerie lors de mon premier jour dans le pays.
De temps en temps, on fait appel à moi en tant que sorcière pour aider à résoudre les problèmes de certains pays.
« Veuillez-vous asseoir là-bas, Mademoiselle Elaina. »
On m’a fait entrer dans la salle d’attente, où j’ai pris place sur l’un des canapés qui se faisaient face autour d’une table basse, en saluant avant de m’asseoir.
« Alors, quel est le problème ? Oh, vous voulez du pain ? »
« Non, merci. »
« Vraiment ? …Ça vous dérange si je mange pendant que j’écoute ? »
« …Allez-y. »
« Merci. »
J’ai pris dans mon sac un morceau du pain que je venais d’acheter à la boulangerie et je l’ai enfourné dans ma bouche.
Le représentant du gouvernement a soupiré et a commencé son explication.
« Notre pays a un petit problème en ce moment… Nous aimerions vous demander de le résoudre pour nous, madame la sorcière. »
« Mm-hmm. »
Om-nom.
« …… »
D’un air dubitatif, le représentant poursuivit : « La demande que nous vous adressons en ce moment concerne cette demi-humaine. » Il me tendit un croquis.
Il représentait un humain à la forme étrange… ou ce qui ressemblait à un humain. La caractéristique la plus frappante était la paire de cornes qui poussait sur la tête de la jeune fille. Elles étaient bouclées et tordues, comme celles d’un mouton.
« La vérité, c’est que ces créatures vivent actuellement dans notre pays, mais il y a un problème… En clair, un fossé s’est creusé entre ces demi-humain et nos concitoyens. Nous voulons donc que les bêtes quittent le pays pour le moment. »
Et puis il m’a raconté toute l’histoire qui se cachait derrière la demande.
Il m’a parlé de ce pays cruel, de ses habitants et de cette petite fille pitoyable.
« …… »
Je me demande quel genre d’expression j’avais après avoir entendu toute l’histoire.
Je suis sûre que ce n’était pas un visage très agréable.
Il devait être méprisant. Il devait être en colère.
« …Êtes-vous en train de me dire que c’est la raison pour laquelle vous bannissez un enfant de cette ville ? » demandai-je.
Il serra les poings à ma déclaration et hocha lentement la tête.
« Personnellement, je ne peux m’empêcher de les plaindre… Cependant, maintenant que la situation s’est aggravée, il n’y a pas d’autre solution. » Il poursuivit, l’air sombre et le cœur brisé : « S’il vous plaît. N’y a-t-il pas un moyen pour vous de la sauver… ? »
Je ne voulais pas décider d’accepter ou non la commission en me basant uniquement sur l’histoire du représentant officiel. C’est pourquoi j’ai décidé de passer une journée à vérifier moi-même l’état des choses.
Je me suis rendu à l’endroit indiqué sur la carte que le représentant du gouvernement m’avait donnée, l’endroit où les demi-humaines vivaient actuellement—et j’y ai trouvé une maison délabrée, plus qu’à moitié effondrée.
« … Mon Dieu. »
J’ai découvert les filles qui vivaient à l’intérieur et j’ai été très surprise. L’une d’entre elles était la fille que j’avais vue à la boulangerie la veille.
« …… »
J’ai donc décidé d’accepter la commission du gouvernement.
Je n’ai pas rencontré la jeune fille en personne ce jour-là. J’ai d’abord enquêté. J’ai demandé des renseignements sur les deux filles, interrogé le propriétaire de la boulangerie d’hier, les propriétaires des magasins bordant la rue principale de la ville, des passants au hasard et des gens du quartier.
Tous m’ont dit plus ou moins la même chose.
Le lendemain matin, j’ai établi ma surveillance à côté de la maison en ruine et j’ai regardé la jeune fille s’en aller. Elle se dirigeait vers l’une des échoppes. Il semblait s’agir d’un comptoir sans personnel avec une boîte pour déposer de l’argent.
Et là, la fille a commis une mauvaise action.
Je suis donc intervenue immédiatement pour l’en empêcher.
« Tu ne dois pas faire ça. Tu dois payer pour ce que tu prends », lui ai-je dit en posant une main sur son épaule.
[ … ]
Je l’ai emmenée avec moi dans un restaurant au coin d’une rue. Il était presque vide parce qu’il était tôt le matin.
Une fois assises près de la fenêtre, nous nous sommes tournés l’une vers l’autre.
« …… »
« Oh, ne t’inquiète pas », ai-je assuré à la jeune fille. « C’est moi qui régale. »
Même si je lui ai dit qu’elle n’avait pas besoin de payer pour les plats alléchants qui s’alignaient sur la table, l’expression de la jeune fille était toujours aussi sombre.
Je me demande si elle est nerveuse. Elle est probablement gênée par l’attention négative que lui portent les autres personnes ici.
« Comment tu t’appelles ? »
« …Elise. »
« Elise, c’est ça ? Je m’appelle Elaina. Je suis une sorcière voyageuse. »
« …… »
« Alors, que faisais-tu exactement tout à l’heure ? »
La jeune fille tressaillit et rabattit sa capuche pour couvrir son visage. « …Hum, s’il vous plaît, ne parlez de ça à personne. »
« Je n’ai pas demandé pour te menacer. J’étais juste curieuse. Je crois que nous nous sommes rencontrés pour la première fois à la boulangerie avant-hier, n’est-ce pas ? Tu agissais un peu bizarrement à ce moment-là aussi, alors j’étais curieuse à ton sujet. »
« …… »
« Et donc, si ça ne te dérange pas, tu veux bien me parler de toi ? »
J’ai posé ma question, et Elise a finalement parlé normalement.
« …Si je vous parle de moi, je suis sûre que vous n’aimerez pas ce que vous entendrez. »
« Parce que tu as des cornes qui sortent de ta tête ? »
« Comment avez-vous… ? »
« Je veux dire, je pouvais les voir sous ton capuchon depuis le début. Ce sont de jolies cornes, frisées comme celles d’un mouton. »
Elise regarda rapidement par la fenêtre. Des cornes brunes sortaient de sa capuche et se reflétaient dans la vitre.
