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Chapitre 2160 – Passé et Futur
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Environ un an plus tard, Jest était adossé au mur d’un bâtiment quelconque, étourdi d’avoir trop bu. Bien qu’il soit difficile pour un Ascendant de s’enivrer, il avait fait passer en contrebande une bouteille de breuvage spécial du Royaume des Rêves — elle n’était pas fabriquée à partir d’ingrédients ordinaires, ce qui rendait son effet particulièrement exceptionnel.
Il s’était un peu laissé aller après la mort de son fils aîné — pas trop, mais juste assez pour s’accorder un jour ou deux d’apitoiement sur son sort, tous les quelques mois.
Après tout, Jest avait encore un autre fils dont il devait s’occuper. Sa femme avait également besoin de lui… et Gardien aussi, bien que depuis que tous les ennemis du nouvel ordre mondial avaient été éliminés, il n’avait que rarement besoin de ses services.
Ce dernier point changeait lentement ces derniers temps. Non pas parce que de nouveaux adversaires extérieurs surgissaient, mais simplement parce que le nouvel ordre était devenu suffisamment solide, et existait depuis suffisamment longtemps, pour que les menaces internes le soient.
Désormais, Gardien devait s’efforcer de conserver sinon le contrôle, du moins une influence décisive sur l’appareil lourd de la gouvernance humaine. Jest devait l’aider de temps en temps — son travail ces jours-ci était généralement moins sanglant, et il jouait plus le rôle d’un épouvantail que celui d’un bourreau.
…En général.
Ah, j’en ai marre. Quand est-ce que ça va finir ?
Quand Gardien et lui pourront-ils se reposer ? Le travail, le travail, le travail… depuis deux décennies, presque, ils n’avaient fait que travailler sans relâche.
Il les imaginait tous les deux à la retraite, sirotant du vin dans un jardin chaud de Bastion pendant que leurs petits-enfants jouaient autour d’eux, et ricanait.
Bah. Vu la rigidité de ce type, je doute qu’il s’installe un jour.
Jest grimaça, avant de reprendre une gorgée de l’amer breuvage.
Devant lui, au loin, les ouvriers finissaient de construire l’Académie des Éveillés. En regardant de loin la puissante muraille qui défendait le complexe, Jest eut un sourire sombre.
Les salauds. Ils en ont mis du temps…
Beaucoup de choses avaient changé au cours de l’année écoulée. De plus en plus d’enfants des premiers Éveillés avaient contracté le Sortilège du Cauchemar… certains avaient survécu, d’autres non. Bien sûr, d’innombrables enfants avaient déjà péri à cause du Sortilège, mais ceux-là étaient différents.
Parce qu’ils étaient les premiers infectés à être nés après la descente du Sortilège du Cauchemar, et qu’ils avaient grandi en ne connaissant rien d’autre que ce nouveau monde sinistre.
La Deuxième Génération.
En regardant les portes de l’Académie se hisser, Jest eut soudain l’impression d’être revenu à ce jour où il était retourné au baraquement, incapable de franchir la porte brisée.
Un sombre et profond sentiment de futilité l’envahit, dont il se dépêcha de se débarrasser avec le goût amer de l’alcool.
C’est bien. C’est beaucoup mieux…
Il n’était pas le seul à regarder. À un moment donné, une autre silhouette apparut dans la ruelle, passant devant lui sans même le remarquer — enfin, ce n’était pas surprenant. Jest se tenait dans l’ombre, après tout, et dissimulait activement sa présence. C’était une habitude qu’il avait prise après avoir perpétré de nombreux assassinats.
C’était quelqu’un qu’il connaissait, en fait. C’était l’Éveillé Orum… un type assez sympathique. Pas trop puissant ni trop ambitieux, mais solide et fiable. Lui aussi faisait partie de la Première Génération, et comme sa Citadelle se trouvait dans la zone d’influence de Bastion, ils avaient combattu côte à côte à plusieurs reprises.
Pourtant, Jest aurait préféré que personne ne vienne troubler sa solitude.
Lorsque les portes de l’Académie furent installées, il soupira et laissa échapper un rire.
« Quand les dieux ferment une porte, le Sortilège du Cauchemar ouvre une fenêtre. »
Orum tourna la tête, surpris, et ne remarqua plus que Jest. Ce dernier secoua intérieurement la tête.
