The Beginning After The End - Chapitre 424
Chapitre 424 – Changer le Récit
CECILIA
« Et nous y voilà, une fois de plus » dis-je en jetant un coup d’œil à ma gauche.
Nico volait à mes côtés et nous étions en vol stationnaire juste à l’extérieur de la barrière de protection entourant la moitié ouest de Sehz-Clar. Derrière nous, vingt mille soldats alacryens loyaux remplissaient les rues de Rosaere, la ville qui s’étendait sur les deux moitiés distinctes du dominion. Le bouclier translucide la divisait en deux.
L’aube approchait. Une brise fraîche soufflait de la mer de la Gueule de Vritra, tirant sur les cheveux gris argenté que je n’avais jamais réussi à teindre.
Le bouclier lui-même me paraissait différent à présent. Alors qu’il n’était auparavant qu’un monolithe inexplicable, je le voyais à présent clairement. Les traces de mana du Basilisk étaient aussi évidentes qu’une tache de sang, et la structure sous-jacente était facile à observer.
De l’autre côté du bouclier, je ne percevais qu’une maigre résistance. Des groupes de rebelles traîtres s’étaient retranchés dans des positions défendables à travers la ville, mais nous étions cinq fois plus nombreux qu’eux.
« Seris savait que j’arrivais, » ai-je dit à Nico. « Elle a retiré ses forces. »
Nico était silencieux. Nous avions à peine parlé depuis qu’il s’était enfui de ma chambre après notre conversation. J’évitais volontairement de penser au mensonge que nous partagions maintenant, et à la vérité que je lui cachais. Mais je n’étais pas prête à prendre le risque de divulguer ce que j’avais appris. Pas encore…
Me retournant brusquement, je me suis élevée pour que toutes mes troupes puissent me voir. Au moment où j’ai parlé, ma voix est venue de partout à la fois, chaque molécule de mana atmosphérique étant mon porte-voix. « Guerriers ! Aujourd’hui, vous vous battez pour l’esprit de votre continent. Ce n’est pas une guerre, mais une reconquête. Ces traîtres ont tenté de fracturer Alacrya en semant le mensonge et la discorde. Mais, regardez ! »
Je fis un signe vers la moitié opposée de la ville. Le mana s’est détaché du bouclier géant et a dérivé vers les groupes de résistants, faisant briller ces quelques milliers d’hommes et de femmes et mettant en évidence la petite taille de la force. « Même eux savent que le combat est perdu d’avance ; le gros de leurs forces a déjà fui ! »
Un grondement lointain mais tonitruant me revint, vingt mille voix s’élevant dans un cri de guerre assourdissant.
D’un geste vif, j’ai virevolté et appuyé une main sur la barrière.
Le pouvoir d’un Souverain s’étendait sur des centaines de kilomètres de force protectrice, s’opposant au reste du monde. Ma conscience en traçait les lignes, jusqu’à Aedelgard, le long du réseau de matériaux conducteurs de mana jusqu’au coeur de la machine de Seris, jusqu’à Orlaeth Vritra lui-même. Je pouvais le sentir—la batterie sur laquelle tout cela fonctionnait—mais c’était tout ; je n’avais aucune idée de ce qu’ils lui avaient fait.
Cette fois, lorsque je tournai mes sens vers le mana, celui-ci réagit. Comme des feuilles poussant vers la lumière du soleil, les particules de mana qui composaient la barrière se rapprochèrent de moi, et la structure entière trembla.
J’ai recourbé mes doigts et les ai enfoncés dans le bouclier. En retirant ma main, une poignée d’énergie immatérielle en sortit, scintillant comme des lucioles dans la pénombre de l’aube. J’ouvris la main et fis couler le mana entre mes doigts, où il se dissolvait dans sa forme première.
Le trou dans le bouclier s’agrandit, les bords s’illuminant d’une lumière blanche vacillante. La lumière rampait sur la surface lustrée, et le trou s’agrandissait, s’accélérant à chaque seconde.
Même si mes soldats ne pouvaient pas voir mon visage, j’ai arrangé mes traits pour leur donner une expression de calme et de détermination. J’étais un chef à la tête d’une armée, pas une enfant comme le pensait Seris. Où qu’elle se cache, j’espérais qu’elle le verrait. Ce qu’elle avait mis des années à créer, je venais de le défaire en un instant.