« Je suis une voyageuse. J’ai vu toutes sortes de gens et je n’ai pas de préjugés. Je ne te trouve absolument pas désagréable. »
En vérité, je trouve les cornes plutôt mignonnes. J’ai dit quelque chose à cet effet, et elle s’est finalement retournée pour me faire face.
Puis elle a commencé à parler, petit à petit, comme si elle s’était résignée. « Hum, s’il vous plaît, ne le dites à personne d’autre, mais… »
Elle m’a raconté son histoire.
Autrefois, Elise menait une vie tranquille avec sa famille sur une montagne isolée.
Son père et sa mère chassaient les animaux de la montagne avec des arcs et des flèches, et avec sa petite sœur malade, Elise cuisinait le gibier qu’ils ramenaient. Elle et sa famille passaient leurs journées en paix.
Puis, il y a environ un mois, quelque chose s’est produit.
« Nous t’apprendrons à tirer à l’arc quand nous serons rentrés à la maison », avaient dit son père et sa mère avant de partir à la chasse, comme toujours.
En attendant leur retour avec sa petite sœur, Elise était devenue agitée, pensant qu’elle était enfin sur le point de devenir adulte.
Mais les deux filles eurent beau attendre, leurs parents ne revinrent pas. Avaient-ils eu du mal à chasser ? Les heures passèrent, mais leurs parents ne revinrent jamais.
Le lendemain, des étrangers sont arrivés dans une grande calèche et ont rendu visite à leur foyer. L’un d’eux se présenta comme un représentant du gouvernement du pays voisin. Trois marchands l’accompagnaient.
Les adultes qui étaient soudainement apparus devant leur maison ont descendu deux énormes sacs de la calèche et ont annoncé aux filles la triste vérité.
Les parents d’Elise étaient tombés d’une falaise alors qu’ils chassaient et avaient péri. Les marchands avaient retrouvé leurs corps en traversant la montagne. En leur racontant cela, le représentant a ouvert les sacs pour montrer aux filles les restes meurtris de leurs parents.
Les filles pleurèrent. Elles s’étaient accrochées aux corps et pleuraient à pleins poumons. Mais les corps de leurs parents s’étaient refroidis depuis longtemps.
Le représentant du gouvernement avait une proposition à faire aux filles, maintenant qu’elles n’avaient plus de parents pour les soutenir.
« Il n’est pas question de vous laisser seules ici. J’aimerais prendre votre garde dans notre pays. »
Après avoir demandé aux marchands qui avaient trouvé les cadavres de fabriquer des pierres tombales pour les parents, le représentant a pris les filles par la main. Sans avoir le temps de se rendre compte de la réalité, les deux filles ont été emmenées dans un nouvel endroit étrange.
Lorsqu’elles sont arrivées dans ce pays, une maison leur a été fournie pour qu’elles puissent y vivre.
« À partir de maintenant, je vais laisser de la nourriture devant votre maison tous les jours ; alors mangez, d’accord ? Voici aussi de l’argent pour vivre. »
Il déposa dans les mains d’Elise de la nourriture et juste assez d’argent pour les dépenses quotidiennes. « Je vous apporterai aussi de l’argent à intervalles réguliers. Vous pouvez l’utiliser comme bon vous semble. Cela ne me dérange pas. Si vous le perdez, prévenez-moi tout de suite. »
Il lui avait également dit : « Jusqu’à ce que vos cœurs soient guéris, notre pays s’occupera de vous. »
Le pays avait accepté les deux filles.
« …Mais les gens qui vivent ici n’ont pas été aussi accueillants. »
Après une courte pause, Elise dit : « Juste après qu’il a été décidé que nous vivrions dans ce pays, la maison qui avait été préparée pour nous a été incendiée. »
« …… »
Je me suis souvenue de l’endroit où elle vivait actuellement. Ce n’était plus qu’une enveloppe brûlée, dont plus de la moitié était réduite à l’état de ruines.
« La persécution s’est poursuivie après l’incendie de notre maison, bien sûr. Nous sommes traités comme des monstres par tous ceux que nous rencontrons, nous n’avons pas le droit d’acheter quoi que ce soit même si nous avons de l’argent, et la nourriture et les fonds apportés par le représentant ne servent à rien. »
« …… »
« Alors jusqu’à avant-hier, nous vivions des pommes de l’étalage sans personnel, mais —»
Ça aussi, c’est tombé à l’eau.
Je vois.
« …je comprends votre situation. On peut dire que vous courez un réel danger, et que vous mourrez probablement de faim si les choses continuent comme ça ; c’est bien ça ? »
« … Oui. Eh bien, quelque chose comme ça, je suppose. »
« Je vois, je vois. Je crois que j’ai saisi l’idée. » J’ai hoché la tête plusieurs fois. « Au fait, j’ai une faveur à te demander. C’est d’accord ? »
« Qu’est-ce que c’est ? »
« Si tu écoutes ma demande, tu pourras manger toute cette nourriture. Tu pourras même emporter les restes chez toi. »
« Je croyais que vous aviez dit que c’était—»
« Oh, je t’en prie, oublie ce que j’ai dit. »
« …… »
« Alors ? »
« …Quelle est votre demande ? » Elle m’a regardé fixement, avec précaution.
Après une pause dramatique, je l’ai regardée en retour et je lui ai fait une simple demande :
« Permets-moi de vous aider s’il te plait. »
Elise a continué à me fixer, mais cette fois, c’était avec confusion, peut-être parce qu’elle ne s’attendait pas à cela.
En attendant sa réponse, j’ai pris mon couteau et ma fourchette. Nous avions parlé si longtemps que tous les plats que nous avions commandés étaient devenus froids.
[ … ]
À ce stade, la jeune fille n’avait pas beaucoup d’options—voire aucune, en fait. Elle n’avait pas le droit d’utiliser de l’argent, donc elle ne pouvait même pas se procurer le strict nécessaire. Et comme il n’y avait personne dans le pays sur qui elle pouvait vraiment compter, la fille n’avait pas d’autre choix que de s’allier à une étrangère comme moi. Au moins, elle a été assez perspicace pour ne pas laisser passer cette chance.
