Chapitre 2079 – Fragments de la Guerre (16)

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Morgan observait la bataille d’un air impassible. Son regard était froid, et son cœur restait calme, non touché par l’effroi et la terreur de cet affrontement calamiteux. Ce n’était pas comme si elle n’avait jamais vu cette bataille se dérouler auparavant… tout ce qui se passait s’était déjà produit, et même s’il y avait des divergences mineures en cours de route, la fin était toujours la même.

Une défaite cuisante.

C’était amusant…

Des batailles aussi grandes et destructrices que celle-ci étaient inédites dans le passé, mais aujourd’hui, l’effroyable vision de tout cela était si familière que cela en devenait presque ennuyeux.

Dans le même ordre d’idées, Morgan n’avait que rarement goûté à la défaite autrefois. Mais aujourd’hui, sa saveur ne semblait jamais la quitter.

Tout cela n’était qu’un grand jeu, bien sûr. Morgan perdait tous les jours contre Mordret, mais ce faisant, elle atteignait ses objectifs tout en niant son ambition. La victoire était donc une question de point de vue.

La guerre à Godgrave faisait rage depuis de nombreux mois, mais Bastion était toujours fermement tenu par le Grand Clan Valor.

Qui était vaincu ? Qui gagnait ?

Morgan et son frère étaient peut-être dans une impasse.

…Elle était en revanche fatiguée. Ses compagnons recommençaient ces journées identiques, mais Morgan se souvenait de chacune d’entre elles. Pour elle, ces derniers mois avaient été une bataille terrible, dévastatrice, sans fin. Une bataille qui semblait sans espoir. Son issue n’était pas claire, et au bout d’un moment, même sa cause commençait à être vague.

Selon toute vraisemblance, même les personnes qui se trouvaient sur la ligne de front de Godgrave n’avaient jamais connu une guerre aussi intense. Après tout, une guerre obéit à un rythme et à une cadence. De violentes batailles étaient suivies de longues périodes de paix relative pendant que les armées meurtries se regroupaient et se préparaient à l’affrontement suivant. Mais ici, dans le vrai Bastion, aucune accalmie n’était observée dans la violence. Elle était constante et incessante.

Le champ de bataille le plus furieux de la Grande Guerre des Domaines était caché à l’abri des regards et entouré de mystère, et seules deux personnes en vivaient la terreur.

Pas étonnant que Morgan soit fatiguée.

Elle se demandait si son frère l’était aussi…

S’il l’était, il ne le montrait pas.

La bataille d’aujourd’hui touchait à sa fin. Les Créatures du Cauchemar avaient été éliminées depuis longtemps, ainsi que plusieurs de ses vaisseaux Transcendants.

Saint Aether était mort. Naeve et Flot Sanglant étaient également morts ou mourants. Élevée par les Loups avait pratiquement fini de mettre Typhaon en pièces, des rivières de sang s’écoulant des plaies douloureuses de son corps parfait. Le cadavre gargantuesque de Knossos gisait sur les ruines de la cité noyée, et quelque part en dessous, Nightingale luttait pour libérer son corps draconique des décombres.

Faucheuse d’Âmes tentait désespérément de préserver son essence d’âme tout en combattant les derniers Saints de la Nuit.

Les ruines du château étaient en piteux état, la montagne sur laquelle ils se trouvaient s’étant pratiquement effondrée sous l’effet d’un choc titanesque.

Il ne va pas tarder à se montrer.

Et comme Morgan s’y attendait, son frère révéla enfin son corps originel, atterrissant facilement sur un fragment de mur écroulé à une douzaine de mètres d’elle.

Il lui adressa un sourire agréable et s’inclina poliment.

« Ah, chère sœur. Quel plaisir de te revoir. »

Elle se contenta de l’étudier sombrement.

Non… non, ce salaud n’était absolument pas fatigué. Au contraire, il semblait s’amuser comme un fou.

Au lieu de répondre, Morgan se contenta de lever son épée.

Mordret gloussa.

« Je ne vais pas te mentir, c’est une sacrée situation. J’ai souvent rêvé de tuer lentement les membres de mon ignoble famille, mais là… c’est un peu trop lent, même à mon goût. »

Il leva sa propre épée et regarda sa lame tranchante avec un léger sourire.

« Non pas que te découper jour après jour n’ait pas été agréable, chère sœur. »

Morgan sourit d’un air sombre.

« …Pareil pour moi. »

Mordret rit.

« Mais tu n’as pas un peu honte de toi ? Tout aurait été fini pour toi depuis longtemps si Faucheuse d’Âmes Jet ne possédait pas cette Mémoire si particulière, somme toute. La chance n’est pas vraiment un mérite, n’est-ce pas ? »

Morgan haussa les épaules d’un air indifférent.

