6340-chapitre-1990
Chapitre 1990 – Vierge de Fer
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Morgan savait à quel point son frère était sournois et monstrueux.
En Antarctique, il avait été plus faible qu’elle. Il avait été plus lent qu’elle. Même sa technique, bien qu’excellente, était inférieure à la sienne.
En outre, il n’avait pas commandé d’armée et ne possédait pas non plus une multitude d’Échos puissants.
Et pourtant, il avait transformé sa victoire presque assurée en défaite.
Quand bien même les forces de Valor auraient été en mesure de l’emporter avant la descente des Portes du Cauchemar, Morgan elle-même n’aurait pas vécu assez longtemps pour voir leur triomphe — elle serait morte, tuée par ce démon.
Elle savait donc à quel point son frère était redoutable.
Mais…
Elle avait également remarqué à quel point il avait changé depuis son arrivée sur les rives du Domaine de l’Épée.
Même son masque d’amabilité avait disparu, remplacé par le vide inhumain que Mordret avait toujours gardé caché par le passé.
Cela devait faire très longtemps qu’il rêvait de se venger… pendant de longues années, enfermé dans une pièce sombre du Temple de la Nuit, attendant et rêvant d’infliger la mort et la ruine à ceux qui l’avaient enfermé là. Sa famille.
Alors, maintenant que son but était à portée de main, le Prince de Rien avait perdu un peu de son sang-froid à toute épreuve.
Il s’impatientait.
Et comme il était aussi monstrueusement fort, Morgan savait comment utiliser son impatience et la transformer en arrogance.
Depuis la première bataille à Porte-Rivière, elle avait soigneusement caché sa véritable force.
Elle ne l’avait pas révélée, même lorsque sa vie était en danger… et lorsque la vie de ses Saints l’était aussi.
C’était parce que, même en libérant sa soif de vengeance, son frère restait extrêmement prudent.
Morgan devait donc attendre.
Elle avait attendu de longues semaines, renforçant méthodiquement l’idée qu’elle manquait de force dans son esprit.
Mordret était un monstre, mais il restait encore des parcelles d’humanité au fond de son âme abominable.
Il méprisait déjà Valor, et donc sa jeune sœur. Au fond de lui, il voulait prouver qu’il était meilleur qu’elle. Plus fort qu’elle. Plus intelligent qu’elle… que son père s’était trompé en l’écartant et en choisissant d’élever Morgan à sa place.
C’était pour cette raison, et parce qu’il l’avait déjà vaincue une fois, que Mordret avait tendance à sous-estimer Morgan. Il voulait déjà croire qu’elle était inférieure à lui sur tous les plans, somme toute, et le fait de lui montrer sa faiblesse encore et encore ne pouvait que renforcer ce préjugé subconscient.
Cependant, Morgan n’était pas faible.
Elle attendait simplement.
Et maintenant, enfin, le jour qu’elle attendait tant était arrivé.
…Certes, la situation était terrible. Elle avait espéré décimer les forces de Mordret d’un seul coup, mais il s’était avéré trop monstrueux, déraisonnablement puissant.
Cela avait un goût amer d’admettre… qu’il était en effet beaucoup plus fort qu’elle.
Par conséquent, Morgan ne pouvait qu’espérer égaliser les chances et s’assurer que le siège durerait un peu plus longtemps grâce à son piège soigneusement préparé.
Mais il n’y avait pas moyen d’y échapper. Ses Saints étaient déjà battus et usés, perdant chaque jour un peu plus de leur force. Si elle continuait à gagner du temps, ce seraient ses forces qui subiraient des pertes fatales, pas les siennes.
…Dommage.
Morgan dévia un coup d’épée de l’ennemi, parvint à en écarter un autre avec le pommeau de la sienne, puis eut un sursaut lorsque le trident de l’imposant reptile frôla son flanc.
Son armure s’affaissa légèrement et elle fut projetée en arrière, heurtant de plein fouet le parapet des remparts. Un réseau de fractures s’étendit à travers la pierre ancienne, et une pluie de débris tomba… elle gémit et se redressa lentement, goûtant le sang sur sa langue.
Se sentant battue et fatiguée, Morgan jeta un coup d’œil à l’est, aperçut Athena, et sentit une nouvelle force inonder ses veines.
Son casque fissuré s’effondra dans une pluie d’étincelles.
Sentant l’air frais sur son visage brûlant, Morgan sourit de travers, regarda au-delà de la tête hideuse du reptile à l’apparence humaine — l’un des vaisseaux les plus puissants en possession de Mordret après Typhaon et Knossos — et transperça son frère d’un regard sombre.
Le démon refusait toujours de se joindre à la mêlée…
Ou plutôt, refusant de risquer son corps d’origine. En vérité, chacun de ces vaisseaux était lui, et il était déjà engagé dans la bataille.