« ……Hey, que feriez-vous si je refusais votre demande ? »
« Je répandrais la nouvelle de ce que tu as essayé de faire au stand sans personnel. »
« …Pas juste. Vous avez dit que vous ne me menaceriez pas tout à l’heure. »
« Oh, he bien, tu peux oublier que j’ai dit ça. »
« …… »
« Alors, qu’en penses-tu ? Vas-tu accéder à mon humble requête ? »
« …Bien. Mais vous savez que je n’ai rien à offrir en retour, n’est-ce pas, Elaina ? »
« Ce n’est pas grave. J’ai beaucoup de temps à tuer. D’ailleurs… »
« … ? »
« Je ne suis pas le genre de personne froide qui peut ignorer ton sort après avoir entendu une histoire comme celle-là. »
C’est ainsi qu’il a été décidé que j’aiderais Elise.
Mais c’était trop ennuyeux de faire quelque chose le jour même—enfin, ce que je veux dire, c’est que j’avais besoin de temps pour me préparer, alors je l’ai laissée partir pour le moment.
Et puis, le lendemain matin, on s’est retrouvés à côté de la porte—à l’extérieur de la ville.
« …Il fait si froid ! » J’ai tapé du pied, serré mon attirail et attendu plusieurs minutes.
Elle a franchi le portail avec la même allure qu’hier. Elle s’est approchée en trottinant lorsqu’elle m’a vu.
« Désolé. J’étais en retard… Hein, qu’est-ce que c’est ? » Le regard d’Elise se posa sur la chose que je tenais dans ma main.
« Oh, ça ? C’est un arc et des flèches. »
En tirant sur la corde et en écoutant le son qu’elle produisait, j’ai dit : « J’ai pensé t’apprendre à manier un arc, Elise ».
« Pourquoi ? »
« Si tu apprends à chasser pour te nourrir, tu n’auras plus de raison de compter sur les gens du pays, n’est-ce pas ? »
Ce qui signifie qu’hier, j’avais fait le tour des magasins pour acquérir un arc et des flèches, ainsi que divers objets dont la jeune fille aurait besoin à partir d’aujourd’hui.
« Mlle la Sorcière, savez-vous tirer à l’arc ? »
« Je suis tellement douée que je peux percer une pomme placée sur la tête de quelqu’un. »
« Hein ? Quand auriez-vous besoin de faire ça… ? »
« On peut dire que je suis une experte. Je suis tellement douée que si l’on m’ordonnait de divertir quelqu’un avec mes talents d’archer, je pourrais à contrecœur tirer une flèche à travers un éventail en papier qui se balancerait sur un bateau. »
« Encore une fois, quand auriez-vous besoin de faire ça… ? »
J’ai pris la fille dubitative par la main et nous sommes entrés dans la forêt blanche.
À l’intérieur de la forêt, où les grands arbres poussaient en rangées, un stand de tir à l’arc fait à la main et entièrement équipé nous attendait. La surface de l’un des arbres avait été rasée et une cible ronde y avait été gravée. Un panneau était placé à un endroit un peu éloigné de l’arbre, sur lequel on pouvait lire :
VEUILLEZ VISER LA CIBLE A PARTIR D’ICI (RECOMPENSES ACCORDEES SI LE CENTRE EST ATTEINT)
D’ailleurs, c’était mon écriture.
« Il n’y a aucune chance que vous touchiez quelque chose si vous essayez de chasser des animaux dès le début, alors entraînons-nous un peu ici. »
C’était l’endroit que j’avais secrètement préparé la veille. « Quel genre de récompenses vais-je recevoir ? »
« Heh-heh, tu le découvriras quand tu auras atteint la cible. »
Je me suis alors placée à côté d’Elise et je lui ai montré la bonne façon de tenir l’arc, ainsi que certaines techniques pour atteindre la cible.
« Pour l’instant, essaie de tirer. »
« Ok… Hyah. »
Elle décocha la flèche, qui tomba au sol juste devant elle.
« …Tu pensais que la cible était enterrée sous la neige quelque part ? » demandai-je.
« …… »
C’est ainsi que le rideau s’est levé sur nos journées d’entraînement.
Presque tous les jours, nous quittions la ville tôt le matin, nous pratiquions le tir à l’arc dans la forêt, nous revenions en ville l’après-midi, grelottant de froid, nous allions au restaurant, puis nous retournions dans la forêt le ventre plein.
En peu de temps, les flèches d’Elise volaient droit et atteignaient leur cible. En moins de trois jours, ses tirs étaient impeccables.
Elle a compris cela étonnamment vite. Ou peut-être est-ce parce que je suis une instructeur particulièrement habile ? Ai-je un avenir dans l’enseignement ?
« Oh, yay ! Regarde, Elaina ! J’ai touché le centre ! »
Le cinquième jour d’entraînement, j’ai entendu un bruit sourd, puis le cri joyeux d’Elise.
« Hé, qu’est-ce que tu vas me donner comme récompense ? »
Se précipitant vers moi dans son excitation, Elise arborait un large sourire. J’ai donc pris la parole en prenant un air important.
« Je t’achèterai tous les vêtements que tu veux. C’est ta récompense. »
J’avais pensé que cela la rendrait heureuse, mais son visage s’est crispé dans une expression compliquée.
« …Tu veux dire… uniquement pour moi, n’est-ce pas ? »
« De quoi parles-tu ? »
« Hum… J’espérais pouvoir te demander d’en acheter pour ma soeur aussi. »
« …… »
J’ai tapoté doucement la tête d’Elise.
« Si c’est ce que tu veux, tu peux l’avoir, peu importe le prix. »
Passant ses doigts sur ses vêtements raides et sentant la texture rugueuse de ses cornes, elle a souri avec ses yeux.
« Yay ! »
[ … ]
Avec sa nouvelle garde-robe, Elise était prête pour la prochaine phase de son entraînement. Sur les bancs de neige, ses petits pas dessinaient de petites vagues à mesure qu’elle avançait et reculait. À quelque distance devant elle, un lapin blanc se fondait dans la neige, remuant le nez et les oreilles en sautillant quelque part.
