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Chapitre 2167 – C2-167
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Anvil allait bien, sur le plan physique à tout le moins.
Cependant, toute sa personnalité semblait avoir changé — ou avoir régressé, en tout cas. Il ne semblait pas encore tout à fait au point. Il n’avait pas l’air hébété ou confus, mais plutôt… vide.
Comme si ce qui faisait de lui ce qu’il était avait été sinon effacé, du moins perdu.
Parallèlement, de temps à autre, il laissait entrevoir son visage habituel — suffisamment pour convaincre Jest, Madoc et la jeune Gwyn qu’il était véritablement et indubitablement Anvil de Valor, le dirigeant de Bastion.
C’était grâce à de petits détails subtils que seuls ceux qui le connaissaient bien pouvaient reconnaître. Les petites particularités de son élocution, la rigidité de ses épaules, la façon dont il souriait d’une manière réservée, mais confiante — tout cela était parfaitement familier, même dans cet état étrange et inquiétant.
Ces aperçus se multipliaient au fil des minutes, comme si Anvil se souvenait peu à peu de ce qu’il était auparavant. Cela leur donnait l’espoir qu’il finirait par se rétablir.
Mais comment…
Le changement le plus troublant était de voir à quel point Anvil semblait chaleureux et doux, dépouillé de son impénétrable armure de froide indifférence. Pour Jest et Madoc, c’était comme s’il avait retrouvé sa personnalité d’avant qu’il ne devienne porteur du Sortilège du Cauchemar. Pour Gwyn, qui ne l’avait connu qu’en tant qu’Éveillé, c’était une toute nouvelle facette de son mari, habituellement sévère et distant.
Mais… quelque chose de subtil et d’étrange se dégageait d’Anvil à présent. Jest n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, mais il se sentait étrangement mal à l’aise en sa présence.
Bien sûr qu’il se sentait mal à l’aise. Le chef du Clan de Valor, l’un des hommes les plus puissants du monde, n’était pas différent d’un enfant à l’heure actuelle.
Gardien avait dit un jour à Jest que le monde était plein de requins, et le fait qu’Anvil soit dans cet état étrange n’était pas différent de verser du sang dans l’eau. Tous ne manqueraient pas une occasion de lui arracher un morceau de chair si la nouvelle de son état se répandait.
Quel que soit son état.
Ils devraient le découvrir plus tard. D’abord, Jest devait contenir la propagation de l’information.
Comme si c’était possible !
La simple idée de garder le retour d’Anvil secret lui faisait mal à la tête. Il y avait tant de choses à prendre en compte…
Jest réprima un gémissement et regarda à nouveau Anvil.
Le garçon souriait tandis que Gwyn était agenouillée devant lui, disant quelque chose à voix basse.
Secouant la tête, Jest regarda Madoc.
« Nous allons devoir agir vite. Mais aussi avec prudence. »
Heureusement, le fils aîné de Gardien n’était pas un imbécile. En fait, c’était un jeune homme remarquable — un talent exceptionnel, même. Mais son excellence était toujours éclipsée par le talent monstrueux d’Anvil.
En tout cas, Jest pouvait compter sur lui pour s’occuper de certaines choses… mais pas de toutes, et surtout pas de celles qui exigeaient une approche délicate.
Par exemple, si seuls deux Écuyers avaient été témoins de l’état étrange d’Anvil ici à Bastion, rien ne permettait de dire ce qui se passait actuellement dans le monde réel. Après tout, il aurait dû se réveiller dans son module de couchage dans l’enceinte de Valor à CSQN, avant d’utiliser sa nouvelle capacité à entrer dans le Royaume des Rêves de son plein gré pour venir à Bastion.
Son module de couchage était désormais vide, ce qui aurait alerté de nombreuses personnes sur la disparition du chef de clan. Quelqu’un devait s’assurer qu’aucun d’entre eux ne parle, et en théorie, Madoc était le candidat idéal pour le faire, puisque son propre module de couchage n’était qu’à quelques dizaines de mètres.
Mais ce n’était pas si simple.
Car Anvil n’avait pas défié le Cauchemar seul.
Ses compagnons seraient revenus, eux aussi… ou auraient péri à l’intérieur de la Graine. Dans ce dernier cas, leurs corps s’étaient déjà transformés en cadavres, dans le meilleur des cas. Sinon, ils auraient pu devenir des Creux.
