Chapitre 2257 – La Miséricorde de l’Ombre

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Ne doit jamais être connu. Ne doit jamais être aimé. Ne doit jamais être vénéré.

Sunny fixa Anvil, aucune émotion n’apparaissant sur son visage.

Une obscurité profonde et illimitée se nichait dans ses yeux.

Loin au-dessus d’eux, et tout autour d’eux, de nombreuses épées volantes bruissaient en s’assemblant lentement pour former un dôme gargantuesque…

Sunny leva les yeux, avant de pousser un profond soupir.

…Heureusement que je suis devenu sans destin.

Le monde l’avait oublié, après tout.

Personne ne pouvait l’aimer…

Parce que personne ne pouvait le connaître.

Pas vraiment, en tout cas.

Alors que le poids de cette prise de conscience s’installait dans son cœur, il leva la tête et regarda le lointain. Là-bas, le vaisseau titanesque de la Reine était en train d’être consumé par le feu.

L’éclat diffus des flammes blanches illuminait son visage, mais ne parvenait pas à dissiper l’ombre qui noyait ses yeux.

Sunny resta impassible quelques instants, puis baissa le regard vers le sol.

Et heureusement que j’ai toujours fui le feu des projecteurs.

La nature même de son Aspect l’avait poussé à cacher toute l’étendue de son pouvoir, restant dans l’ombre et évitant d’être remarqué, sans parler d’être connu. Contrairement à Épée Brisée, qui avait été le guerrier le plus renommé et le plus vénéré de l’humanité, Sunny était considéré comme un simple personnage secondaire de l’histoire de quelqu’un d’autre.

C’était comme si le destin l’avait guidé vers ce moment depuis le tout premier jour. Il l’avait conduit à la lignée prohibée de Weaver et lui avait donné les outils nécessaires pour échapper à sa malédiction.

Même sans connaître la raison pour laquelle le Tissage avait été prohibé, Sunny avait réussi à éviter de payer le tribut pour recevoir ses incroyables vertus.

Gagner un Vrai Nom dans le Premier Cauchemar, posséder un Aspect Divin, trouver une Mémoire de Lignée, et accomplir tous ses étonnants exploits… n’importe qui d’autre serait devenu un champion vénéré de l’humanité, mais Sunny s’était bien caché. Il détestait l’idée d’être appelé un héros, de toute façon, alors rester dans l’ombre lui convenait bien mieux… Nephis pouvait rester sous le feu des projecteurs pour eux deux.

Il y avait cependant un petit problème…

Sunny s’était bien débrouillé par le passé, mais pour l’instant, il ne réussissait pas à passer inaperçu. En fait, il faisait vraiment n’importe quoi.

Dormeur Sunless, Éveillé Sunless et Maître Sunless étaient tous des personnages obscurs et apparemment insignifiants.

Le Seigneur des Ombres, quant à lui, était tristement célèbre. En outre, il était en passe de devenir un Souverain. Sa renommée allait exploser et se répandre dans les deux mondes, dépassant même celle d’Épée Brisée…

Car Épée Brisée, malgré tous ses exploits, n’était qu’un simple Saint aux yeux du public — le premier et le plus puissant de tous les Saints humains de l’époque, mais seulement un Transcendant. Sunny, lui, était devenu un demi-dieu.

Non seulement il était un demi-dieu, mais il était aussi le seul égal de Nephis, l’étoile brillante de l’humanité. Son homologue, son allié le plus puissant et, selon les rumeurs, son amant.

En d’autres termes, il était entré en scène — et sous le feu des projecteurs — d’une manière qu’il était impossible de dissimuler. Une fois la guerre terminée, des milliards de personnes apprendraient à le connaître, et même s’il était douteux qu’il soit aimé par beaucoup, il serait certainement craint, vénéré et adoré par tous.

Les soldats des deux grandes armées rentreraient chez eux pour répandre les récits de sa puissance terrifiante et de sa lame impitoyable. Ils lui seraient également reconnaissants d’avoir sauvé d’innombrables vies.

Sa renommée ne ferait que croître à partir de là.

Ah. Quel casse-tête !

L’avenir n’était cependant pas entièrement sombre. Il y avait aussi une lueur d’espoir… le Domaine de Sunny ne dépendait pas des gens. Il n’avait besoin que d’ombres, et les ombres — contrairement aux humains — ne portaient pas les étincelles du Désir originel dans leur âme. Les ombres n’avaient même pas d’âme, en fait, et le fait d’être vénérées par elles n’entraînerait pas la fin du monde.

Sunny n’avait donc pas besoin d’affaiblir son pouvoir s’il voulait éviter de perturber le sommeil du Dieu Oublié, qui engloutirait toute l’existence s’il se réveillait. Ce qui était une bonne chose, car ils allaient avoir besoin de toute la puissance possible.

Il ne lui restait plus qu’à disparaître à nouveau dans l’ombre, d’une manière ou d’une autre.

« …Hypocrite. »

Sortant de sa rêverie, Sunny regarda Anvil avec une expression calme et froide, et dit d’un ton mesuré :

« Je déteste les hypocrites comme toi, Anvil. Tu dis qu’Épée Brisée a dû être tué pour empêcher l’humanité de le vénérer… et pourtant, vous, les Souverains, avez réussi à cacher votre propre existence pendant près de vingt ans, tout cela pour contenir Asterion. Comment se fait-il que vous ayez pu vous cacher, mais qu’Épée Brisée ait dû mourir ? »

Il secoua la tête avec mépris.

« Non… Admets-le. Sois honnête pour une fois. Tu l’as tué parce que tu le détestais. C’est aussi simple que ça. »

Anvil sourit froidement tandis que Sunny levait une main, l’ayant retirée de la garde de son odachi.