Aujourd’hui, nous ne visions pas des cibles immobiles, mais des proies vivantes.
« Il y a aussi une récompense cette fois-ci ? »
« Si tu y arrives, je te laisserai manger ma délicieuse cuisine maison. »
« …C’est plus délicieux que les restaurants où nous allons toujours ? »
« C’est normal d’avoir les mêmes normes pour les amateurs et les pros. »
« … je préférerais que le prix soit différent… »
« C’est un peu trop honnête, Elise. »
« Eh-heh-heh. »
« Hé, ton lapin va s’enfuir si on continue à perdre du temps », dis-je, et Elise sembla se souvenir de sa tâche, prépara l’arc et tourna un œil attentif vers le lapin.
Puis elle expira une bouffée blanche et relâcha son doigt. La flèche s’enfonça dans la neige avec un bruit sourd.
« …Tu pensais que le lapin hibernait sous la neige ? »
Ainsi, comme auparavant, nous passâmes plusieurs jours à faire des allers-retours entre la forêt à l’extérieur de la ville et les restaurants à l’intérieur.
« Oh non, j’ai encore commandé plus que je ne peux manger aujourd’hui ! C’est ma faute. Tiens, tu peux le prendre. Profite-s-en à la maison. »
Alors que nous étions assis dans le restaurant, j’ai tendu à Elise mes restes de nourriture, comme d’habitude.
« Merci, Mlle Elaina. »
Prenant soigneusement les restes à deux mains, Elise a souri faiblement. La fille qui arborait toujours une expression sombre avait maintenant un sourire chaleureux sur son doux visage—ou du moins, c’est ce qu’il semblait.
J’ai peut-être eu une mauvaise impression. C’était peut-être de l’orgueil.
Mais j’ai eu l’impression que son histoire prenait une direction positive, petit à petit.
Peut-être que je pourrai terminer ce travail à ma façon.
Le lendemain du jour où j’ai eu cette idée, Elise a abattu son premier lapin. La neige s’était enfin arrêtée, laissant place à une belle journée ensoleillée.
« Hé, regarde, Elaina ! J’ai réussi ! J’ai réussi, regarde ! »
Un petit lapin des champs était étendu sur un monticule de neige scintillant au soleil. Ses pattes s’agitaient comme s’il voulait échapper de la flèche plantée dans son cou, et une tache rouge s’étendait sur la neige blanche.
« Enfin. Ça a l’air bon. »
Sans attendre la fin de la vie du lapin, j’ai brandi la flèche. Le lapin est venu avec, suspendu mollement et lourdement.
« …Alors, à propos de ce prix dont tu as parlé… »
« Oui, c’est ma cuisine maison. »
« Tu veux dire que c’est toi qui vas le cuisiner ? »
« C’est ça. »
« Tu vas y arriver ? »
« J’ai peut-être l’air sophistiqué, mais je suis très douée pour dépecer un lapin. En fait, je suis trop douée. Je fais trembler tous les lapins de peur. »
« …Les lapins ne tremblent-ils pas toujours ? »
« Aussi, cela ne fait pas partie de la récompense, mais j’ai une proposition à te faire. »
« Quoi ? »
J’ai posé le lapin, qui avait finalement cessé de bouger, sur une plaque de neige propre et non ensanglantée. Il y a eu un bruit de craquement, et la neige juste en dessous du lapin s’est séparée, comme si elle s’ouvrait.
« Tu as une maison dans laquelle tu as vécu il y a longtemps, n’est-ce pas ? Tu n’as pas envie d’y vivre à nouveau ? »
« Dans notre ancienne maison ? Mais… »
« Tu as appris à chasser par toi-même. Tu n’as plus aucune raison de rester dans cette ville. Alors, qu’en penses-tu ? As-tu envie de retourner une fois de plus dans la maison où tu vivais avec tes parents ? »
« …… »
Elle resta silencieuse.
« Bien sûr, je n’essaie pas de te forcer. » J’attendais avec impatience qu’elle reprenne la parole.
Le silence s’est installé dans la forêt. Après un petit moment, comme si elle s’était souvenue de ce qui se passait, Elise a hoché la tête.
« C’est… vrai. Oui. Je veux partir. J’aurais probablement dû quitter cette ville il y a longtemps. »
Ses paroles me soulagèrent.
Maintenant, elle allait définitivement s’épanouir—c’est du moins ce que je pensais.
[ … ]
Après avoir saigné le lapin qu’Elise avait attrapé, nous l’avons attaché avec de la ficelle et sommes retournés en ville.
C’était l’heure du déjeuner quand nous sommes rentrés, et il y avait beaucoup de monde dans la rue principale. Lorsque nous les croisions, ils nous regardaient comme s’ils étaient témoins de quelque chose d’inhabituel, et à chaque fois, Elise se rapetissait un peu plus.
« Tu n’as plus à t’inquiéter », dis-je en lui posant la main sur l’épaule. Elle sourit faiblement.
Pour elle, s’éloigner de ce pays—de cette chose qui ressemblait à une maison, détruite par le feu—était une source de bonheur. Dès que nous sommes arrivées à la maison, Elise a couru rassembler ses affaires.
Le représentant du gouvernement qui m’avait mandaté apparut exactement à ce moment-là.
« … Mademoiselle Elaina. Où en est la requête ? » Tenant un petit paquet dans ses mains, il s’inclina légèrement.
« Très bien. Je pense que les choses vont bientôt se dérouler comme vous l’espériez tous. »
« …C’est vrai ? C’est une bonne chose. »
« Vous n’avez pas l’air très heureux. »
« Eh bien, quand nos souhaits se réalisent, ce n’est pas toujours dans notre intérêt à la fin. »
Après une pause, j’ai dit : « J’ai essayé de faire de mon mieux pour elle. Et maintenant, tout cela peut prendre fin. Vous n’avez plus besoin de laisser ces paquets. »
Je pouvais voir le représentant du gouvernement serrer le paquet encore plus fort.