« La Mémoire n’est qu’une occasion propice. Savoir saisir une opportunité est aussi un mérite. Savoir créer des opportunités en est un autre… tu parles comme si ce n’était pas moi qui avais recruté Faucheuse d’Âmes. De toute façon, j’aurais trouvé un autre moyen si la Mémoire n’existait pas. »

Elle avait en effet échafaudé quelques plans avant que Faucheuse d’Âmes Jet ne révèle la Mémoire sablier, mais aucun n’aurait été aussi efficace.

Mordret la regarda en souriant.

« Alors, que faisons-nous ? Allons-nous continuer cette mascarade indéfiniment, chère sœur ? Ah… Je détesterais vraiment que quelque chose d’aussi merveilleux que de te voir saigner vieillisse. »

Morgan sourit d’un air sombre.

« Tu es toujours le bienvenu pour entrer dans mon âme et m’y défier en duel. C’est le seul moyen pour toi de me tuer avant que je n’active l’enchantement. »

Le meilleur plan était de retarder son frère suffisamment longtemps pour que la guerre se résolve d’elle-même. Le deuxième meilleur plan était de le forcer à la défier dans un duel d’âmes.

Quelle que soit l’option qu’il choisissait, elle gagnait. Tous les résultats semblaient être en sa faveur.

…Pourquoi donc Morgan se sentait-elle mal à l’aise ? Mordret était forcément en train de mettre au point un stratagème. Y avait-il quelque chose qui lui échappait ?

Il secoua la tête nonchalamment.

« Je ne préfère pas. J’ai beaucoup de temps à perdre ici, de toute façon. »

Le sourire sombre de Morgan disparut, laissant place à un regard glacial.

Elle ajouta aussitôt :

« Mais justement. Je ne pense pas que ce soit le cas. »

Mordret haussa les sourcils.

« Tu espères que notre père pourra tuer Ki Song rapidement ? Je n’en suis pas convaincu. Je suis donc prêt à prendre le risque. »

Elle pencha légèrement la tête et l’étudia quelques instants.

Puis, un autre sourire illumina son visage pâle — faible, mais sincère.

« Mais que se passera-t-il si Ki Song tue rapidement notre père ? Alors que tu es coincé ici, incapable de le faire toi-même ? »

Pour la première fois depuis longtemps, le masque de décorum bienveillant de son frère se fissura brièvement, révélant le visage épouvantable d’une rage haineuse.

Son sourire s’évapora, remplacé par une froideur inhumaine.

Mordret fit un pas en avant et leva son épée.

« Tu ne devrais pas dire des choses aussi terribles, ma sœur. Tu parles de manière infidèle. »

Morgane grimaça.

« Va crever, salaud. »

Ce disant, elle se rua vers lui.

Comme tous les jours, ils se retrouvèrent à nouveau. La fureur de leur affrontement ébranla la montagne brisée.

Bizarrement, c’était presque agréable. Morgan n’avait pas souvent l’occasion de croiser le fer avec quelqu’un qui était proche d’elle en termes de compétences. Mais depuis quelques mois, elle pouvait utiliser son épée librement et sans retenue. Elle se souvenait d’avoir été ravie les premières fois… lors de chaque combat, c’était sa survie qui était en jeu.

Et son frère, aussi détestable soit-il, était toujours un descendant de la Guerre. Ses compétences étaient redoutables, si bien qu’il aurait été difficile d’acquérir une expérience aussi précieuse ailleurs.

Seulement, à chaque fois, elle devait subir une douleur atroce, voir son corps se mutiler et goûter à l’amertume de la défaite.

Comme cette fois-ci.

C’était si… pesant.

Très vite, Morgan fut anéantie et saignait. Son épée s’était effondrée dans un tourbillon d’étincelles écarlates, tandis que son regard commençait à se brouiller.

Elle était terriblement blessée.

Noyée dans son propre sang, Morgan tendit la main et activa à nouveau l’enchantement du sablier mystique.

Ses lèvres ensanglantées se tordirent en un sourire.

« À la prochaine fois… »

Mordret, qui était un peu plus en forme, regardait les profondes fissures menant aux profondeurs de la montagne déchiquetée avec une expression pensive.

Ses yeux brillaient étrangement.

« Oui… à la prochaine fois, ma sœur. »

Le monde sembla se dissoudre dans le néant.

Quelques instants plus tard, Morgan se retrouva à s’occuper d’une marmite de ragoût parfumé.

Elle ferma les yeux d’un air fatigué.

Bordel !