Pourquoi était-il si prudent ? Elle avait espéré détruire son corps originel aujourd’hui…
Mais le crocodile gargantuesque devrait faire l’affaire.
« Hé, mon frère… »
Se tenant à une certaine distance, Mordret la regardait sans émotion particulière.
Ses lèvres se tordirent en un faux sourire.
« Es-tu prête à te rendre, ma sœur ? Ou bien, attends. Tu vas encore t’enfuir ? Aller demander de l’aide à notre père, par hasard ? Je suis sûr qu’il peut se passer de quelques Échos… »
Morgan laissa échapper un rire creux et regarda le reptile géant lever son trident pour porter un nouveau coup. Les deux autres vaisseaux Transcendants n’étaient pas restés inactifs pendant que Mordret parlait, et l’avaient déjà prise de flanc.
Elle s’attarda un instant et sourit.
« …Pourquoi l’appelles-tu notre père, d’ailleurs ? Espèce de salaud. »
L’expression de Mordret changea enfin, ce qui lui procura une grande satisfaction.
L’instant d’après, le sourire de Morgan disparut, remplacé par une expression froide et impitoyable.
Et son corps se transforma en acier liquide.
Le torrent avala l’armure noire et se rua vers l’avant comme un déluge. Jadis, Morgan n’avait utilisé cette Capacité Transcendante que pour changer des parties de son corps en lames ou pour grandir, devenant un colosse d’acier d’une dizaine de mètres de haut. À quelques reprises, elle avait même imité la forme d’autres créatures… mais ce n’était pas tout ce qu’elle pouvait faire.
Jusqu’à présent, elle n’avait pas dévoilé l’étendue de son pouvoir.
Devenir une épée ?
Qui aurait voulu cela…
Une épée pouvait couper la chair, et dans de bonnes mains, elle pouvait même couper les âmes.
Mais elle ne pouvait pas couper le monde.
Elle ne pouvait pas se manier elle-même et imposer sa volonté à l’existence.
C’est exactement ce que Morgan allait faire. Un torrent de métal liquide s’élança vers l’avant, s’élargissant jusqu’à ressembler à une rivière. Il avala instantanément les deux vaisseaux Transcendants qui s’étaient précipités pour l’attaquer par les côtés, tranchant leurs corps et éteignant les fausses étincelles de vie qui brûlaient dans leurs poitrines mortes.
Ensuite, il plongea du mur et s’enroula autour du reptile colossal comme un serpent fait de mercure.
Le crocodile humanoïde était vraiment gargantuesque, aussi haut que le mur de la forteresse. Mais enfin libérée, Morgan put l’envelopper entièrement.
Elle avait absorbé beaucoup d’acier mystique au cours des quatre dernières années, après tout. Les épées forgées par son père, ainsi que les éclats des Épées Sentinelles détruites, avaient particulièrement bien renforcé sa forme Transcendante.
Pris au piège, l’énorme reptile recula en titubant.
Mais il était trop tard.
Car la rivière de métal liquide qu’était devenue Morgan conservait la malédiction de son Défaut. Amplifiée par son Aspect, sa forme fluide entamait la chair du puissant vaisseau, le tranchait et laissait des torrents de sang s’écouler sur les décombres.
Mais c’était trop lent.
La carapace de métal liquide tourbillonnant autour du corps du Saint capturé se mit à onduler, et d’innombrables pointes longues et effroyablement acérées jaillirent de sa surface intérieure pour s’enfoncer dans sa chair, la criblant de trous et détruisant chacun de ses organes.
Ainsi, trois vaisseaux Transcendants du Prince de Rien furent détruits.
Même en sachant que sa riposte allait suivre quelques instants plus tard, Morgan ne put s’empêcher de rire.
Bien sûr, elle ne riait que dans son esprit, puisque sa forme actuelle n’avait ni bouche ni poumons pour produire des sons.
Trois de moins…
Serait-ce un geste assez important pour inviter Mordret dans son âme ?
Si oui… l’un d’entre eux allait mourir dans les prochaines minutes.
Ou les deux.
Sinon, le siège de Bastion se poursuivrait de plus belle — la perte de ces vaisseaux ralentirait l’élan de Mordret, de toute évidence.
Deux des trois issues possibles se soldaient par sa victoire.
Ce n’était pas si mal…
À l’est de la forteresse en ruine, un magnifique colosse d’acier affrontait un monstre hideux dans les eaux peu profondes.
À l’ouest, un gracieux dragon combattait férocement une horreur titanesque des profondeurs, ses chants ensorcelants traversant le lac en crue.
À l’intérieur de la forteresse, les murs anciens s’effondraient, et un homme aux yeux semblables à des miroirs regardait curieusement une rivière de métal vivant se repeindre lentement en rouge.
La lune éclatée brillait froidement dans le ciel brisé.