« …Merci beaucoup. Veuillez accepter nos excuses pour vous avoir mêlé à nos affaires. » Après s’être profondément incliné, il m’a tourné le dos. « C’est un peu exagéré de ma part “, dit-il par-dessus son épaule, « mais puis-je vous demander encore quelque chose, Mademoiselle Elaina ? »
« En fonction de ce qu’il s’agit, il se peut que je demande des honoraires supplémentaires, est-ce que cela vous convient ? »
Il ne répondit pas. Il a simplement dit : « Si vous en avez l’occasion, j’apprécierais que vous lui transmettiez nos véritables sentiments. » Puis il s’est éloigné.
Je n’avais pas de réponse.
Parce que je ne savais pas si j’en étais capable.
« …… »
Elise revint peu après le départ du représentant, équilibrant un grand nombre de bagages dans ses deux bras.
« Désolée pour l’attente. Cela a pris du temps de tout emballer après que j’ai réveillé ma sœur. »
Elle avait sa petite sœur sur le dos.
« Je ne t’ai pas encore présenté Mlle Elaina, n’est-ce pas ? Voici ma petite sœur, Mirina. »
J’avais l’impression que le moment où je devrais lui faire part de leurs véritables sentiments approchait.
Nous avons continué à marcher, lentement mais sûrement.
[ … ]
« Nous sommes rentrées », dit Elise en balayant la neige collée à ses chaussures près de la porte d’entrée. Elle entra à l’intérieur, portant toujours Mirina.
« …… »
En l’imitant, j’ai pris soin de me débarbouiller et j’ai suivi la trace de neige fondante jusqu’à la maison. Les petits pas enneigés menaient de l’entrée à la salle à manger.
Juste en face de la cuisine, il y avait une table avec deux chaises de chaque côté. Elles avaient probablement été occupées par les quatre membres de la famille à une époque.
Elle tira l’une des chaises et y fit asseoir sa sœur.
« Hé, Elaina. Quel genre de plat vas-tu préparer avec ce lapin ? » Le regard d’Elise se tourna vers ma main.
« … Pourquoi pas un ragoût à la crème ? »
« Yay ! Mirina adore ça ! Elise a serré les épaules de sa sœur par derrière, heureuse comme tout.
Il n’y eu aucune réponse.
« …Oui ! Ça va être génial ! » Elise fit un signe de tête à sa sœur avec un large sourire.
« …… Je vais commencer à cuisiner », ai-je dit. « Alors attends encore un peu, Elise. »
« D’accord, je vais attendre ici avec ma sœur. »
Toujours souriante, Elise s’est assise à côté de Mirina. « …D’accord. »
Ma voix retenti faiblement dans la maison.
Je l’ai entendue bavarder joyeusement pendant que je m’affairais dans la cuisine. « Hé, c’est vraiment nostalgique, n’est-ce pas ? »
« Je vais prendre la place de papa et maman à partir de maintenant, d’accord, Mirina ? Mais comme je dois aussi faire la cuisine, je crois que je vais avoir encore plus de travail qu’eux. »
« Ne t’inquiète pas. Je suis sûre que je peux faire du bon travail. »
C’était comme ça depuis le début trajet. Cela avait été particulièrement horrible lorsque nous étions sorties de la ville, Elise tenant sa sœur dans ses bras. Pendant tout le trajet, elle avait souri et écouté la voix de sa petite sœur, que je ne pouvais pas entendre.
« …… »
Une odeur agréable s’échappait de la marmite portée à ébullition.
Au milieu de l’atmosphère étouffante, j’ai enfin pu aspirer une bouffée d’air. Après avoir inspiré profondément, j’ai remué la marmite et le parfum des carottes, des pommes de terre et de la viande de lapin mijotant dans de la crème blanche a envahi l’air.
« …… »
Tout ce que j’avais fait depuis mon arrivée dans ce pays n’avait servi à rien.
D’accepter la demande du fonctionnaire, de sortir la jeune fille de cette ville cruelle et, en même temps, de lui fournir un environnement où elle pourrait chasser et vivre seule. J’avais travaillé dur pour qu’elle puisse revenir dans cette maison.
Je pensais que si je parvenais à l’emmener aussi loin hors de la ville, loin des autres—alors la lamentable fille reprendrait ses esprits.
Mais c’était peine perdue.
Il semblait que cela n’avait été que mon souhait.
Et il semblait n’y avoir aucun remède à la profonde tristesse qui la tourmentait. Depuis la cuisine, j’ai regardé par-dessus mon épaule et je l’ai observée.
Se détournant de sa sœur avec un sourire, la jeune fille m’a remarquée. « Oh, Mademoiselle Elaina, vous avez déjà fini ? »
« Je dois juste laisser mijoter. »
« Ah bon ? Eh bien, ce ne sera plus très long ! »
« …… »
« Qu’est-ce qui ne va pas ? »
« …Rien. »
« … ? Hé, tu as agi bizarrement pendant tout ce temps, Mlle Elaina. Tu as à peine dit un mot pendant tout le trajet, et tu n’as pas beaucoup parlé depuis que nous sommes arrivées. »
« …… »
« Tu sais, ma soeur n’a pas dit grand-chose non plus… N’est-ce pas étrange ? Il y a quelque chose qui cloche. »
« …J’agis bizarrement ? »
« Ouais. »
« …… » Je suis restée silencieuse.
« Je sais, hein ? Il y a vraiment quelque chose qui cloche. » Elise a hoché la tête en réponse à une voix que je ne pouvais pas entendre.
Puis elle est retournée à la conversation joyeuse qu’elle avait avec sa sœur, m’ignorant complètement.
« … Tu ne dois pas te sentir bien. C’est probablement ça. »
« …Ah-ha-ha. C’est vrai. Tu te sentiras mieux une fois que tu auras mangé du ragoût. »
« …Je sais. Je ferais mieux de lui préparer quelque chose la prochaine fois pour lui montrer notre gratitude. »
Encore et encore, elle continua de parler à sa sœur, son visage, l’image même du contentement.