La brèche dans le bouclier s’agrandit jusqu’à atteindre une trentaine de mètres de large, ouvrant la voie à mes soldats, mais je n’ai pas immédiatement lancé l’appel à la charge. Mon regard suivit le bord qui s’éloignait jusqu’à ce que, avec une soudaineté qui me surprit moi-même, le bouclier éclate comme une bulle. Un instant, il était là, et l’instant d’après…
« Le Haut Souverain a proclamé que tout mage, sans ornement ou esclave ayant tourné le dos à ce continent est inapte à y vivre. Ne faites pas de quartier. » J’ai respiré lentement et profondément. « Attaquez ! »
Le bruit des catapultes suivit mon ordre comme une exclamation, et les munitions imprégnées s’élancèrent dans les airs, au-delà de l’endroit où se trouvait le bouclier, et s’écrasèrent sur les bâtiments de la moitié ouest de la ville. Des pierres condensées ont éclaté, projetant des éclats mortels sur des dizaines de mètres. Des barils de liquide inflammable se brisèrent et aspergèrent leur environnement, qui s’enflamma instantanément, mettant le feu à la ville. Des grappes de cristaux de mana se répandirent en larges arcs, explosant sous la force de leur atterrissage et faisant s’effondrer des structures entières.
Une onde de choc de bruit et de mana passa devant moi.
Les boucliers ennemis se sont levés un peu partout, et les tirs de riposte et les contre-sorts se sont multipliés. Un éclair bleu jaillit du sol et se dirigea vers moi. Lorsque j’ai atteint le mana, il s’est figé en une ligne d’électricité dentelée et dansante, suspendue dans l’air. Une vague a couru le long de l’éclair, commençant à l’extrémité qui planait à quinze mètres au-dessous de moi et descendant vers le sol.
Des dizaines d’éclairs plus petits explosèrent à partir du point d’impact, et je sentis plusieurs signatures de mana s’obscurcir.
Quelque chose se tortilla dans mes entrailles. Mieux vaut une mort rapide au combat que des semaines de torture et de famine dans les profondeurs de Taegrin Caelum, pensai-je.
« Il n’y a aucune raison pour que nous nous attardions ici, » dit Nico, me ramenant dans la bataille. « Notre camp fera le ménage bien assez vite sans notre aide. »
Melzri dirigeait une force venant de l’ouest pour capturer la base d’opérations de Seris à Sandaerene tandis que Dragoth et les soldats de Vechor patrouillaient dans la Gueule de Vritra pour empêcher une retraite massive.
En regardant le centre de la formation de mes soldats au sol, j’ai dit, « Echeron, c’est toi qui commandes. Tu as tes ordres. »
Ma voix se propagea dans le vent jusqu’aux oreilles du serviteur de Dragoth.
« Oui, Héritage, » répondit-il, vague et distant.
J’ai regardé Nico et j’ai hoché la tête. « Ne perdons pas de temps alors. »
Prenant de l’altitude, nous nous dirigeâmes vers le nord. Alors que nous franchissions les falaises au-dessus de Rosaere, plusieurs dizaines de sorts—des éclairs et des jets de magie verte, bleue, rouge et noire—jaillirent d’une série de bunkers couverts.
Grognant de contrariété, je saisis les fils de chaque sort et tira, entraînant les sorts hors de leur trajectoire et les forçant à s’agglutiner dans l’air devant nous.
Le bâton de Nico brilla d’une lumière rouge et il le brandit dans l’air devant lui. Des boules de feu bleu cinglant les rétines bombardèrent les bunkers, brisant leurs boucliers et faisant s’effondrer les structures renforcées des mages qui s’y trouvaient.
Condensant tous les sorts rassemblés en une tempête de balles multi-élémentaires, je les ai renvoyés vers les restes fumants des bunkers, étouffant les quelques signatures de mana restantes que je pouvais détecter.
Nico resta en position un moment, à l’affût de toute nouvelle activité, mais je pouvais dire que la sous-structure était dégagée. « Allez, viens. Ces soldats sont sans importance. Notre véritable cible nous attend à Aedelgard, à moins qu’elle ne se soit déjà enfuie. »
« C’est une défense symbolique, » dit Nico pensivement, comme s’il n’avait pas entendu ce que j’avais dit. « Même en excluant la présence de Faux ou de serviteur—ou de toi—une si maigre fortification n’aurait pas tenu ne serait-ce qu’une journée face à notre supériorité numérique. Alors où sont ses armées ? »
« Nous le découvrirons bien assez tôt, j’imagine, » répondis-je en accélérant le pas. Je le sentis me suivre, le sort de vent qu’il avait utilisé pour reproduire le vol le poussant dans mon sillage.
