6561-chapitre-2159
Chapitre 2159 – Berceau Vide
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Au sous-sol du somptueux manoir de Jest, au cœur de CSQN, derrière plusieurs couches d’alliage blindé et défendu par un système de défense de pointe de type spelltech, se trouvait une chambre carrée avec des murs vidéo qui affichaient une magnifique vue panoramique de Porte-Rivière.
Deux modules de couchage étaient installés côte à côte — autrefois luxueux et coûteux, mais aujourd’hui vieux et obsolètes. Jest et sa femme les avaient utilisées par le passé, mais comme ils étaient tous deux Maîtres et qu’ils ne s’aventuraient plus dans le Royaume des Rêves pendant leur sommeil, les modules de couchage avaient pris la poussière au cours des dernières années.
Non pas que la poussière soit vraiment présente. Le manoir tout entier était d’une propreté irréprochable, grâce aux robots nettoyeurs et au personnel ordinaire.
Mais aujourd’hui, l’un des modules avait un occupant.
Le fils aîné de Jest était allongé là, dormant paisiblement, tandis que Jest en personne était assis sur une chaise pliante à proximité et l’observait avec un visage inexpressif.
Cela faisait deux jours qu’il était assis là, sans bouger.
Seul son esprit était agité et vivant.
Allez, mon garçon… allez. Ton père a survécu, alors tu peux aussi survivre. Tu es bien meilleur que moi. Tu peux le faire…
Cela n’avait pas pris longtemps pour que son fils soit victime du Sortilège après en avoir manifesté les premiers symptômes. Il était maintenant dans le Premier Cauchemar, luttant pour sa vie… et Jest était coincé ici — à ses côtés, mais incapable de l’aider.
Il ne pouvait pas l’aider, et en même temps, il se sentait plus impuissant que jamais.
N’était-ce pas drôle ? Jest avait passé les deux premières décennies de sa vie à s’accrocher à la vie, avant de passer de nombreuses années à frôler régulièrement la mort. Et pourtant, il ne s’était jamais senti aussi impuissant que présentement.
C’était peut-être drôle, mais pour la première fois depuis que le Sortilège s’était abattu sur lui, il ne trouvait pas la force de sourire.
Allez, allez…
Lentement, toutes les conversations qu’il avait eues avec Gardien refirent surface dans son esprit. Tout ce qu’ils avaient fait tous les deux — chaque victoire grandiose, chaque triomphe contre toute attente, chaque noble sacrifice… chaque sale coup, chaque exécution de sang-froid, chaque vie innocente perdue comme dommage collatéral dans la poursuite d’un plus grand bien — tout avait été fait pour cela, n’est-ce pas ?
Pour construire un monde où leurs enfants pourraient vivre la tête haute.
Ils avaient fait couler le sang et construit ce monde, alors forcément, leurs enfants survivraient ?
Jest ne savait rien et n’avait rien lorsque le Sortilège le plongea dans le Premier Cauchemar. Il ne savait pas comment se battre, comment manier les armes, comment se procurer de la nourriture, comment s’abriter des éléments. Il ne savait pas ce qu’étaient les Aspects, pourquoi les Attributs étaient importants, comment récolter et absorber les éclats d’âme…
Mais son fils savait tout cela, et même plus. Il avait été formé par les meilleurs instructeurs du monde, se préparant à ce jour depuis sa plus tendre enfance. Jest et sa femme comptaient parmi les meilleurs guerriers de l’humanité et lui avaient transmis tout ce qu’ils pouvaient.
Alors, sûrement…
Jest n’avait jamais prié personne ou quoi que ce soit auparavant, mais il priait maintenant.
Même si les dieux étaient morts, il espérait que quelque chose l’écouterait.
Il pria les dieux, les Démons.
Il pria même le Sortilège du Cauchemar.
Allez, allez…
Mais ses prières étaient restées sans réponse.
…Il le sentit avant de le voir. Un changement subtil, presque imperceptible, dans l’atmosphère, comme si l’air de la chambre souterraine était soudain devenu plus lourd.