« …… »
C’était plus que je ne pouvais supporter. « …Elise. »
« Quoi ? »
J’ai tressailli un peu lorsqu’elle a tourné son sourire implacable vers moi. A terme, j’avais commencé à trouver son visage souriant terrifiant.
« …Elise, juste…arrête ça », ai-je supplié, incapable de croiser son regard.
Puis j’ai dit la seule chose qu’il restait à dire. J’ai prononcé la vérité qui se présentait devant moi.
« Ta petite sœur est morte. »
Là, appuyée sur l’une des quatre chaises, se trouvait une jeune fille vêtue d’un long manteau, le même que celui que portait Elise. De beaux cheveux blonds pendaient de sa capuche.
Une odeur de mort se dégageait du cadavre.
[ … ]
« C’est arrivé il y a environ un mois. Un groupe de marchands de la ville a commis une grave erreur. »
« Hmm. »
Le représentant du gouvernement, assis en face de moi, commença à raconter une histoire affreusement triste.
« Il y avait une famille de demi-humain qui vivait près de notre ville. Les marchands ont élaboré un plan pour les capturer et les vendre. Ils m’ont dit que c’était parce qu’ils manquaient d’argent.
Tout d’abord, les marchands avaient prévu de capturer le couple parti à la chasse. Ils allaient leur mentir et leur dire qu’ils étaient perdus, puis s’approcher de l’homme et de la femme, les prendre par surprise et les enlever.
Bien sûr, il était impossible qu’ils puissent capturer simplement un couple de demi-humain facilement. Entourés par les marchands, les deux résistèrent farouchement.
En se débattant sur la pente instable de la montagne, ils perdirent pied.
Les marchands qui avaient survécu sont allés voir en bas, mais tous ceux qui étaient tombés étaient morts. Le couple innocent de demi-humain était désormais lié aux marchands malveillants dans la mort.
Ce fut la cause de tout ce qui s’est passé.
Trois marchands ont survécu. Ils ont ramené les corps dans notre ville et m’ont raconté ce qui s’était passé. Malheureusement, ils m’ont menti.
‘Trois marchands et deux des demi-humain vivant à proximité ont perdu la vie dans un accident’, ont-ils dit. A mon grand regret, je les ai crus.
Comme les deux demi-humains étaient un couple, j’ai pensé qu’il y avait peut-être des enfants. Je craignais même qu’ils n’attendent le retour de leurs parents à ce moment précis. J’ai donc emmené les marchands avec moi dans les montagnes. Nous avons trouvé leur maison. »
Le reste de ce qu’il m’a raconté concordait en grande partie avec l’histoire d’Elise. Le représentant du gouvernement qui avait rendu visite à Elise et à sa sœur dans leur maison leur avait dit que leurs parents étaient morts dans un accident et qu’ils avaient ramené les deux filles en ville.
Cependant, en ce qui concerne ce qui s’est passé à partir de ce moment-là, les récits d’Elise et du responsable sont complètement différents.
« Cela s’est passé quelques jours après l’arrivée des filles dans ce pays. Il y a eu un incident. »
Puis il m’a raconté la vérité.
« Les marchands survivants ont pris les filles pour cible, pour l’argent et la vengeance. Ils se sont introduits de nuit dans la maison des filles, torches et couteaux à la main.
Les trois marchands ont d’abord trouvé la sœur aînée. Tout comme ses parents, elle—Elise—n’a pas faibli, même entourée d’adultes. Elle s’est battue et s’est battue et s’est battue.
Mais elle n’est encore qu’une enfant. Physiquement, elle n’avait aucune chance.
Les marchands l’ont maintenue au sol et se sont vengés. Les hommes ont mis leurs couteaux de côté et l’ont battue. Ils lui ont donné des coups de pied. Même lorsqu’elle s’est recroquevillée, implorant leur pardon, les larmes aux yeux, ils n’ont pas arrêté.
Je suppose qu’ils avaient l’intention de la blesser, mais de la laisser en vie et de l’enlever, plutôt que de la tuer.
C’est alors que l’un des hommes a été poignardé dans le dos par le même couteau qu’il avait mis de côté. Quand les marchands se sont retournés, il y avait une autre fille, un peu plus jeune qu’Elise. La petite sœur, Mirina, avait tenté de sauver sa grande sœur de l’assaut à sens unique.
L’homme blessé a relâché la sœur aînée en criant et a frappé Mirina avec une torche. Puis il a rapidement jeté la torche et pris un couteau.
Mirina gémissait, ses mains couvrant son visage, et il l’a poignardée encore et encore jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle.
C’était affreux. Horrifiés, les deux autres marchands ont tenté d’arrêter le troisième homme. Mais juste après s’être approché de lui, l’homme qui se tenait au-dessus de Mirina s’est arrêté de bouger.
Elise avait tué l’homme en utilisant un autre des couteaux du marchand.
Alors qu’Elise restait immobile, hébétée, le feu s’éleva de la torche renversée, les flammes enveloppant tout ce qui se trouvait dans la maison, le brasier s’amplifiant de seconde en seconde.
Les deux marchands survivants se sont enfuis dans la panique.
Apprenant l’incendie par des citoyens vivant à proximité, je me suis précipité vers la maison des filles, et lorsque je suis enfin arrivé, le feu s’était propagé à la rue. Nous nous sommes immédiatement mis au travail pour combattre les flammes, mais la moitié de la maison n’a pas pu être sauvée.
Nous avons rapidement identifié la cause de l’incendie. Nous avons trouvé les trois couteaux sur les lieux, le cadavre carbonisé du commerçant, et nous avons reçu les témoignages des voisins. Sur la base de ces éléments, nous avons interrogé les deux autres marchands et les avons arrêtés.
Et puis, lors du contre-interrogatoire, les deux ont fini par nous dire la vérité.
Cependant, même en sachant ce qui s’était réellement passé, il était déjà trop tard pour faire quoi que ce soit.
Elise est différente depuis le jour de l’incendie.