La campagne au nord de Rosaere était parsemée de petites agglomérations et de domaines privés, mais pas d’autres lieux fortifiés. Nous volions à toute vitesse, vers le nord et l’ouest, et à mesure que nous approchions de Sandaerene, je sentais la bataille bien avant de la voir. Nico et moi restâmes légèrement à l’est de la ville, n’ayant pas l’intention de nous impliquer dans la bataille, où Melzri et Mawar auraient les choses bien en main.
Nico et moi aurions pu percer le bouclier près d’Aedelgard comme je l’avais fait auparavant, évitant ainsi un vol de plusieurs centaines de kilomètres, mais le gros de notre armée devait attaquer par voie terrestre depuis Rosaere, et j’avais voulu qu’ils me voient briser le bouclier. De plus, cela avait été l’occasion de balayer le dominion dans toute sa longueur et de faire connaître ma présence à ses habitants, qu’ils soient citoyens ou mages rebelles.
Néanmoins, j’avais hâte d’en finir lorsque nous atteignîmes Aedelgard, où se trouvaient le complexe de Seris et la source d’énergie du bouclier.
Seris était rusée, c’était une survivante, et je doutais de la trouver au balcon de son domaine en train de m’attendre. Après tout, elle avait réussi à déjouer et à capturer un Souverain.
Lorsque la ville est apparue, j’ai été surpris de voir de la fumée et des flammes s’élever de plusieurs endroits différents. Une puissante signature de mana rayonnait à l’est de la ville.
« Dragoth s’est déjà installé, » remarqua Nico avec amertume en me jetant un coup d’œil.
J’ai gardé mon expression impassible. « Peu importe, tant qu’il n’a pas laissé Seris s’échapper en négligeant ses devoirs. »
Toutes les Faux—à l’exception de Nico, bien sûr—étaient amers et frustrés par ma position. Elles se démenaient pour obtenir les moindres acclamations qu’elles pouvaient trouver, chacune d’entre elles espérant remplacer Cadell comme bras droit d’Agrona et se montrer digne de son poste. Il n’était pas surprenant que Dragoth ait profité de l’occasion pour remporter une victoire. Mais cela n’avait guère d’importance. Vu l’ampleur de la guerre qui s’annonçait, les Faux n’avaient plus de raison d’être à mes yeux.
Alors que nous approchions du domaine de Seris en regardant la mer de la Gueule de Vritra, j’ai enfin aperçu Dragoth. Il survolait le domaine, les bras croisés, et nous regardait approcher. Avec ses cornes étendues et sa masse incroyable, il ressemblait à une pièce de bœuf suspendue sur le chevalet.
« Tu n’es pas en position, Dragoth, » dit Nico une fois que nous fûmes assez près pour parler.
Dragoth s’éleva de quelques mètres pour regarder Nico de haut. « J’avais une source dans la ville avant que les boucliers ne tombent, qui m’a informé d’un regain d’activité. Comme votre visite du dominion vous a retardé, j’ai pensé qu’il valait mieux verrouiller la ville. » Il me fit un signe de tête narquois. « Pour préparer votre arrivée, bien sûr, Héritage. Les navires et les soldats de Vechor patrouillent toujours en mer, mais si les rats fuient leur navire en perdition, nous ne les avons pas vus. »
C’est peut-être parce que vous ne voyez pas plus loin que votre cul, pensai-je.
À voix haute, j’ai demandé, « Y a-t-il des signes de Seris ? »
Dragoth secoua la tête. « Cependant, les profondeurs du domaine sont protégées. Elle peut s’y cacher. La connaissant, elle a sûrement un tour dans son sac. »
« Je me fiche de ce qu’elle tente, » dis-je, ne cherchant pas à cacher mon irritation à l’égard de la Faux Vechorienne. « C’est terminé. »
« En effet. Le fait que j’aie pu corrompre l’un des siens suggère qu’elle a perdu la main. » Dragoth gloussa. « Rendue faible par une personne sans sang de l’autre continent… il n’est pas étonnant qu’elle soit tombée si bas. »
Basculant vers le sol, j’ai volé jusqu’à l’un des balcons ouverts du domaine. Les soldats de Dragoth étaient en train de tout saccager, arrachant tout ce qui avait de la valeur et le jetant en tas. Un mage en particulier attira mon attention ; il se tenait au garde-à-vous, comme s’il attendait notre arrivée.
