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Chapitre 2096 – Îlot de Paix
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Après la mort de Condamnation et la réduction de sa cité à une étendue noirâtre, plus rien ne s’opposait au projet du Roi de passer sous le Petit Croisement et d’attaquer par l’arrière la forteresse imprenable de l’Armée du Chant.
À l’exception de l’ancienne jungle.
La plus grande menace avait été éliminée, mais les Creux restaient un enfer sombre et mortel. Le Roi et ses Saints devaient encore dégager un chemin sûr pour les soldats, et cela représentait une tâche d’une bien plus grande ampleur.
Diverses unités de l’Armée de l’Épée furent secrètement retirées des deux camps de siège, et commencèrent à dégager un chemin souterrain entre le Lac Disparu et l’entrée du Creux de la Première Côte. Quelle que soit la vitesse à laquelle ils travaillaient, cela leur prendrait des jours, voire des semaines, pour assurer un passage sûr à la force d’invasion.
Ils étaient protégés par les épées volantes du Roi, qui se déplaçaient comme des rivières au-dessus du chemin dégagé, plongeant parfois vers le sol pour éliminer les menaces invisibles.
Pendant ce temps, les Saints apprivoisaient la jungle environnante, chassant les anciens prédateurs qui vivaient sous la canopée écarlate, déracinant les arbres mangeurs d’hommes et éradiquant les essaims d’abominables vermines.
Sunny avait rarement passé une période aussi longue dans les Creux auparavant, et tout cela — l’effroyable jungle écarlate, la pénombre de la grande caverne d’os, le flot d’épées s’écoulant comme des torrents d’acier au-dessus de sa tête — commençait à ressembler à un cauchemar fiévreux.
Mais aussi cauchemardesques que soient les Creux, ce qui se passait à la surface semblait bien plus effroyable.
Là-bas, le siège des Deux Croisements se poursuivait, les soldats fatigués perdant chaque jour un peu plus le peu de santé mentale qui leur restait.
Les redoutables forteresses de l’Armée du Chant avaient déjà repoussé d’innombrables assauts, refusant obstinément de tomber. Quelle que soit l’évolution des tactiques de l’armée assiégeante, les défenseurs continuaient à tenir les remparts. Les fortifications avaient beau être terriblement endommagées, elles étaient à chaque fois réparées et renforcées.
L’os jauni était peint en rouge rouille par le sang, et les pertes des deux armées ne cessaient de s’accumuler.
Les Saints étaient contraints de jouer un rôle passif dans le massacre, car aucun des Suprêmes ne pouvait se permettre de perdre davantage d’entre eux dans les ravages de la guerre… à moins qu’il n’y ait pas d’autre choix, du moins.
Étrangement, ne rien faire était bien plus démoralisant que de risquer sa vie au combat.
Les Deux Croisements étaient devenus un purgatoire.
…Par un de ces jours sinistres, Nephis retourna à la Tour d’Ivoire après avoir reçu le rapport sur les pertes de la dernière bataille. Son expression était sombre et des flammes blanches et froides brûlaient dans ses beaux yeux.
Au lieu de retourner immédiatement dans ses appartements, elle se rendit dans une salle plongée dans l’obscurité où brûlaient des dizaines de Mémoires lumineuses, entourées d’ombres solennelles.
Ces Mémoires appartenaient aux Gardiens du Feu, et avaient été laissées ici pour indiquer que leurs propriétaires étaient toujours en vie. Lorsqu’un Éveillé mourait, ses Mémoires étaient détruites — ainsi, chaque fois qu’une lanterne enchantée disparaissait, cela signifiait à coup sûr la mort de l’un de ses guerriers.
Jadis, la salle comptait une cinquantaine de Mémoires lumineuses. Aujourd’hui, une poignée d’entre elles avaient disparu, éteintes à jamais.
Nephis resta un long moment à regarder les lanternes en lévitation, le visage immobile.
C’est là que Sunny la retrouva au bout d’un moment.
Il jeta un coup d’œil aux Mémoires étincelantes, puis s’approcha d’elle et posa ses mains sur ses épaules, les massant doucement.
« À quel point les pertes ont-elles été lourdes hier ? »
Nephis laissa échapper un lourd soupir, avant de lever sa main et de la poser sur l’une des siennes.
« Aussi graves que nous l’avions prévu. »
Elle s’attarda un moment, regardant les lanternes.
« …Vous savez, il y avait plus d’un millier de personnes qui vivaient dans la Cité Noire avant que je n’y vienne. »
Sa voix se fit un peu plus grave.
« Mais quand j’en ai eu fini avec elle, il n’y en avait plus qu’une centaine. »
Et maintenant, il y en avait un peu moins.
Sunny ne savait pas si elle se remémorait le destin de l’Armée des Rêveurs et le fardeau du leadership qu’elle avait assumé sur le Rivage Oublié, ou la responsabilité de l’Armée de l’Épée — et de l’Armée du Chant, en fait — qu’elle portait en ce moment. Peut-être était-ce les deux, et le parallèle entre les deux.
Ses épaules étaient solides, mais même Nephis se sentait parfois oppressée par le poids de tout cela.
Qui ne le serait pas ?
Il l’étreignit par-derrière.
« Sans vous, il n’y aurait eu aucun survivant. »
Et il n’y en aurait peut-être plus.
Nephis se pencha un peu en arrière et soupira.
« Je sais. Mais ça ne rend pas les choses faciles. »
Sunny resta immobile un moment, la tenant doucement, puis se dégagea et sourit.
« Venez. J’ai préparé le dîner, il vous attend avec impatience. »
Les plats qu’il lui préparait étaient tous ses préférés, bien sûr… non pas que Nephis soit très passionnée par la nourriture. Pourtant, son indifférence succombait lentement sous son influence, et depuis peu, elle montrait des signes d’enthousiasme pour telle ou telle chose.
Sunny conduisit Nephis au plus haut niveau de la Tour d’Ivoire, où un succulent dîner était joliment disposé sur une table en bois. Tous deux le dégustèrent dans une atmosphère qui n’était pas tout à fait paisible, compte tenu de la misère du camp de siège en contrebas, mais qui s’en approchait.
Malgré tout, ils s’efforcèrent de ne pas parler de la guerre. C’était en quelque sorte une règle tacite instaurée par Sunny — il ne voulait pas qu’ils soient le genre de personnes à ne pouvoir parler que de choses pragmatiques, alors ils se contentaient de bavarder de tout ce qui leur passait par la tête pendant les repas.
Après tout, Maître Sunless était censé être le petit îlot de paix de Neph dans les eaux tumultueuses de sa vie difficile. S’il pouvait lui donner quelques courts instants de répit malgré le lourd fardeau qu’elle portait, alors son travail était accompli.
C’est pourquoi ce qu’il s’apprêtait à lui annoncer était difficile à dire.
Une fois le dîner terminé, Sunny regarda Nephis, hésita quelques instants, puis soupira.
« …Je dois partir, pour une courte période. »