Elle ne veut pas se séparer du corps de sa sœur. Loin de là, elle traite le cadavre comme s’il était vivant. Elle lui donne à manger, l’habille et se blottit contre lui pour dormir.
À cause du mauvais jugement des marchands de notre pays et du mien, la pauvre fille a perdu le sens de la réalité.
Les deux marchands ont tout avoué, et la nouvelle des actes d’Elise s’est répandue parmi les habitants de la ville. Même si les citoyens la plaignaient, ils avaient peur et ont commencé à l’éviter.
Ce problème dépasse de loin tout ce que nous pouvons résoudre, et il est hors de notre portée depuis un certain temps déjà ».
Voilà ce que m’a dit le représentant.
Mais un détail crucial m’échappait encore.
« …En résumé », dis-je en soupirant, « vous n’avez pas hésité à accueillir cette enfant malheureuse, mais maintenant que la situation est devenue incontrôlable, vous voulez la mettre dehors. Cependant, vos paroles ne lui parviennent pas, et vous avez beau essayer de la ménager, elle ne veut pas partir. Vous ne savez pas comment elle réagira si vous tentez une approche plus agressive, alors vous demandez à une personne extérieure de faire le sale boulot. Ça vous paraît correct ? »
« …… »
Le lâche a répondu par le silence, alors j’ai continué.
« …Vous êtes en train de me dire que c’est la raison pour laquelle vous bannissez un enfant de cette ville ? »
Je me suis dirigée vers la maison partiellement détruite, me demandant si je devais accepter la requête ou non, et j’ai été très surprise quand je t’ai vue, Elise.
Et c’est là que j’ai décidé d’accepter le travail. Parce que je t’avais déjà rencontrée une fois, à la boulangerie.
Avant de te rencontrer à l’étal de pommes, j’avais fait une enquête impromptue dans la ville. Et dans mes recherches, j’ai découvert que les gens avaient tous la même chose à dire sur toi.
« L’enfant pitoyable. »
Les gens qui se promenaient en ville répétaient les mêmes phrases.
« Elle est vraiment pitoyable. »
« Tomber dans un tel état à cause d’un groupe de méchants… C’est tragique. »
Même les mères de famille de ton quartier fronçaient les sourcils en me racontant.
« Elle est venue vivre ici à cause d’adultes horribles… n’est-ce pas ? »
« C’est vrai… Quelle désolation. Elle ne touche même pas aux repas que le représentant lui laisse. »
« Oui, regardez. Là-bas. C’est la boîte à goûter qu’elle a jetée contre le mur. Elle fait toujours ça—jeter au mur ce qu’il laisse. Elle se fiche de savoir si c’est de l’argent ou de la nourriture. »
L’homme qui possédait le stand sans personnel m’a également parlé, en frottant sa main bandée. « Oui, il semble qu’elle nous vole des pommes depuis un certain temps. Eh bien, je connaissais sa situation, alors je n’avais pas vraiment envie de la gronder, mais un enfant ne peut pas survivre avec rien d’autre que des pommes, alors j’ai essayé de la faire aller ailleurs, pensant qu’elle pourrait manger quelque chose d’autre si elle le faisait. Mais elle m’a juste crié des absurdités… Et, eh bien, voilà où ça a mené. »
J’ai même parlé au propriétaire de la boulangerie.
« Oh, Mlle la Sorcière. Vous l’avez vu aussi, n’est-ce pas ? Cette fille essaie toujours d’acheter du pain avec… vous savez. Je sais que sa situation est grave, mais—je dirige un commerce ici, alors je ne savais pas trop comment m’y prendre avec elle. »
Le premier jour où je t’ai rencontrée, Elise, j’ai vu quelque chose d’étrange dans la boulangerie. Une fille portant une grande capuche a sorti de sa poche un tas d’insectes morts et a essayé d’acheter du pain avec. Une scène très particulière.
La jeune fille considérait les insectes comme de l’argent.
Après avoir discuté avec le commerçant, qui lui a gentiment expliqué d’un air inquiet qu’on ne pouvait pas acheter du pain avec des insectes morts, la jeune fille a plissé les yeux, choquée, et s’est enfuie du magasin.
J’ai penché la tête, confuse, en te regardant partir.
Et puis, le lendemain, j’ai compris que cette fille, c’était toi.
C’est pourquoi j’ai décidé d’accepter la demande du gouvernement, pour ton bien.
[ … ]
« Mensonges. »
Juste après que j’ai fini de tout expliquer, Elise a marmonné un seul mot. De sa place à côté de Mirina, elle a levé la tête.
« Cette histoire n’est qu’un tas de mensonges—tous des mensonges. Pourquoi ? Pourquoi essaies-tu de me torturer aussi, Mlle Elaina ? Est-ce que quelqu’un t’a forcée à faire ça ? Tu as vu tout ce qui s’est passé, n’est-ce pas, Mlle Elaina ? Ces gens de la ville sont horribles.
« Les salauds de la ville m’ont traitée comme un monstre. Ils ont brûlé ma maison. Mais ma sœur n’est pas morte. Elle est vivante et en bonne santé, ici, à côté de moi.
« Alors, ce doit être un mensonge. Cette histoire est absurde. »
Elle secoua Mirina par les épaules. La petite fille était morte depuis longtemps et sa tête penchait de façon anormale.
« Tu vois ? Regarde. Voilà. Elle est vivante, n’est-ce pas ? Ma sœur ne peut pas être—»
Comme pour l’interrompre, comme pour la trahir—le cadavre qu’elle avait violemment secoué tomba de la chaise.
Avec un lourd bruit sourd, Mirina s’effondra sur le sol.
« Ah— » A cet instant, Elise prit conscience de ce qui se passait. « Non… Ma sœur est… Mirina est vivante… »
Elle se leva, tendit une main vers le cadavre, puis s’arrêta à mi-chemin. Le bout de ses doigts tremblait violemment.
