Chapitre 2169 – L’Anomalie

chamTraducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Jest ne savait pas quoi faire.

Une personne comme lui, qui avait survécu à la fin du monde et avait traversé le temps pour en voir un nouveau émerger des ruines, pouvait généralement garder son sang-froid quelles que soient les circonstances.

Toutes sortes de choses inexplicables étaient possibles maintenant que le Sortilège du Cauchemar régnait sur le monde, de sorte que Jest avait fait plus d’une fois l’expérience de rencontres étranges. Il avait bravé les étendues sauvages du Royaume des Rêves et la désolation du monde réel, passant des décennies à combattre des monstres terribles — humains et Créatures du Cauchemar confondus.

Et pourtant, à cet instant, il se sentait complètement perdu.

Ça n’a aucun sens…

Cachant son choc, il accéda à un panneau spécial sur le module de couchage et étudia les signes vitaux d’Anvil. Tout semblait en ordre — il était en parfaite santé. Son corps, du moins.

Son âme, en revanche, n’était pas à l’intérieur de son vaisseau mortel pour le moment. Elle se trouvait quelque part, dans les profondeurs d’un Cauchemar…

C’était censé être le cas.

Se pourrait-il que le garçon ait échappé à la Graine sans l’avoir conquise ? Lorsque les Éveillés dormaient, leurs âmes voyageaient dans le Royaume des Rêves, où elles se manifestaient sous la forme de corps spirituels. Au cours du processus de l’Ascension, le corps physique et le corps spirituel fusionnaient, donnant naissance à un Maître.

Jest supposait qu’Anvil avait vaincu le Second Cauchemar et qu’il avait fait son Ascension. Si ce n’était pas le cas, son corps physique et son corps spirituel seraient toujours séparés.

Son corps physique était ici.

Son corps spirituel… apparaîtrait près de la Passerelle où son âme était ancrée.

C’est-à-dire la salle du trône de Bastion.

Jest se couvrit le visage d’une main pendant un instant.

L’homme qu’ils avaient trouvé là était-il vraiment Anvil ?

Ou était-ce un imposteur ?

Il n’était pas sûr de lui. Et inquiet.

Il avait peur.

Prenant une profonde inspiration, Jest se tourna vers le majordome et dit d’une voix rauque :

« Sebastian… rassemble les Chevaliers et place-les ici. Qu’ils se tiennent prêts pour la bataille. »

Le majordome haussa les sourcils.

« Vous attendez-vous à une attaque ? »

Jest voulut secouer la tête, mais se retint. Il finit par hausser les épaules en soupirant.

« Je ne sais pas encore. Il faut rester discret, cependant. Moins de gens en savent, mieux c’est. »

Il hésita un instant, puis ajouta :

« Il en va de la sécurité de la famille principale. »

Sebastian inspira brusquement, avant de hocher la tête.

Ce faisant, Jest laissa une attache près du module de couchage, puis puisa dans son âme et tira sur son ancre, retournant ainsi dans le Royaume des Rêves.

La salle du trône était vide. Le temps à Bastion était quelque peu similaire à celui de CSQN, aussi était-il tôt dans l’aube. Les premiers rayons du soleil traversaient déjà les hautes fenêtres, ce qui signifiait que la Passerelle allait bientôt recevoir des visiteurs.

Peu d’Éveillés restaient dans le Royaume des Rêves pendant de longues périodes, préférant retourner dans le monde réel dès qu’ils le pouvaient. Le donjon principal était fermé à clé la nuit, ce qui signifiait que ceux qui avaient besoin d’utiliser la Passerelle ne tarderaient pas à arriver.

Un bruit se fit entendre juste derrière la porte. Jest se pinça les lèvres, puis s’y rendit à pas feutrés.

Madoc était agenouillé devant les portes, utilisant un chiffon et un seau d’eau pour laver le sol de pierre. C’était un spectacle rare que de voir un prince de Valor accomplir de ses propres mains une tâche aussi banale — à tel point que Jest fut un instant décontenancé.