Son apparence était généralement banale, mais il présentait une étrange dualité. D’un côté, il avait un œil rouge et une courte corne qui dépassait de ses cheveux noirs, mais de l’autre, son œil était brun et la corne avait été brisée, ne laissant qu’un moignon déchiqueté à moitié caché. Pourtant, il n’a pas reculé à notre approche, comme la plupart des soldats. Au contraire, il s’est mis au pas à côté et juste derrière Dragoth, comme s’il était à sa place. Plusieurs mages se détachèrent de ce qu’ils étaient en train de faire et se mirent en formation autour d’eux.
« Qu’as-tu découvert ici, Wolfrum ? » demanda Dragoth.
« Nous avons suivi la plupart des câbles de mana sur plusieurs niveaux, mais nous n’avons pas réussi à contourner la porte du bas. Nous supposons qu’elle mène à ce qui alimente—ou alimentait—le bouclier, » dit l’homme né Vritra d’une voix confiante et légèrement nasillarde.
« Conduisez-nous à la porte, » dit Dragoth, puis il modifia : « Si c’est ce que souhaite l’Héritage. »
Je me suis arrêté, après avoir traversé un large espace illuminé et pénétré dans un couloir de liaison couvert de peintures fantaisistes. Au lieu de répondre, j’ai seulement fait un signe de la main. Le jeune homme, Wolfrum de Haut-sang Redwater, je m’en suis rendu compte, a baissé la tête et s’est dépêché de passer devant moi, sans croiser mon regard. Il nous fit traverser plusieurs autres pièces jusqu’à ce que nous atteignions un escalier qui descendait en pente raide. Au vu du temps que nous avons passé à descendre la cage d’escalier exiguë, je savais que nous devions être profondément enfoncés dans le flanc de la falaise, sous la maison de Seris.
La « porte » en question était un épais carré de fer encastré dans le mur. Le seul signe permettant de l’ouvrir était un cristal de mana de faible intensité fixé au mur à proximité.
« Quelle que soit la magie incorporée dans cette porte, nous n’avons pas réussi à l’ouvrir, » dit Wolfrum. « J’ai fait venir plusieurs Imbuers pour nous aider à évaluer… »
Je pouvais sentir le mana qui habitait le cristal, ainsi que le mana stocké dans un dispositif au-dessus de la porte qui l’entraînait vers le haut dans le mur, et une série de pinces qui la maintenaient fermement en bas, l’empêchant d’être forcée. La porte elle-même était fortement protégée contre la force magique, mais les mécanismes qui y étaient attachés dépendaient du système d’entrée de mana et étaient donc plus facilement manipulables. Par moi, du moins.
Dissipant le mana qui forçait les pinces à se fermer, j’ai activé le mécanisme de la chaîne. La porte se déplaça légèrement, faisant vibrer le sol, puis se souleva dans le renfoncement au-dessus d’elle avec un léger bourdonnement.
L’espace au-delà, une sorte de laboratoire, était éclairé d’une lumière bleue froide provenant d’énormes cylindres de verre remplis d’un liquide incandescent. D’incroyables quantités de mana étaient suspendues dans le liquide, qui frémissait à ma présence.
« Attendez ici, » ordonna Nico aux soldats avant de franchir la porte d’un pas prudent.
Dragoth renifla. « Ne t’avise pas de donner des ordres à mes soldats, alors que je… »
Il perçut ma mine renfrognée, et je vis la reconnaissance poindre lentement sur le large visage de la Faux. « Restez ici, » dit-il, laissant en suspens ce que Nico et moi avions déjà compris ; quel que soit l’état dans lequel se trouvait le Souverain Orlaeth, nous voulions qu’il soit vu par le moins de personnes possible.
Des tubes de verre reliaient plusieurs de ces cylindres entre eux et une variété d’appareils et d’artefacts étaient fixés aux murs, dont aucun n’avait de sens à mes yeux. Des cristaux de projection vides parsemaient les murs, comme des yeux aveugles parmi les autres équipements. Je jetai un coup d’œil à Nico ; ses yeux parcouraient rapidement le laboratoire et sa bouche était légèrement ouverte. J’aurais aimé, l’espace d’une seconde, lui laisser plus de temps pour profiter de ce moment, mais il y avait quelque chose de bien plus urgent à faire.