Quelqu’un devait donc négocier avec le clan de la Flamme Immortelle. Il y avait aussi le clan Song, qui ne pouvait se comparer à la famille d’Épée Brisée et de Sourire du Ciel, mais qui n’en était que plus imprévisible. Heureusement, Asterion était un orphelin d’une secte détruite… il empruntait un module de couchage dans l’enceinte du Clan Valor, donc au moins, ce n’était pas un problème.
D’autres forces étaient également en jeu.
La situation était inconnue et imprévisible, et Madoc ne pourrait pas tout gérer seul.
Jest soupira, les rouages de son esprit tournaient. Il finit par regarder Madoc.
« Tu restes ici et tu t’assures que personne… et je dis bien personne… à Bastion n’apprenne ce qui s’est passé jusqu’à présent. Assure-toi également que ceux qui l’ont appris n’en parlent pas. »
Madoc jeta un coup d’œil en direction des deux Écuyers qui se tenaient derrière la porte, puis acquiesça. Ces deux-là garderaient leur vie s’ils étaient loyaux et intelligents, ou mourraient s’ils ne l’étaient pas.
Jest regarda ensuite Gwyn et hésita quelques instants.
Il se sentait encore un peu mal à l’aise.
Mais il finit par prendre la parole :
« Ma dame, prenez soin d’Anvil jusqu’à mon retour. Cachez-le dans vos quartiers et restez avec lui… ne laissez personne d’autre entrer. C’est une situation délicate, nous devons le protéger jusqu’à ce que nous en sachions plus sur ce qui s’est passé. »
La jeune femme le regarda, avant de hocher la tête d’un air hésitant.
Jest se frotta les yeux.
« …Je vais retourner dans le monde réel et m’occuper de la situation là-bas. Cela ne devrait pas me prendre plus d’un jour ou deux. Je reviendrai avec les nouvelles. »
Ce disant, il regarda une dernière fois Anvil et lui sourit.
« Et toi. Assure-toi d’aller mieux d’ici mon retour, petit. Ne me donne pas plus d’inquiétude. »
Jest s’attarda quelques instants, puis grimaça et se dirigea vers l’estrade. Posant sa main sur l’une des marches menant au trône, il activa la Passerelle.
…Quelques instants plus tard, Jest se retrouva dans le hall d’entrée de la propriété Dagonet, à CSQN. Il soupira, regarda autour de lui, avant d’entrer un code de sécurité et d’accéder à l’ascenseur.
Descendant dans les profondeurs du sous-sol, il prit brièvement des nouvelles de son fils — qui reposait paisiblement dans son module de couchage — puis se dirigea vers le centre de sécurité de la propriété.
Là, il activa quelques mesures de précaution et composa un certain numéro sur son communicateur.
En pleine nuit, la personne à l’autre bout du fil mit un certain temps à décrocher.
Finalement, une voix désagréable sortit du communicateur :
« Je jure devant les dieux morts, Jest… si c’est un canular… »
Jest se força à sourire.
« Non, non. Comment vas-tu, Fléau ? »
Maître Vestige du Fléau — un autre vestige de la Première Génération et le pilier du gouvernement — grinça des dents. Tous deux n’étaient pas vraiment amis, mais ils se connaissaient bien, ayant travaillé ensemble à l’établissement de l’ordre mondial actuel.
« À part le fait d’avoir été réveillé au milieu de la nuit ? Je vais bien. Que veux-tu ? »
Jest avait une dizaine de blagues prêtes à sortir de sa bouche, mais il se retint.
Il avait besoin de l’aide de Fléau.
Depuis le retour d’Anvil, la Graine du Cauchemar avait été conquise. Ce qui signifiait que la Porte du Cauchemar correspondante s’était refermée dans le monde réel.
Le gouvernement surveillait toutes les portes connues, c’était donc un autre point d’où l’information pouvait fuir — et le plus important, de surcroît.
Jest se contenta donc de dire d’un ton neutre :
« J’ai besoin d’une faveur. La porte C2-167 a dû être fermée plus tôt dans la journée. Je veux que tu gardes ce fait caché pendant un certain temps. »
Un silence se fit de l’autre côté de l’appel. Jest attendit un moment.
« Allô ? Tu m’entends ? »
Vestige du Fléau finit par répondre.
Mais sa réponse n’était pas du tout celle à laquelle Jest s’attendait.
Son ancien collègue se mit en colère :
« Qu’est-ce que tu racontes ? Enfoiré, tu es encore ivre ? »
Alors que Jest réfléchissait à ce qu’il devait dire, déconcerté par l’intensité de la réaction, Vestige du Fléau ajouta :
« La porte C2-167 est grande ouverte ! Elle ne s’est jamais fermée. Tu crois que je dormirais si elle s’était refermée ? »