Chapitre 2069 – Fragments de la Guerre (6)

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Dans un monde plongé dans les ténèbres éternelles, une lumière pâle éclairait l’immense étendue d’eau qui coulait. Cependant, elle ne parvenait pas à pénétrer les terribles profondeurs de l’océan souterrain, se reflétant à sa surface comme la carte d’un ciel nocturne.

Cette douce lumière émanait d’une belle femme assise seule sur la surface rugueuse d’une falaise de pierre, qui regardait l’eau sombre d’un air distant. Elle était délicate et charmante, finement bâtie et dotée d’un visage doux et enchanteur. Ses cheveux étaient blancs, son regard semblait scintiller sous l’effet d’un pâle clair de lune.

Les cadavres des noyés étaient éparpillés autour de cette beauté radieuse, fixant l’obscurité d’un regard vide.

C’était Voile-Lunaire, l’une des sept princesses Transcendantes du Chant.

Regardant le lointain, Voile-Lunaire soupira et tourna légèrement la tête, écoutant les ténèbres.

Peu de sons résonnaient dans le silence de l’océan souterrain. Le bourdonnement lointain des grandes chutes d’eau qui l’alimentaient, le murmure tranquille de l’eau qui s’écoulait, le chant sinistre des vents puissants. Les éclats d’un navire brisé raclant doucement la pierre rugueuse.

Et là, se rapprochant, un autre son…

Le battement puissant des ailes de quelqu’un.

Très vite, une autre silhouette se posa sur la falaise, enveloppée de ténèbres.

C’était une belle démone à la peau d’albâtre sans défaut et aux yeux ténébreux, dont les cheveux soyeux tombaient comme de l’obsidienne brillante. Deux cornes couronnaient sa tête, ses ailes noires se repliaient pour s’enrouler autour de ses épaules, retombant comme une cape en cuir.

Revel portait sans effort un cadavre humain, des gouttes d’eau tombant du cadavre sur la pierre humide. Vu sa taille imposante, le cadavre avait l’air d’un jouet dans ses mains pâles.

Elle posa délicatement le mort au sol et se redressa, le regardant d’un air sombre.

Voile-Lunaire soupira.

« …Pas de survivants ? »

Revel s’attarda quelques instants, avant de secouer lentement la tête.

« Non. Et je ne pense pas trouver d’autres corps non plus… les disparus ont probablement été engloutis par ce qui habite ces eaux maudites. »

L’expédition dirigée par elles deux était partie des Creux du Passage du Sternum pendant une violente averse. Surmontant d’innombrables périls, les membres de l’expédition naviguèrent à bord d’un navire enchanté sur le réseau traître des rivières qui traversent la jungle inondée. Revel et Voile-Lunaire durent tester les limites de leur pouvoir, sans rien retenir… et encore, c’était à peine suffisant pour survivre.

Ils traversèrent ensuite les Creux de la Deuxième Côte et suivirent les puissants courants sur toute sa sombre longueur, pour finalement plonger vers l’Océan de l’Épine Dorsale.

Le voyage avait été long et difficile. Le simple fait d’empêcher le navire d’être brisé ou écrasé par le courant était une tâche ardue… sans compter tous les monstres abominables qui peuplaient l’étendue creuse de la côte titanesque. La jungle elle-même n’était pas en reste — les vastes champs d’algues mangeuses d’hommes, les lianes rampantes suspendues dans les ténèbres, les nénuphars de la taille d’une île qui enchantaient les marins avant de les engloutir dans leurs terribles gueules…

Plus ils s’approchaient de l’Épine, plus la situation empirait. De nombreux hommes et femmes de qualité disparurent avant même d’atteindre l’océan souterrain.

Mais ils finirent par l’atteindre.

Le navire avait été brisé pendant la traversée tumultueuse, l’équipage s’était noyé dans les eaux sombres ou avait été tué par les créatures qui habitaient les profondeurs.

À présent, il ne restait qu’elles deux.

Elles restèrent silencieuses pendant un moment, regardant les cadavres.

Finalement, Voile-Lunaire soupira.

« Ça ne sert à rien. L’autorité de Mère ne s’étend pas jusqu’ici, ils ne se relèveront donc pas. »

Revel baissa la tête sombrement.

Le navire était détruit, l’équipage était mort… et comble de malheur, elles ne pouvaient même pas battre en retraite.

C’était parce que l’Appel du Cauchemar assaillait leurs esprits comme une litanie démente de cris fantomatiques, indiquant que des Graines fleurissaient quelque part sous la surface. L’Océan de l’Épine Dorsale était un piège mortel qui les empêchait de retourner dans le monde réel.