Plus froid, plus sombre, plus sinistre.
Ce n’était pas vraiment quelque chose que Jest ressentait avec son corps, mais plutôt avec son âme.
Ses yeux tremblaient légèrement.
Dans le berceau lumineux du module de couchage, les paupières de son fils tremblaient également.
L’espace d’un instant, Jest espéra que le petit démon se réveillerait et ouvrirait les yeux.
Mais au lieu de cela, le corps de son fils tressaillit, puis se cambra, un faible grognement s’échappant d’entre ses lèvres.
Quelque chose bougeait sous sa peau, comme si ses os grandissaient et se réarrangeaient, se pressant contre elle par en dessous.
Jest continua à le regarder en silence, paralysé.
Mais finalement…
Il se leva lentement et se dirigea faiblement vers le module de couchage.
S’asseyant sur le bord, il prit son fils dans ses bras et le serra contre lui, luttant contre les mouvements qui devenaient de plus en plus violents.
Il y goûta à nouveau… le goût salé des larmes sur sa langue.
Il avait donc encore des larmes à verser, semblait-il.
Comme ce jour-là, devant le baraquement.
Jest ouvrit la bouche :
« Shhhh… »
Il inspira profondément.
« Tout va bien, mon garçon. Tout va bien. Tu as bien fait… tu as fait de ton mieux. »
Bien sûr, la chose qu’il tenait n’était plus son fils.
Mais Jest le serra plus fort.
« C’est bon… tu as bien fait… »
Au bout d’un moment…
Et une éternité, peut-être.
Jest quitta le sous-sol et ferma la porte derrière lui.
Il savait que sa femme l’attendait à l’étage, à moitié morte dans l’attente d’une nouvelle incertaine.
Il devait le lui dire maintenant, mais il n’avait pas le courage de l’affronter pour l’instant.
Au lieu de cela, Jest se tourna vers le mur et s’y appuya, respirant bruyamment.
L’alliage blindé semblait frais contre son front.
Ah…
Son esprit était vide.
Ah…
Quelque temps plus tard, son regard se porta sur son poignet.
Là, sur le revers de sa chemise de luxe…
Le tissu blanc était devenu rouge vif à cause du sang.
Jest le fixa un moment, ses yeux s’assombrissant peu à peu.
Un sourire tordu lui fendit soudain le visage.
Il se souvint d’une autre manchette ensanglantée, et d’une conversation qui s’était déroulée il y a longtemps.
Qu’avait-il dit ?
…Un peu de dommages collatéraux. Malheureux, mais inévitable. Toujours est-il que ça s’est bien passé.
Ils avaient été si pragmatiques à ce sujet. Et pourquoi ne l’auraient-ils pas été ? Combien d’événements malheureux de ce genre s’étaient produits ? Il avait perdu le compte. Si Jest avait gaspillé de l’énergie à se soucier de chacun d’entre eux — n’importe lequel — il aurait passé sa vie entière à verser des larmes.
Mais il était trop occupé à verser du sang. On ne pouvait pas construire un nouveau monde sans mortier, après tout, et certainement pas sans casser quelques briques… une douzaine ou un millier, peu importe.
Mais ces briques brisées avaient été les fils et les filles de quelqu’un.
Il grimaça terriblement.
« Alors… c’est ma punition ? »
C’était ça ?
Avant même de savoir ce qu’il faisait, Jest ramena sa tête en arrière, puis la frappa contre le mur, comme s’il voulait s’ouvrir le crâne.
Mais son crâne ne s’ouvrit pas, bien sûr.
Au lieu de cela, l’alliage blindé se plia et se fissura, et une profonde entaille se forma à sa surface.
C’était un Maître, somme toute.
Ah, ah…
Le monde était amer.
Les dieux étaient morts et avaient été remplacés par le Sortilège du Cauchemar.
Et le Sortilège…
Était un dieu méchant.
Le seul genre de dieu qu’il méritait, peut-être.