Eh, Orum… J’espère vraiment que nous ne nous rencontrerons jamais en tant qu’ennemis. Tu ne me verras jamais venir.
Ils échangèrent quelques mots insignifiants, Jest jouant l’imbécile ivre, puis continuèrent à observer la construction. Finalement, la conversation s’orienta vers l’Académie.
Le petit Anvil… qui n’était plus si petit que ça… allait y entrer. Il avait été infecté par le Sortilège juste avant d’avoir seize ans, et avait survécu au Premier Cauchemar — grâce aux dieux. Madoc avait déjà dix-huit ans et ne présentait toujours aucun symptôme. Dans un an environ, il serait hors de danger.
La fille de Flamme Immortelle allait également y prendre part.
Ils étaient l’avenir de l’humanité…
Jest espérait désespérément qu’il en serait ainsi. Il deviendrait volontiers le passé, si seulement ils survivaient.
Depuis quelque temps, les gens appelaient ces enfants des Héritiers.
C’était un peu répugnant, ce mot, mais pas autant que les parents qui s’étaient laissés séduire par les dons du Sortilège et avaient espéré que leurs enfants le contractent.
Orum était-il l’un de ces bâtards, par hasard ?
Si c’était le cas… Jest se dit qu’il pourrait bien le tuer ici et maintenant, dans cette ruelle. Aucun témoin n’était présent, et il pouvait se débarrasser d’un simple Éveillé en quelques secondes. En perdre un moyennement compétent n’aurait pas d’incidence majeure non plus.
Attends… il n’a même pas d’enfants, je crois ? Mais il s’occupe de ses neveux et nièces…
Après avoir fixé Orum pendant un moment, Jest sourit froidement.
« Les enfants de ta sœur ont quoi, une dizaine d’années ? Tu dois penser à beaucoup de choses en ce moment, toi aussi. Hein, Orum ? »
L’homme acquiesça.
« Oui. J’y pense… J’espère vraiment qu’ils ne seront pas infectés. Bien sûr, je dois bien les préparer, au cas où. »
Comme ça, sans même le savoir, Orum venait de se sauver la vie.
Jest sourit.
« …C’est pourquoi je t’aime bien, Orum. Grâces soient rendues aux dieux, tu es encore normal, au moins. »
Il restait aussi des gens sains d’esprit dans ce monde.
Il but une nouvelle gorgée du breuvage amer qui lui avait délié la langue. Alors, Jest se lança dans une petite diatribe.
Les Héritiers. Ha, quelle blague !
Ce n’était pas le genre d’héritage qu’ils voulaient laisser. Leurs enfants devenant des Éveillés, ce n’était pas ça !
Cette… la ville qui les entourait… c’était le véritable héritage que Gardien et Jest avaient passé leur vie à construire. L’air pur, l’approvisionnement stable en électricité, l’infrastructure solide. Des tramways publics qui arrivaient à l’heure, de l’eau chaude dans les douches, et suffisamment de nourriture pour nourrir tout le monde — même la population excédentaire qui avait dû être relogée à la périphérie de la ville, au-delà des barrières.
C’est ce qu’ils voulaient laisser à leurs enfants, pas l’horreur sanglante du Sortilège du Cauchemar…
Quel qu’en soit le prix.
Mais à quoi bon si leurs enfants étaient emportés par le Sortilège du Cauchemar, de toute façon ?
Cela ne servait à rien du tout…
Jest laissa échapper un rire.
« Orum, mon ami, écoute le fou que je suis… abandonne tout espoir. À notre époque, la seule chose en laquelle il faut croire, c’est le Sortilège du Cauchemar, et le Sortilège est une salope cruelle. Il faut juste… bien éduquer ses enfants. Éduque-les vraiment bien, mon salaud. »
Si seulement Jest avait mieux éduqué son fils… alors, peut-être…
Il termina son alcool et fit un signe de la main.
« On se voit à la cérémonie d’ouverture… »
Jest vit effectivement Orum à la cérémonie d’ouverture quelques jours plus tard, mais il ne se préoccupa guère de parler à l’homme.
Il était plus préoccupé par Anvil, qui était censé entrer dans le Royaume des Rêves pour la première fois au solstice d’hiver.
Le garçon se comportait étrangement depuis son retour du Premier Cauchemar…