Au-delà des premières rangées de cylindres, le centre du laboratoire était isolé par un bouclier en forme de dôme. Il avait une teinte fumée et était incroyablement dense, mais j’ai reconnu la source du mana.
En avançant, je suis passé entre les cylindres bleu vif qui bouillonnaient silencieusement, et un réservoir plus grand est apparu, juste au centre de la zone protégée.
Orlaeth Vritra flottait à l’intérieur. Le Souverain avait l’air épuisé, et son visage était insipide et vide de pensée ou d’expression. Du moins, c’était le cas sur l’une de ses têtes. L’autre était entièrement manquante, il n’en restait qu’un moignon de cou nu qui avait cicatrisé en une cicatrice sanglante.
Ma proie se tenait à côté du réservoir, ses cheveux perlés se détachant sur ses vêtements noirs écaillés.
« J’ai promis de venir pour toi, Seris. Et me voilà. »
La Faux me fit le même sourire frustrant et imperturbable que j’avais vu trop souvent auparavant.
« Hé, » fit Dragoth en faisant un signe de tête à Seris, croisant les bras et s’appuyant négligemment contre l’un des réservoirs.
Seris ne jeta qu’un coup d’œil à Dragoth avant de se concentrer sur le jeune mage de sang Vritra. « Tout ce temps, Wolf ? T’ai-je vraiment appris si peu de choses ? »
Il leva le menton, jetant un regard féroce à la Faux. « Tu m’as appris tout ce dont j’avais besoin pour te battre, mon mentor. C’est tout ce dont j’avais besoin de ta part. »
Dragoth éclata de rire. « Le grand idiot de Dragoth surpasse la dangereuse intelligence de Seris. Qui l’aurait cru, hein ? »
Seris se rongea les ongles distraitement en regardant les deux hommes derrière son bouclier. « C’est loin d’être le cas. J’admets que je suis blessée, mais il vaut mieux avoir fait confiance et avoir perdu que de n’avoir jamais eu ce potentiel. D’ailleurs, je crois que Caera a réussi à s’échapper, n’est-ce pas ? »
« Assez ! » craquai-je en m’approchant du bouclier, encore plus irrité que Seris m’ait ignoré au profit d’un échange de coups inutiles avec un petit garçon en colère. « Je pensais que tu étais intelligente, Seris. Mais tu t’es mise au pied du mur et tu t’appuies maintenant sur un vieux truc que j’ai déjà surpassé. Je suis en fait assez déçu, vu le respect craintif que toutes les autres Faux semblent te porter. »
Avant qu’elle ne puisse répondre, j’ai enfoncé ma main dans le bouclier et l’ai déchiré.
Ou plutôt, j’ai essayé de le faire, mais il m’a résisté.
« Orlaeth contrôle toujours activement ce mana, » dit Seris en se rapprochant de son côté du bouclier, juste en face de moi. « Avec un mana si dispersé et traité relais après relais pour atteindre les coins les plus reculés de Sehz-Clar, son contrôle s’est affaibli. Mais ici, si près—elle fit un geste vers le Basilisk comateux qui flottait derrière elle—je pense qu’il te sera beaucoup plus difficile de lui retirer le contrôle. »
J’ai frappé avec mon esprit et mon mana, mettant en œuvre toute la puissance de mon pouvoir. Le mana s’écrasa contre le mana, et le bouclier trembla. Mais il ne se brisa pas. « Abattez-le, » ordonnai-je en concentrant toute ma puissance dans un nouveau choc.
Nico envoya des balles multi-élémentaires et des pointes de fer sanguines dans le bouclier d’un côté tandis que Dragoth conjura un marteau de guerre noir déchiqueté enveloppé dans le vent du vide et le frappa encore et encore dans la barrière.
Seris se contenta de nous adresser un sourire solennel et méprisant pour nos efforts.
« Depuis bien trop longtemps, Alacrya sert de terrain de jeu à des dieux fous, » déclara Seris, suffisamment fort pour qu’on l’entende par-dessus le souffle de tant de sorts, mais sans s’adresser à l’un d’entre nous en particulier. « Ils élèvent les gens comme des bêtes, nous assignent un but à la naissance en se basant uniquement sur la ‘pureté du sang’ et rejettent tous ceux qui ne répondent pas à leurs besoins. Mais la vérité de nos vies quotidiennes est bien pire que ce que tout le monde sait. »
À côté de moi, Nico a hésité en regardant la pièce avec confusion.
