6254-chapitre-1940
Chapitre 1940 – Côté Moche
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
La confiance d’Orum n’avait pas été vaine. En fin de compte, ils parvinrent à traverser l’intégralité de la zone explorée du Royaume des Rêves en vie, même si cela leur prit de nombreux mois.
Le voyage avait été épouvantable et imprégné de la puanteur du sang, mais Petite Ki et lui n’avaient pas eu à l’endurer sans répit. Ils allaient d’une Citadelle à l’autre, se déplaçant lentement vers le nord, et faisaient des pauses lorsqu’ils arrivaient dans un nouveau bastion humain.
Parfois, ils restaient simplement à la Citadelle, profitant de l’hospitalité des habitants, pansant leurs blessures et récupérant. Parfois, ils utilisaient les Passerelles pour retourner dans le monde réel, sortir de leur capsule de sommeil et laisser leur esprit et leur âme fatigués se reposer en profitant des riches services de l’ère moderne.
Ce faisant, Orum dut réévaluer son opinion sur le territoire humain occidental du Royaume des Rêves. Certes, il était bien moins animé et peuplé que les enclaves de l’est, mais il y avait tout de même beaucoup plus de gens qu’il ne l’aurait cru qui utilisaient les Citadelles isolées comme abris.
Avec le recul, c’était logique. Le nombre d’Éveillés dans le monde augmentait d’année en année, et il était déjà incomparable aux premiers jours du Sortilège du Cauchemar dont il se souvenait.
À l’époque, le Royaume des Rêves était étranger et effrayant, et rencontrer un seul humain ici ressemblait à une bénédiction. Mais aujourd’hui, des communautés entières comptant des centaines, voire des milliers d’Éveillés vivaient ici. Beaucoup de ces Éveillés n’avaient même pas besoin de se battre pour leur vie chaque jour, fournissant de précieux services aux guerriers ou travaillant à l’entretien et à l’amélioration des Citadelles — même à l’ouest.
Certaines Citadelles étaient petites et constamment assiégées par des abominations, mais d’autres ressemblaient à de petites villes, avec des garnisons solides et des seigneurs puissants qui menaient le peuple vers, sinon la prospérité, du moins la stabilité. La seule chose qui manquait était une figure comme Gardien — quelqu’un d’assez fort et d’assez influent pour unir les groupes disparates d’Éveillés en lutte et établir des liens entre leurs forteresses, permettant aux humains de coopérer et de se soutenir mutuellement.
Petite Ki absorbait la réalité de cette terre sauvage comme une éponge, observant la vie des Éveillés locaux avec ses yeux sérieux et sombres. Elle ne parlait pas beaucoup, mais plus ils avançaient vers le nord, plus son regard semblait animé d’une grande détermination.
Ils finirent par escalader les Plaines de Rive-Lune et arrivèrent en vue des montagnes où se dressait la Citadelle de sa mère.
Ce jour-là, Orum regarda le ciel et vit des flocons de cendres sombres tomber comme de la neige.
Il s’attarda un moment, puis soupira et regarda la jeune femme silencieuse à ses côtés.
Au cours des mois qu’ils avaient passés ensemble, Petite Ki était passée du statut de novice fraîchement Éveillée à celui de guerrière expérimentée. L’excellente base de techniques martiales que lui avait enseignée Ravenheart s’était épanouie, devenant une véritable compétence. Cette compétence avait été aiguisée par d’innombrables combats contre les Créatures du Cauchemar, et son caractère avait subi un changement subtil, lui donnant plus d’assurance.
Son noyau d’âme était également beaucoup plus puissant, renforcé par des centaines d’éclats d’âme. En outre, elle avait acquis de nombreuses Mémoires et n’était plus du tout l’Éveillée démunie qu’elle avait été après que son héritage ait été volé par des gens sans scrupules.
Cependant…
Orum ne lui avait pas enseigné la leçon la plus importante. Une leçon qu’il hésitait à enseigner à la fille de sa défunte amie et bienfaitrice, mais qu’il devait néanmoins lui enseigner.
La naïveté et l’innocence n’avaient pas leur place dans le Royaume des Rêves.
Il soupira.
« Petite Ki… nous atteindrons bientôt le Palais de Jade. »
Elle acquiesça, puis sourit un peu.
Son sourire était un peu sombre, la cendre tourbillonnant autour de son visage pâle.
« Enfin. »
Orum hésita un instant.
« …Que penses-tu qu’il se passera lorsque nous y arriverons ? Quand ces gens ont promis de renoncer à leurs prétentions sur la Citadelle de ta mère, ils n’étaient pas forcément sincères… tu le sais, n’est-ce pas ? »
La jeune femme le fixa en silence, comme si elle ne comprenait pas la question.
Il se pinça les lèvres.
« Tu es devenue très douée pour combattre les Créatures du Cauchemar, Petite Ki. Tu as bien réussi à survivre jusqu’à présent. Mais tu dois te rendre compte d’une chose importante… ici, dans le Royaume des Rêves, les abominations ne sont pas le seul danger. Les humains peuvent être tout aussi dangereux que les abominations, et tout aussi monstrueux. Comprends-tu ce que j’essaie de dire ? »
Orum avait mûri dans le chaos causé par la descente du Sortilège du Cauchemar, et il ne savait donc que trop bien à quel point les humains pouvaient être hideux et vils. Or, Petite Ki avait été élevée dans un monde où une relative stabilité avait déjà été établie — elle n’avait pas encore eu l’occasion de voir le côté hideux de l’humanité.
Ce qui était une bonne chose, en ce qui le concernait.
La jeune femme considéra sa question pendant un moment, puis pencha légèrement la tête, la confusion toujours visible dans ses yeux.
« Bien sûr, je comprends. »
Elle s’attarda un instant, puis ajouta d’un ton détaché :
« Je suis aussi une humaine. »
Orum soupira, fit un signe de tête et se dirigea vers l’ouest.
« C’est bien. Finissons-en avec ce terrible voyage, alors. »
Ils traversèrent la Plaine de Rive-Lune et escaladèrent les montagnes, pour finalement arriver en vue d’un colossal pont de pierre. De l’autre côté, un magnifique palais qui semblait taillé dans l’obsidienne se dressait, enveloppé d’un nuage de cendres.
C’est ici que Ravenheart avait vécue, s’était battue et était morte.
Le paysage austère était solitaire et magnifique, tout comme elle l’était dans l’esprit d’Orum.
Il frissonna dans le froid et fit un pas en avant.
« Nous devrions traverser le pont aussi vite que possible. »
Petite Ki lui emboîta le pas. Alors qu’ils posaient le pied sur le pont et le traversaient, luttant contre les vents puissants, elle dit soudain :
« Oncle Orie… »
Il lui jeta un coup d’œil.
La jeune femme resta silencieuse quelques instants, puis dit posément :
« Quoi qu’il arrive une fois que nous aurons atteint la Citadelle, n’interviens pas. Je dois m’en occuper moi-même. Promets-le moi. »
Orum hésita, mais finit par acquiescer.
« D’accord. Je ne ferai rien. »
Sauf si tu es en danger.
Elle regarda l’édifice lointain du sombre palais, une froide détermination brûlant dans ses yeux.
Soudain, Orum sentit un pressentiment glacial s’emparer de son cœur.
Il n’arrivait pas à l’expliquer, mais il était néanmoins tendu.