Aucune issue ne s’offrait à elles.

Voile-Lunaire sourit.

« Alors, quoi ? On va mourir ici ? »

Revel regarda sa sœur, qui ressemblait à une poupée délicate face à son imposante forme Transcendante, et haussa les épaules.

« C’est possible. »

Voile-Lunaire s’esclaffa.

« Est-ce étrange que je me sente soulagée de savoir que je mourrai hors de portée de l’autorité de notre mère ? »

Revel fronça les sourcils.

« Oui. Évidemment que ça l’est… tu es sa fille. Jamais elle ne transformerait ton corps en marionnette. »

Sa sœur soupira.

« Je suppose que tu as raison. »

Sur ces mots, elle regarda autour d’elle et demanda d’un ton curieux :

« Tu crois qu’on peut s’échapper ? »

Revel réfléchit à la réponse pendant quelques instants. Finalement, elle hocha sa tête cornue.

« Je doute que nous puissions retourner à la Deuxième Côte. Et même si nous y parvenons, nous ne survivrons pas au trajet qui nous ramènera aux Creux du Sternum. L’averse est passée depuis longtemps, les rivières devraient s’être asséchées… c’est une entreprise insensée. »

Elle regarda vers le sud.

« Non, notre seule chance est de trouver la Citadelle, de la conquérir et d’utiliser sa Passerelle pour retourner dans le monde réel en toute sécurité. Voilà ce que nous devons tenter de faire. »

Son expression s’assombrit.

« Cependant… il y a une complication. »

Voile-Lunaire inclina légèrement la tête.

« Nos poursuivants ? Les as-tu vus ? »

Revel eut un sourire sombre.

« Oui. Ils sont à quelques dizaines de kilomètres. Leurs navires ont été détruits lors de la traversée de l’Épine, mais nombre d’entre eux ont survécu. Ils ont beaucoup d’Échos aquatiques particulièrement monstrueux — certains naturels, d’autres artificiels. Il s’agit d’une flotte entière. »

L’Armée de l’Épée avait également envoyé une expédition dans l’Océan de l’Épine Dorsale. Cependant, si Revel avait été envoyé pour conquérir la Citadelle, ce n’était qu’un objectif secondaire pour eux.

Leur objectif principal était de tuer Revel, pour lequel ils étaient bien équipés. Sept Saints de l’Épée et une petite armée de Maîtres poursuivaient les filles de la Reine, dont un membre de l’une des branches de Valor. Les Échos forgés qu’ils avaient apportés dans l’océan souterrain étaient à la fois bien adaptés pour braver ses sombres étendues et redoutables.

…À présent, les membres de l’expédition étaient piégés dans la colonne vertébrale de la divinité morte, tout comme Revel et Voile-Lunaire.

Revel regarda sa sœur un moment, puis sourit.

« Voile… J’ai une idée qui me vient à l’esprit. »

Voile-Lunaire haussa les sourcils.

« Peut-être est-ce une idée saine et bénigne d’oublier toutes nos rancunes et nos différences pour former un pacte de camaraderie avec les Saints de l’Armée de l’Épée ? De combattre côte à côte avec nos semblables en tant qu’alliés et de survivre ensemble dans cet endroit éprouvant ? »

Ne recevant pas de réponse immédiatement, elle soupira.

« Euh… »

Revel regarda dans la direction où l’ennemi rassemblait ses forces, caché par les ténèbres, et dit d’un ton égal :

« Il me semble que, si le Domaine du Chant peut se renforcer en conquérant la Citadelle de l’Épine, le Domaine de l’Épée peut s’affaiblir en perdant ces sept Saints et les Citadelles qu’ils contrôlent. Donc, même si nous mourons ici… tant que nous mourons après nous être assurés qu’ils meurent en premier, la situation à la surface s’améliorera toujours en notre faveur. »

Voile-Lunaire ferma ses yeux radieux un instant.

« Ah… Je vois. Comme prévu. »

Elle se leva de la pierre froide et regarda là où Revel regardait aussi.

Au bout d’un moment, elle reprit :

« Mais pourquoi ne pas faire les deux ? Tuer les Saints… et conquérir la Citadelle. Ne serait-ce pas mieux ? »

Revel sourit d’un air sombre.

« Oui, faisons les deux… bravons cet océan sombre, survivons à nos poursuivants et prenons la Citadelle. Pourquoi se contenter de moins ? »

Déployant ses ailes, elle souleva doucement sa sœur du sol, avant de s’élancer dans les airs.