Chapitre 2204 – Sans Nom

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

De l’autre côté de la vaste étendue d’os blancs immaculés, Rain regardait, engourdie, les soldats autour d’elle quitter lentement le camp pour se rassembler en formation de combat.

La Septième Légion Royale, bien qu’ayant subi de sévères pertes, était au centre même de l’Armée du Chant une fois de plus. Elle allait à nouveau affronter les Chevaliers de Valor et subir les combats les plus violents. S’il y avait quelque chose de différent, c’était que la Princesse Seishan les dirigeait personnellement cette fois-ci.

Sa grâce et sa beauté exquise étaient à couper le souffle… aujourd’hui, cependant, elles pâlissaient devant une femme délicate qui se tenait à ses côtés. C’était Sainte Cassia, Chant des Déchus — l’otage Transcendante de la Reine.

L’une était comme la lune, l’autre comme le soleil. Les yeux des soldats étaient attirés par les deux Saintes contre leur volonté, et Rain pouvait voir un soupçon d’émotion étrange et onirique s’allumer dans les regards engourdis des soldats terrifiés.

C’était un peu comme la façon dont Ray regardait Fleur, et Fleur regardait Ray.

À bien y penser… c’était également la façon dont son frère regardait les éclats d’âme.

Ce qui était un peu étrange, étant donné qu’elle ne l’avait jamais vu absorber un éclat d’âme.

Chacun son métier, j’imagine.

Rain ne savait pas comment Cassie avait fini par être capturée par le Clan Song, et n’était pas en position de s’inquiéter pour la belle Sainte.

Inspirant lentement, elle regarda son ombre.

Puis, elle chuchota doucement :

« Est-ce qu’il va… vraiment y avoir une bataille ? »

Cette guerre avait connu de nombreuses batailles, mais aucune n’était aussi effrayante que celle-ci. Cette bataille… serait la dernière, après tout. L’Armée du Chant n’avait nulle part où se replier, non plus.

Son ombre répondit en chuchotant.

« Je ne sais pas. »

Elle resta silencieuse quelques instants, avant d’ajouter sombrement :

« Quoi qu’il arrive, fais de ton mieux pour survivre. Il se peut que je sois… indisposé, plus tard. »

Rain expira.

Son cœur était envahi d’une étrange émotion. Quelque chose qu’elle n’avait jamais ressenti auparavant, et qu’elle n’arrivait pas à nommer… le mot était sur le bout de sa langue, demandant à être prononcé, mais il ne venait pas à elle.

C’était trop puissant pour être un simple sentiment, et étrangement insaisissable.

Elle vérifia son arc, puis dit maladroitement :

« …Toi aussi. Fais de ton mieux pour survivre, je veux dire. »

Son ombre ricana.

« C’est le plan. »

Il n’eut cependant pas l’occasion de dire quoi que ce soit d’autre, car Tamar s’approcha d’elle à ce moment-là.

L’Héritière ressemblait à ce qu’elle avait toujours été… enfin, pas tout à fait.

Rain ne l’avait pas remarqué préalablement, mais Tamar avait beaucoup changé par rapport à la jeune fille qu’elle avait rencontrée sur la Plaine de Rive-Lune. Jadis, son attitude sévère ne correspondait pas tout à fait à son apparence juvénile, comme si Tamar ne faisait que jouer à l’adulte sans avoir la maturité nécessaire pour l’être.

Elle était toujours aussi jeune, mais son regard était empreint d’une froideur ferme et d’une sombre assurance qui n’existaient pas auparavant — une sorte de dureté qui ne convenait pas aux yeux de quelqu’un d’aussi jeune… pas dans un monde digne d’être vécu, en tout cas.

Rain soupçonnait qu’elle avait le même regard hanté dans ses propres yeux. Tous, soldats de l’Armée du Chant, l’avaient désormais… les soldats de l’Armée de l’Épée n’étaient sans doute pas différents.

La guerre avait le don de transformer rapidement les jeunes en adultes, et les adultes en un désastre.

Elle soupira.

Tamar regarda Rain en silence pendant quelques instants.

« Es-tu prête ? »

Rain se força à sourire.

« Pas du tout. »

Son amie acquiesça sèchement, puis reprit sur le même ton neutre :

« Eh bien… pas de chance. »

En entendant cela, Rain ne put s’empêcher de rire.

Un sourire timide se dessina également sur les lèvres de Tamar.

« Bon sang… J’ai été engagée pour construire des routes, tu sais ? Comment ai-je pu me retrouver dans ce pétrin ? »

Tamar haussa les épaules.

« Tu ne sais pas ? »

Elle hésita un instant, avant de soupirer.

« Écoute, Rani… Je n’allais rien dire, mais puisque tu le demandes, je vais le dire. C’est parce que tu n’es pas très intelligente. Non, vraiment — chaque décision que tu prends n’est pas judicieuse. En fait, « judicieuse » n’est pas assez fort comme description. Malavisée… monumentalement stupide ? Oui, c’est mieux. C’est un peu choquant, honnêtement, la constance avec laquelle tu parviens à faire le pire choix possible dans chaque fichue situation… »

Rain sourit. Vu à quel point Tamar, habituellement taciturne, parlait, elle semblait nerveuse, elle aussi.

Sa logique était pourtant assez solide.

Rain soupira et secoua la tête, puis demanda d’un ton légèrement amusé :

« Tu sais que Rani n’est pas mon vrai nom, n’est-ce pas ? »

C’était juste quelque chose qui lui était venu à l’esprit sans crier gare. C’était un peu drôle qu’aucun de ses amis ne sache comment elle s’appelait… ils pourraient même mourir sans jamais le savoir.

Ce serait un peu triste.

Tamar s’arrêta de parler et cligna des yeux, la regardant avec confusion. Quelques instants plus tard, elle demanda lentement :

« …Ce n’est pas le cas ? »

Rain secoua la tête.

« Non. »

Son amie semblait vraiment surprise. Elle resta silencieuse un moment, puis haussa les sourcils.

« Quel est ton vrai nom, alors ? »

Rain tousse, se sentant soudain embarrassée.

« C’est, euh… eh bien, tu sais. C’est Rain, en fait. »

Tamar la dévisage un moment, avant de pousser un soupir et de se passer la main sur le visage.

« Alors tu as juste déplacé deux lettres ? Ah… qu’est-ce que je peux bien dire ? Exemple concret. »

Rain lui jeta un regard indigné.

« Hé ! Ce n’est pas facile de trouver un faux nom sur le champ, tu sais ! Essaie donc ! »

La jeune Héritière secoua la tête.

« Je ne vois pas pourquoi je le ferais. »

Elles se regardèrent en souriant.

…Leurs sourires étaient pâles et fragiles.

Tout autour d’eux, l’Armée du Chant se déplaçait lentement, se rassemblant en formation de combat.

De l’autre côté de la large division de la plaine blanche immaculée, l’Armée de l’Épée faisait de même.

Cependant, avant que les deux armées ne se rencontrent sous le ciel radieux de Godgrave…

Trois batailles différentes s’achevaient ailleurs — très loin, mais promettant de changer l’issue de la guerre malgré la distance.