Mais en remarquant des gouttes de sang sur les plaques de pierre, il comprit la situation. Visiblement, au moins l’un des Écuyers s’était révélé peu fiable et, en raison de la nécessité de garder le secret, Madoc se trouvait dans l’impossibilité de faire appel à un serviteur pour nettoyer le désordre qui en résultait. Tous deux avaient eu une nuit bien remplie.

Le caractère sinistre de tout cela donna à Jest l’envie de faire une blague.

Il avala un rire.

Madoc le regardait d’en bas, sans le moindre amusement dans les yeux.

« Oncle Jest… tu es de retour. Quelles sont les nouvelles que tu apportes ? »

Jest hésita un instant.

Comment l’expliquer ?

Il connaissait le donjon principal de Bastion comme sa propre cour, mais en ce moment, le crépuscule de ses couloirs silencieux lui paraissait sinistre et inquiétant.

…À bien y penser, Jest ne connaissait pas très bien son arrière-cour. Il n’avait jamais pris la peine d’y passer beaucoup de temps après avoir acheté l’actuel propriété du clan Dagonet.

Il serra les dents.

« Nous devons trouver Gwyn rapidement. Elle… est peut-être en danger. Viens, dépêche-toi. Je t’expliquerai en chemin. »

L’expression de Madoc changea, et il repoussa le seau d’eau ensanglantée. Le temps de se lever, il invoquait une Mémoire de combat.

Ils se dirigèrent tous deux vers les quartiers d’Anvil, à la fois discrètement et en toute hâte. C’est à ce moment-là que Jest maudit la grandeur et le labyrinthe de Bastion… à chaque pas qu’il faisait, son malaise et son inquiétude ne cessaient de croître.

C’était lui qui avait renvoyé Gwyn avec le… qui ou quoi que ce soit qui était apparu dans la salle du trône de Bastion au milieu de la nuit. Tout ce qui allait se passer à partir de maintenant, ou qui s’était déjà passé, serait de sa responsabilité.

Il se prépara donc mentalement au pire.

Mais, à sa grande surprise…

Lorsqu’ils arrivèrent enfin à la chambre que Gwyn et Anvil partageaient, la situation à l’intérieur était parfaitement paisible.

Anvil, maintenant correctement vêtu, était assis à une table et étudiait curieusement les assiettes posées devant lui. La jeune Gwyn avait l’air un peu fatiguée, mais allait bien autrement, et lui servait une tasse de thé parfumé.

Elle semblait même soulagée, un timide sourire illuminant son visage lorsqu’elle regardait son mari… qui, pensait-elle, était enfin revenu vivant du Cauchemar.

Lorsqu’ils entrèrent, Anvil et Gwyn se tournèrent vers eux.

Jest se figea.

Soudain, il réalisa qu’il avait en fait espéré que l’horreur et le carnage soient au rendez-vous lorsqu’il reviendrait.

Car alors, il saurait au moins quoi faire. Après tout, c’est lui qui savait le mieux se battre et tuer.

Debout à ses côtés, Madoc se tendit et demanda doucement :

« Devons-nous… attaquer ? »

Ils pouvaient essayer de tuer l’anomalie. C’était le choix le plus sûr.

Mais s’il s’agissait d’Anvil, après tout, ramené du Cauchemar par un étrange caprice du Sortilège ? Madoc ne tuerait-il pas son propre frère, et Jest ne tuerait-il pas le fils de son ami ?

La mort était quelque chose d’irréversible.

Mais si ce n’était pas Anvil…

Seraient-ils capables de tuer ce qui avait pris sa forme ? Ou ne feraient-ils que provoquer quelque chose de si sinistre et terrible qu’aucun d’entre eux n’aurait la moindre chance contre sa malice ?

Jest resta silencieux quelques instants, ne souhaitant rien d’autre que de se lâcher et de répondre par une brillante plaisanterie, comme il en avait l’habitude.

Mais finalement, il se contenta de secouer la tête.

« Emmenons-le dans le monde réel. »