Elle formait une figure incroyablement déchirante. « Elise… »
« Non. Non, non, non… ! Pas question, pas question, pas question, pas question ! Mirina a, je veux dire, elle a vécu avec moi pendant tout ce temps. Elle ne peut pas être morte… ! »
« …… »
Je me suis interposée entre Elise et le cadavre et j’ai serré la jeune fille dans mes bras. Je pouvais sentir du bout des doigts la texture rugueuse de son long manteau, qui portait encore la fraîcheur de l’air hivernal.
« Mlle Elaina… ce n’est pas possible. Mirina est… »
« …Elise. » J’ai resserré mon étreinte. « Tu ne peux pas… Tu ne peux plus t’enfuir. »
« Je ne m’enfuis pas— »
« Tu as traversé beaucoup de choses. On ne peut pas le nier. Je comprends que tu veuilles fuir tout ça. Mais tu ne peux pas. Parce que si tu continues à détourner les yeux et à fuir, tu vas courir si loin que tu ne pourras jamais revenir à la réalité. »
« …… »
« J’ai travaillé si dur pour devenir ton ami, et je ne peux pas supporter de regarder ton traumatisme lentement te ronger. »
« …… »
« Reviens à la réalité, s’il te plaît. » Et puis j’ai demandé encore une fois. « S’il te plaît, laisse-moi t’aider. » Il n’y a pas eu de réponse.
Juste un silence alors qu’elle ouvrait la bouche, aucun son ne s’échappant de ses lèvres. Ses doigts tremblants agrippaient fermement ma robe tandis qu’elle marmonnait de façon incohérente, « Non, non, pas question, arrête ça. »
Très vite, ses marmonnements se sont transformés en gémissements, elle s’est accrochée à moi et a pleuré, et pleuré.
Je ne l’ai pas lâchée jusqu’à ce que les larmes cessent.
[ … ]
« Bonjour. »
« Oh, Mademoiselle Elaina. Bonjour… Je vois que vous mangez à nouveau du pain de la boulangerie. »
« Oui. J’y ai pris goût—mais c’est sans doute la dernière fois que j’en mange. »
« … ? »
« Je vous l’ai dit : J’ai terminé le travail sans problème. Après avoir quitté la ville, je n’ai pas l’intention de revenir dans cette région. »
« …Ah bon ? »
« Dépité, comme toujours. »
« Je vous l’ai déjà dit. Nous ne voulions vraiment pas chasser la fille. C’est juste que c’était le seul moyen. »
« Quoi qu’il en soit, cela ne change rien au fait que vous alliez la jeter dehors—et parlons de mon paiement. »
« …Ah, c’est vrai. Il y avait ça. Hum… »
« Je n’en ai pas besoin, alors pourriez-vous l’envoyer chez elle pour moi ? »
« Hein ? »
« Je ne vais pas me répéter. »
« Non, c’est juste— »
« Peu importe ce que vous dites, je ne le prendrai pas. Fin de l’histoire. »
« … Mademoiselle Elaina, comment va la jeune fille ? S’est-elle rétablie ?
« Qui peut le dire ? Pas moi, c’est certain. »
« C’est ainsi… ? »
« Oui. Je vais y aller maintenant. »
« …Prenez soin de vous. »
« Oh, c’est vrai, c’est vrai. J’ai oublié de dire une chose. »
« Hmm ? Qu’est-ce que c’est ? »
« Quand elle reviendra ici, faites de votre mieux pour ne plus faire ce genre de tête, d’accord ? »
[ … ]
Cela faisait un moment que je passais mon temps avec la jeune fille.
Nous courions dans les paysages enneigés les jours ensoleillés, elle chassait et nous cuisinions ensemble. Rincer et répéter.
Je vivais dans cet agréable écoulement du temps.
Et puis, quand Elise a vraiment appris à chasser toute seule, tout à coup, elle dit : « Maintenant, je suis grande ».
Devant les tombes où reposaient les trois membres de sa famille, elle dit cela à personne en particulier.
« He bien dans ce cas, je crois que mon travail est terminé. »
« Je ne dis pas que tu devrais partir, mais… Mais merci pour tout, Mlle Elaina. »
« Ce n’est pas nécessaire. J’ai juste fait ce que je pensais être le mieux. »
« Que vas-tu faire maintenant ? »
« Je vais me remettre à voyager. »
« …Je vais être seul. »
« …Moi aussi. »
« Dans ce cas, je pourrais venir avec toi ! »
« Ah ben… C’est un peu… »
« Tu es trop honnête, Mlle Elaina. »
« Que comptes-tu faire maintenant, Elise ? »
Elle enleva sa capuche et regarda le ciel. La tête inclinée vers l’horizon dégagé, son souffle s’élevait comme de la fumée et disparaissait dans l’air froid. Le soleil avait émis une légère chaleur, mais elle était si faible qu’elle se perdait facilement dans le vent glacial.
Elise se tourna vers moi.
« Je pense que je vais essayer de retourner dans cette ville pour un petit moment. »
« … Alors même que tu n’y as que de mauvais souvenirs ? »
« Mm. Si j’y vais maintenant, j’ai l’impression que je peux me faire des souvenirs différents », dit-elle. « De plus, comme j’ai fait de mauvaises choses aux gens là-bas, j’aimerais m’excuser. »
« …… »
« Je dis cela, mais je n’ai pas encore pris de décision définitive, tu sais. C’est juste… quelque chose que je pense que j’aimerais faire un jour. »
« Vraiment ? »
Je pense que c’est une bonne idée—j’ai acquiescé.
« Enfin, en tout cas, si je pars, ce sera après avoir fait le point et avoir fini de dire au revoir à tout le monde. Au moins pour un petit moment encore—au moins jusqu’à ce que la neige fonde, je vais continuer à vivre ici. »
À ce moment-là, dans la forêt derrière elle, on entendit un bruissement.
Elle se retourna, et la neige qui reposait sur une branche d’arbre tomba au sol. La cime de l’arbre se balança doucement, et un peu de vert revint dans le monde blanc pur.
Il semblait que la neige allait fondre petit à petit à partir de maintenant.
Cependant…
« Je suppose qu’il faudra encore attendre un peu, hein ? »
Elle secoua lentement la tête à ma déclaration et sourit. « Bientôt », dit-elle.