6565-chapitre-2163
Chapitre 2163 – Cœur de Fer
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
C’est par un jour pluvieux, deux ans plus tard, que Jest retrouva le jeune Anvil dans la même salle souterraine, fixant le même miroir inquiétant avec des yeux sombres.
Au-delà de cette pièce obscure et silencieuse, le jeune homme était le preux chevalier et héros de l’humanité, Seigneur Anvil de Valor — un guerrier dont la bravoure était irréprochable, dont les exploits déconcertaient l’esprit et dont la voix avait du poids, peu importe à qui il s’adressait.
En fait, il était le dirigeant de Bastion et le chef du clan d’Héritier le plus influent du monde.
Mais ici, il n’était qu’un garçon d’une vingtaine d’années… un garçon qui était maintenant orphelin.
Personne n’avait de preuve concrète, ni de corps à enterrer, mais suffisamment de temps s’était écoulé pour que personne ne puisse plus le nier.
Son père, Gardien de Valor, était mort. Il avait péri en tentant de conquérir le Troisième Cauchemar.
Et Jest était désormais veuf, lui aussi. Depuis que sa femme était entrée dans la Graine du Cauchemar, laissant Jest derrière elle, le monde s’était peu à peu vidé de ses couleurs. À présent, le monde était presque incolore.
Seules quelques rares choses semblaient encore vibrer et animer cette morne étendue. L’une d’entre elles était son fils. L’autre était la cape vermillon que portait Anvil, héritage de Gardien.
Cette cape était désormais comme un phare dans l’obscurité de la salle souterraine.
Jest s’approcha silencieusement du jeune homme et regarda la toile qui recouvrait le miroir. Les fermoirs qui la serraient étaient détachés, et l’on pouvait apercevoir un morceau de l’ancien cadre.
Il s’attarda un instant, se sentant soudain mal à l’aise.
« Es-tu allé à l’intérieur ? »
Anvil hocha lentement la tête.
« Je suis allé explorer. Mon père ne l’a peut-être pas mentionné, mais il y a de précieuses inscriptions dans les ruines de l’autre côté. C’est ainsi que nous avons pu maîtriser un peu de sorcellerie runique, au début. »
Jest fronça les sourcils, voulant dire à quel point l’Autre Côté était dangereux. Mais Anvil le savait. Il le savait probablement bien mieux que Jest, en fait, et c’était la raison pour laquelle il était parti seul, sans emmener personne d’autre avec lui.
Jest soupira.
« Tu ne l’as certainement pas entendu, puisque tu étais ici en train de préparer le mariage. Mais là-bas, dans le monde réel, quelques imbéciles trop ambitieux ont mis au point un petit stratagème et ont officiellement déclaré Gardien mort. Ils réclament la destitution de ton clan et la prise de sa place comme siège principal du pouvoir. Je me suis occupé d’eux, bien sûr… mais je ne peux pas m’occuper des branches secondaires de ta propre famille. Les beaux-parents de Madoc sèment aussi la zizanie. Tu dois les remettre à leur place ou, mieux encore, nettoyer la maison. Ta fiancée est une fille si gentille qu’elle mérite une lune de miel paisible, tu ne crois pas ? »
Anvil resta silencieux un moment, avant de se retourner et de le regarder d’un air indifférent.
L’étrange froideur qui s’était manifestée après son Premier Cauchemar était de retour, plus forte que jamais.
Le jeune homme étudia Jest un instant ou deux, puis dit d’un ton égal :
« Oui, j’ai entendu dire. Qu’ils l’ont déclaré mort. »
Ce disant, il se tourna à nouveau vers le miroir.
Au bout d’un moment, Anvil déclara soudain :
« Oncle Jest… te souviens-tu de ce que tu m’as dit un jour ? Sur la façon dont on doit gérer son Défaut. »
Jest hésita un peu, surpris par la question, puis acquiesça.
« Je dis beaucoup de bêtises, petit, mais je me souviens de ce que j’ai dit. Je le maintiens. »
Anvil baissa la tête.
« Aujourd’hui, je me demande souvent… si mon père est mort à cause de mon Défaut. »
Jest haussa les sourcils.
« Comment aurait-il pu mourir à cause de ça ? C’est ton Défaut, pas le sien. »
Le jeune homme secoua lentement la tête, avant de sourire amèrement.
« C’est vrai ? Ah… mais mon Défaut, vois-tu. N’ai-je pas promis de te le dire une fois ? »
Anvil regarda un peu le sol, puis exprima posément :
« C’est que je dois perdre tout ce que je chéris. »
Il soupira.
« Je chérissais mon père, et maintenant, je l’ai perdu. »
Après cela, il regarda Jest et sourit amèrement.
« J’ai été trop arrogant, Oncle Jest. Je n’ai pas écouté tes conseils. J’ai essayé de combattre mon Défaut, j’ai essayé de le tromper. Mais je n’ai jamais essayé de changer ma façon de penser. »
L’amertume disparut lentement de son sourire, et le sourire lui-même disparut à son tour.
Tout ce qui restait, c’était une indifférence froide et calme. Anvil détourna le regard.
« Je vois maintenant. La réponse était simple. Ce n’est pas que je doive laisser partir les choses que je chéris… c’est que je n’aurais jamais dû chérir quoi que ce soit. Je dois renoncer à toute forme d’attachement à quoi que ce soit ou à qui que ce soit. Ainsi, je n’aurais plus jamais à perdre quoi que ce soit, ni qui que ce soit. Je serai libéré de mon Défaut. »
Se détournant du miroir, Anvil regarda Jest d’un air égal et lui dit d’un ton calme :
« Merci de t’être occupé de ces chacals, Oncle Jest. Je m’occuperai des branches familiales. Je me chargerai également de la belle-famille de Madoc. Ma fiancée est en effet une très gentille fille. Et elle mérite effectivement une lune de miel paisible. »
Sur ces mots, il acquiesça et quitta la salle souterraine sans se retourner. Avant que sa silhouette ne disparaisse dans l’obscurité, Anvil s’arrêta et ajouta sur le même ton calme et indifférent :
« Oh… J’ai appris que ton fils s’était Éveillé. Accepte mes félicitations les plus sincères. Je suis sûr qu’il te rendra fier. »
Jest se retrouva rapidement seul dans le hall silencieux.
Il se sentait étrangement déstabilisé.
Au bout d’un moment, il poussa un lourd soupir.
« Ah, ce garçon. Il est si sérieux. Que vais-je faire de lui ? »
Anvil avait audacieusement proclamé qu’il se transformerait en une machine insensible afin de vaincre son Défaut. Cependant, ce n’était pas si facile d’étrangler son propre cœur — il était encore un humain, après tout.
Jest savait pertinemment qu’Anvil échouerait lamentablement malgré sa froide détermination, et ce à plusieurs reprises.
Mais d’un autre côté, il était le fils de Gardien. Peut-être y parviendrait-il, d’une manière ou d’une autre.
Gardien était parti, et la femme de Jest aussi. Mais leurs traces subsistaient.
Leurs enfants demeuraient.
Et Jest était le seul à pouvoir s’occuper d’eux. Il l’avait promis.
Il allait donc faire tout ce qu’il pouvait pour ne pas les décevoir.
Jetant un coup d’œil à la toile qui recouvrait le grand miroir, Jest soupira.
« Miroir, mon beau miroir… »
Il frissonna, fronça les sourcils et s’éloigna silencieusement.