« Parce que tout cela—notre existence entière depuis les premiers ancêtres connus de nos sangs—n’a servi qu’à créer un peuple assez fort pour qu’Agrona puisse nous marcher sur les pieds alors qu’il atteignait son but ultime, » continua Seris en se tournant vers sa gauche, ne nous regardant même plus.
« Assez ! » ai-je aboyé à nouveau. « Reculez, » ai-je ordonné à Nico, Dragoth et au garçon à une corne.
Les deux mains en avant, j’ai de nouveau appuyé sur le bouclier. Le laboratoire devint silencieux, à l’exception du bourdonnement incessant de l’équipement.
Au lieu de pousser le mana vers l’extérieur pour tenter de le contrôler, je l’attirai en moi.
Un sourire victorieux s’étendit sur mon visage tandis que la surface du bouclier teinté de fumée tourbillonnait. Seris avait raison, je ne pouvais pas briser l’emprise d’Orlaeth sur son mana, le souverain était bien trop puissant, mais je pouvais l’absorber comme je l’avais fait avec le phénix et le Souverain Kiros.
Seris s’était arrêtée pour me regarder commencer, et la tristesse s’empara de ses traits alors qu’elle réalisait en vérité qu’elle avait perdu. « Agrona a déclenché une guerre contre Epheotus, le pays des dieux. Il ne s’attend pas à ce que tu gagnes le combat contre lui, ni contre ses sangs Vritra, ses Faux ou même ses Wraiths. Il nous brûlera tous pour alimenter la fournaise de son ambition, car il ne veut pas être le Seigneur des inférieurs, il entend être le Roi des Asuras. »
Le mana se déversa en moi. Je m’y ouvris entièrement, l’absorbant jusqu’à ce que je gonfle à vue d’œil. Des flammes fantomatiques m’enveloppaient, vacillant sur ma peau tandis que je brûlais le mana que je ne pouvais contenir. « Tu as tort, » grognai-je en serrant les dents. « Je gagnerai sa guerre pour lui, puis je rentrerai chez moi. »
« Cecilia… » dit Nico, l’air mal à l’aise, en faisant un pas en arrière.
Seris tourna la tête dans ma direction, les sourcils légèrement haussés. « Oh, Dame Cecilia, Héritage né d’un autre monde. Pardonnez-moi, pensiez-vous que je vous parlais ? » Ses yeux s’écarquillèrent légèrement, puis elle se remit à me tourner le dos.
Au même moment, plusieurs cristaux de projection s’allumèrent autour du laboratoire.
Je vacillai en voyant l’image reflétée dans plusieurs écrans ; Seris, vue à travers une brume grise, regardant solennellement l’artefact d’enregistrement, tandis qu’à côté d’elle je transpirais sous une aura de flammes incolores, luttant contre son bouclier comme un bébé essayant de faire ses premiers pas. Puis l’image changea, montrant l’escalier à l’extérieur du laboratoire, se concentrant sur les expressions gênées de mes soldats qui échangeaient des regards ou reculaient. Puis de nouveau, cette fois-ci sur le visage sans esprit et sans expression du Souverain Orlaeth.
« Qu’est-ce que c’est ? » demandai-je, sentant mon visage rougir en réalisant que Seris avait finalement tendu une sorte de piège, mais ne comprenant pas encore de quoi il s’agissait.
« Elle projette ceci, » dit Nico, regardant d’un panneau à l’autre. « Mais pour… oh, oh non. »
« Écoute-moi, Alacrya, » poursuivit Seris, projetant sa voix comme s’il s’agissait d’un discours. « Ne croyez pas les mensonges qu’on vous a racontés. Chaque fois qu’un Alacryen ose exprimer son opposition à ce régime cruel, le discours est toujours le même. Mais je ne me bats pas pour prendre le pouvoir, ni pour renforcer la position de Sehz-Clar, ni même parce que je pense être la seule à pouvoir vaincre Agrona. Je me bats pour vous montrer que c’est possible. Notre civilisation a peut-être grandi dans le sol fétide des Vritra, a été taillée par leur manque d’empathie et d’humanité, et arrosée de notre propre sang, mais c’est notre civilisation, pas celle des asuras. Il est temps de chasser nos Souverains. Vous, et vous seul, pouvez revendiquer votre souveraineté sur vous-même. »
Orlaeth commença à se tortiller dans sa cuve, et je sentis un affaiblissement du bouclier. Je redoublai d’efforts, et les flammes autour de moi grandirent.