« …Que sais-tu de la haine, mon garçon ? »

Ce disant, sa présence déborda d’une puissance tyrannique, et la tempête d’épées autour d’eux se figea, de nombreuses lames s’assemblant pour former des runes gargantuesques. Les runes s’enflammèrent d’un éclat vermillon, si bien que Sunny se retrouva soudain enveloppé d’une lueur rouge sang.

Alors qu’Anvil bougeait la main, une seule lame tomba du ciel, et le ciel lui-même sembla suivre. Un ouragan se leva, le vent hurlant de façon assourdissante en tourbillonnant autour d’eux, et tandis que l’épée tombait brutalement des cieux, son effroyable tranchant semblait s’accentuer de façon exponentielle à chaque anneau lumineux de runes qu’elle transperçait…

Jusqu’à ce qu’elle soit assez tranchante pour couper l’os fracturé, trancher le sol des Creux brûlants, et fendre la mer de cendres en contrebas.

…Bien sûr, elle devait d’abord transpercer Sunny.

Levant les yeux, Sunny saisit la Mémoire qu’il avait invoquée un instant auparavant et leva la main plus haut.

L’épée tranchante s’abattit sur lui dans un maelström de vent furieux. Le puissant coup de vent souleva un nuage de cendres dans les airs, et le temps que les cendres se déposent…

Sunny se tenait toujours au même endroit, immobile et indemne.

Il tenait à la main une petite lanterne de pierre, dont la porte était grande ouverte.

Il l’abaissa et la referma lentement avec son pouce.

Les yeux d’Anvil s’écarquillèrent.

« Comment… as-tu résisté à cette attaque ? »

Au-dessus d’eux, les runes perdirent leur éclat, et un grand nombre d’épées volantes s’effondrèrent dans une rivière d’étincelles écarlates.

Sunny sourit.

« Je n’ai absolument rien fait pour résister à cette attaque. J’ai simplement envoyé ton épée dans le Royaume de l’Ombre. Pourquoi devrais-je combattre ta formidable puissance alors que je peux y déroger avec un petit tour de passe-passe ? »

Son sourire s’effaça peu à peu de son visage.

« Alors, maintenant… »

L’odachi noir s’enfonça dans la chair d’Anvil.

L’expression de Sunny devint sombre et glaciale.

« C’est pour les soldats de la Première Armée d’Évacuation et les habitants de Falcon Scott, que tu as laissés mourir. Samara, Dorn, Belle… et d’innombrables autres. Souviens-toi de leurs noms, salaud. »

Le Roi des Épées réussit à éviter un coup fatal, mais Sunny portait déjà un autre coup. Anvil tenta de le dévier avec son gantelet, mais n’y parvint pas. Du sang coula sur l’os blanc, et une main coupée tomba par terre.

« C’est pour les soldats qui sont morts ici à Godgrave, en combattant dans votre guerre insensée. Chacun d’entre eux était une personne, Anvil, pas une statistique. Nul n’avait besoin de mourir. Je doute qu’un monstre comme toi s’en préoccupe. »

Anvil ne réagit pas à la perte d’une main et recula en titubant pour tenter de battre en retraite.

Mais il était impossible d’échapper à Sunny.

L’odachi noir mordit profondément dans la cuisse d’Anvil, y laissant une terrible blessure. Du sang gicla à la surface de l’os ancien.

« C’est pour Nephis, dont tu as détruit l’enfance. Espèce de sale merde cruelle et vicieuse… tu t’es amusé à tourmenter une enfant ? Goûte à mes tourments, alors. »

Serrant les dents, Sunny donna un coup de pied dans la cuisse blessée d’Anvil et le regarda tomber à genoux.

Une pluie d’épées tomba du ciel pour détruire Sunny, mais une grande vague d’ombres s’éleva du sol et se transforma en un mur impénétrable, les empêchant de l’interrompre.

Il prit une profonde inspiration.

« Et ça… c’est pour moi. C’est pour toutes les souffrances que j’ai dû endurer à cause de toi, et de tes semblables. »

Beaucoup de choses avaient changé chez lui, mais l’une d’entre elles était restée la même. Sunny… Sunny n’oubliait jamais ses rancunes.

Regardant le Roi agenouillé avec un froid mépris, il leva son odachi et se prépara à porter le coup final.

Pour la première fois, une émotion claire s’alluma dans les yeux d’Anvil.

La colère… la réticence… le désespoir…

Il lutta pour se relever, le sang coulant le long de son armure mutilée.

« Tu… tu ne peux pas me tuer… Nephis, c’est elle qui… »

Sunny frappa sans attendre la suite.

La lame noire de son odachi serpentin traversa le cou du Roi sans rencontrer beaucoup de résistance, et une tête coupée roula au sol.

La couronne de fer glissa et tomba sur l’os ensanglanté avec un cliquetis.

Le corps d’Anvil vacilla, puis bascula lourdement dans un fracas d’acier.

Loin au-dessus, toutes les épées restantes se dissolvaient dans une tempête d’étincelles, et pendant un instant, le ciel sembla s’embraser d’une lumière écarlate.

C’était vraiment un spectacle à couper le souffle.

En le regardant, Sunny ne put s’empêcher de se rappeler la tapisserie cramoisie des lumières polaires au-dessus de l’Antarctique.

Lorsque les étincelles disparurent, il poussa un profond soupir et ferma les yeux.

Quelques instants plus tard, Sunny dit doucement :

« Trouve la paix en moi… même si c’est plus que tu ne le mérites, bâtard. »

Telle était la miséricorde de l’Ombre.