6625-chapitre-2206
Chapitre 2206 – Sa Fierté
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Morgan était presque certaine que Faucheuse d’Âmes, Élevée par les Loups et Nightingale avaient pris conscience de la boucle. Ces derniers ne semblaient pas en mesure de conserver leur mémoire, du moins pas encore, mais quelque chose — ou quelqu’un — les informait de ce qui se passait au début de chaque nouvelle journée.
Les signes étaient subtils, mais indiscutables. Leurs réactions avaient imperceptiblement changé, et les mots qu’ils prononçaient ne correspondaient pas toujours à ce qu’ils avaient l’habitude de dire auparavant. Il y eut aussi cette fois où Élevée par les Loups avait disparu quelque part pendant près d’une heure, puis était revenue avec un profond sentiment de malaise caché au fond de ses yeux noisette.
Morgan nota tous ces changements, mais resta silencieuse à leur sujet.
Ce n’était pas si difficile pour quelqu’un enfermé dans cette boucle d’en prendre conscience. Après tout, ce n’était qu’une bulle temporelle qui se répétait — assez vaste pour englober les ruines du Vrai Bastion et les terres environnantes, mais relativement petite dans le grand ordre des choses. Le temps continuait de s’écouler à l’extérieur de la bulle, et le monde continuait de tourner.
…Si le Royaume des Rêves tournait autour d’une orbite, bien sûr.
Morgan connaissait les événements qui s’étaient déroulés dans le Tombeau d’Ariel — notamment grâce au rapport d’exploration étrangement détaillé publié par un auteur anonyme, que le Clan Valor n’avait pas réussi à retrouver malgré ses efforts. L’enchantement du sablier fonctionnait de la même manière que le Grand Fleuve créé par le Démon de l’Effroi, mais à une échelle beaucoup plus réduite.
Quoi qu’il en soit, si la communication avec le monde extérieur était difficile, elle n’était pas impossible. Morgan recevait elle-même de temps en temps des nouvelles de la guerre à Godgrave… son frère avait probablement un ou deux vaisseaux cachés quelque part à l’extérieur de la bulle, sans aucun doute. C’est sûrement ainsi qu’il parvenait à conserver les souvenirs de leurs précédentes batailles, même.
Ainsi, les Saints du gouvernement auraient très bien pu recevoir eux-mêmes une communication du monde extérieur — soit une communication répétée qui les informait de la situation chaque jour, soit simplement quelque chose qui restait avec eux lorsqu’ils retournaient dans le passé.
En fait, l’information n’avait même pas besoin de venir de l’extérieur. Mordret aurait pu les contacter lui-même et conclure une sorte de marché.
Morgan sourit faiblement.
Était-ce cela ? Allait-elle être trahie ? Avait-il déjà infecté ses subordonnés — non pas en consommant leurs âmes, mais simplement en les convainquant avec des mots doux ?
La trahison était toujours potentielle. Chaque personne avait une clé… certaines pouvaient être achetées, d’autres contraintes. Certains pouvaient être trompés, tandis que d’autres n’avaient besoin que d’une occasion pour poignarder les autres dans le dos. Morgan avait été suffisamment souvent des deux côtés de cette équation pour savoir que faire entièrement confiance à quelqu’un était un sentiment insensé.
Cela dit, elle avait du mal à imaginer Faucheuse d’Âmes ou Élevée par les Loups conclure un accord avec Mordret après avoir combattu côte à côte avec les Saints survivants de la Maison de la Nuit pendant si longtemps. Et encore moins Nightingale, si inflexible et si ennuyeux…
Ainsi, leur nouvelle prise de conscience était probablement venue de sa chère sœur, Étoile Changeante. Tous avaient été membres de sa cohorte autrefois, après tout, et bien que la vie les ait conduits sur des chemins différents, un tel lien n’était pas facilement rompu par l’affiliation politique.
Alors… qu’est-ce que Nephis manigançait ?
Soudain, la trahison semblait encore plus inévitable.
Morgan gloussa et regarda Nightingale avec un sourire amusé.
« Non, je ne fais pas partie des Autres. Venez manger, tout le monde. La nourriture refroidit. »
Trahison ou pas… elle s’en fichait un peu. Morgan fit donc semblant d’ignorer leurs regards tendus et retira la marmite du feu, prête à verser le ragoût dans les bols.
Ils mangèrent leur nourriture, comme ils le faisaient toujours. Après quoi, ils se préparèrent au combat, comme ils le faisaient toujours.
Les ruines éclairées par la lune se transformèrent alors en un paysage infernal où monstres et demi-dieux s’entre-déchiraient dans un festin de destruction et de sang, comme ils le faisaient toujours.
Les formes gargantuesques de Typhaon et de Knossos se déplaçaient sur le lac peu profond. Des torrents de lumière stellaire tombèrent du ciel nocturne, dévastant la terre. La forme titanesque d’une déesse d’acier dégringola des pentes de la montagne et atterrit dans la cité noyée en contrebas, faisant trembler le monde. Une brume froide se répandait dans les ruines, et le chant obsédant d’un dragon nocturne imprégnait le ciel sombre.
Levant son épée, Morgan lutta contre une impression de déjà-vu.
Pourquoi s’obstinait-elle ? Ce massacre insensé et sans fin était certainement trop dur à supporter pour une personne saine d’esprit.
Son désir de gagner n’était rien d’autre qu’un malin sentiment d’obligation. Son désir de se prouver aux autres s’était transformé en cendres il y a bien longtemps, après qu’elle eut appris que ceux qui la jugeaient indigne n’étaient eux-mêmes pas dignes de la juger.
Son désir de gagner l’approbation de son père… de ne pas devenir une déception à ses yeux froids et insensibles… avait également perdu tout son sens, à un moment donné.
Pourquoi cela ?
Alors que les vaisseaux de Mordret étaient détruits les uns après les autres, et que ses Saints tombaient successivement, leur sang repeignant les ruines en rouge, Morgan prit une profonde inspiration.
Était-ce parce qu’elle avait aussi été déçue par lui ?
Probablement, oui. Pas qu’il s’en soucie.
Alors pourquoi se battait-elle ?
Un sourire noir se dessina sur les lèvres de Morgan.
Eh bien… n’était-ce pas simplement parce qu’elle aimait ça ?
Son désir de gagner n’était peut-être pas aussi puissant que la passion débordante et haineuse de son frère… mais elle avait aussi sa fierté.
Elle détestait perdre.
Et c’était une raison suffisante pour qu’elle persiste et se batte pour ces ruines jusqu’à ce que le ciel lui-même se brise, et que les morceaux de la lune brisée tombent comme une pluie de feu.
Tout bonnement parce qu’elle était trop têtue pour abandonner, et qu’elle savait apprécier une bonne bataille.
Une bonne guerre.
Oui… J’aime bien. C’est sympa.
Morgan allait arrêter son frère — pas pour quelqu’un d’autre, mais uniquement pour elle.
La lumière pâle de la lune se reflétait sur la lame de son épée tandis que Morgan sautait du mur en ruine pour faire face à Mordret…
Comme elle le faisait toujours.