« Cecil, nous devrions… »
Le sang qui battait dans mes oreilles couvrait tout ce que Nico avait à dire, mais j’y étais presque. Dans un instant, le bouclier tomberait, et j’utiliserais alors le mana capturé par Orlaeth pour détruire Seris cellule par cellule.
Elle a dû le sentir aussi, car elle s’est soudainement dirigée vers le réservoir au centre. Un éclair d’énergie noire jaillit de sa main, brisant le verre. Un liquide épais et bleuté s’en échappa, se répandant sur le sol et emplissant le laboratoire d’une odeur de conservation.
Le corps d’Orlaeth se détacha des câbles plantés dans sa chair, tombant sur le sol comme un cadavre.
« Pour ceux qui ne me croient pas, » continua Seris. Une lame de mana sombre se manifesta dans sa main. « Nous pouvons changer le cours de nos vies. Nous pouvons faire saigner les Souverains ! »
L’épée jaillit et le reste de la tête d’Orlaeth dégringola sur le sol, s’immobilisant face contre terre dans la bave, ses yeux sans vie me fixant.
Le bouclier disparut.
Le feu fantomatique se précipita dans mes mains et mon regard croisa celui de Seris. Elle était résignée, mais elle rassemblait son mana.
J’ai déployé toute ma puissance, m’en exaltant.
Le mana de Seris s’enflamma. Et puis, elle avait disparu.
« Non ! » hurlai-je, ayant l’impression que le temps s’était brusquement arrêté alors que je sentais le tempus warp sur lequel elle se tenait l’éloigner.
Les flammes se sont éteintes. Quelque chose s’est brisé en moi.
« Quoi ? » Dragoth rugit, s’élançant vers l’endroit où le tempus warp, encastré dans le sol, était maintenant exposé. Il dit quelque chose d’autre, mais ses mots se perdirent dans le bourdonnement de mes oreilles.
La gravité semblait changer, s’inclinant lentement sur le côté comme un bateau qui fuit et qui est sur le point de couler. Le mana affluait vers moi, m’étouffait, et j’avais l’impression de couler sous des vagues qui m’agrippaient et tentaient de me faire couler.
Mais mon noyau était pire. Tellement pire.
J’étais au sol, même si je ne me souvenais pas être tombée. Des mains s’agrippaient à moi, à mon visage, me forçant à tourner la tête, mais les traits aigus et paniqués qui me fixaient ne s’alignaient pas correctement. Ce devrait être Nico, je le savais lointainement au fond de mon esprit, mais ce n’était pas mon Nico…
Un pic de douleur détourna mes sens de son visage pâle et transpirant pour les ramener vers mon noyau. Il palpitait, souffrait… se fissurait.
Le noyau—mon noyau—était couvert d’une toile d’araignée de fissures microscopiques, mais même cela était faux parce que, au lieu que le mana à l’intérieur du noyau pousse vers l’extérieur, tout ce mana—provenant de la bave recouvrant le sol, des énormes cylindres bleus comme l’éclair, de l’équipement—s’infiltrait dans mon noyau, et la pression montait, montait, montait, et…
Mon noyau a implosé.
En un instant qui me parut durer une éternité, la coque blanche et dure de l’organe magique se dissolu tandis qu’elle était tirée vers l’intérieur, dans le brasier de mana qui faisait maintenant rage dans mon sternum.
J’ai haleté, le souffle coupé, les larmes coulant sur mes joues. Quelque chose se passait à l’extérieur de moi, mais je n’avais que la vague sensation d’un mouvement, d’un cri, d’une explosion de magie, puis je fus à nouveau aspirée vers l’intérieur.
Mon noyau avait disparu.
Et tout ce mana s’est précipité dans une explosion blanche. Pendant un instant, j’ai flotté au centre d’un univers blanc et vierge, comme si l’explosion avait fait table rase du passé, ne laissant derrière elle que moi.
Puis les ténèbres se sont engouffrées dans la brèche et tout est devenu noir.