Chapitre 1924 – Gouffre de Désespoir

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Au milieu de la clairière inondée, Song Seishan se tenait dans l’eau cramoisie, regardant la créature gargantuesque devant elle avec un sourire tordu. Ses yeux brillaient d’une étrange lueur rouge dans la pénombre des Creux, et sa longue tresse flottait dans le vent qui s’était levé à la suite de la dernière attaque du Démon.

Le Supérieur était semblable à une montagne, son corps puissant étant recouvert d’une fourrure noire hérissée. Son corps n’était pas tout à fait bestial, mais pas tout à fait humain non plus… la créature ressemblait à un abominable singe, ses crocs dépassant comme des falaises, ses yeux brûlant d’une ruse diabolique et d’une fureur meurtrière. Elle brandissait une grande massue faite d’os, et chaque fois qu’elle frappait le sol, le monde entier tremblait.

Siord, la belle harpie, jouait un jeu mortel du chat et de la souris avec le singe démoniaque en volant autour de sa tête, esquivant de justesse ses attaques oblitérantes. Ceres, l’énorme canidé à trois têtes, était dans une position encore plus précaire, dansant entre les pieds de l’abomination et essayant d’arracher des morceaux de chair de ses tibias.

Aucun des deux n’avait encore réussi à blesser le Démon Supérieur.

Cependant, le Démon saignait.

Ouvrant sa gueule, la terrible créature poussa un rugissement assourdissant et trembla, oubliant un instant l’agaçante mouche et le parasite à trois têtes.

Elle se mit soudain à vomir une effroyable cascade de sang.

Le sang coulait de sa bouche, de son nez… et même du coin de ses yeux, se déversant dans l’eau peu profonde comme une rivière rouge.

C’était parce que Seishan utilisait sa Capacité Éveillée. Il avait fallu un certain temps pour que sa Capacité fasse effet, compte tenu de la puissance de son ennemi… toutefois, elle n’était pas impuissante non plus.

Le plus difficile était de limiter la zone d’effet de sa Capacité pour éviter à ses alliés de subir le même sort que le Démon.

L’odeur enivrante du sang la rendait folle, et en même temps la rendait beaucoup plus forte — debout au milieu d’un lac de sang déversé par une abomination Supérieure, Seishan était imprégnée d’un brasier rageur de puissance affamée et furieuse. C’était l’augmentation de puissance que lui conférait sa Capacité Ascendante.

C’était en partie grâce à cette puissance qu’elle avait pu se déplacer à une vitesse stupéfiante pour esquiver les attaques dévastatrices du Démon et se remettre des terribles blessures qui jonchaient son corps, restant en vie malgré l’ampleur de l’écart qui la séparait du gardien de la Citadelle.

La deuxième raison était sa Capacité de Transformation.

Seishan possédait la capacité de se transformer en monstre depuis l’époque où elle était une jeune Dormeuse, perdue dans les ténèbres du Rivage Oublié. Par conséquent, elle n’avait pas acquis la capacité de se transformer en quelque chose d’autre lorsqu’elle avait atteint la Transcendance…

Au contraire, elle avait acquis la capacité de Transformer les autres — ceux qu’elle transformait devenaient plus forts, et leur force pouvait renforcer la sienne à son tour.

Enfin, la troisième raison était le sang du Dieu Bête qui coulait dans ses veines, qui lui avait été donné — qu’elle l’ait voulu ou non — par sa mère… la Reine Raven.

Et pour finir, il y avait son Défaut.

Seishan grimaça et s’élança, volant au-dessus de l’eau rouge à une vitesse stupéfiante. Le Démon, furieux, repoussa Siord et donna un coup de pied dévastateur à Ceres, faisant voler le canidé géant comme un petit chiot. Les deux Saints s’écrasèrent dans l’eau peu profonde, le corps en sang et brisé.

Après cela, elle fut la seule cible de la fureur du Supérieur.

Ah…

L’énorme massue d’os s’écrasa sur le sol, déplaçant d’innombrables tonnes d’eau et faisant trembler le monde. Seishan ne ralentit pas, pivotant et sautant gracieusement. Avant même que l’eau déplacée ne commence à pleuvoir, elle avait déjà atterri sur la surface de la massue et s’était élancée sur celle-ci, s’élevant en un clin d’œil à des centaines de mètres au-dessus de la clairière.

Ses ongles vernis se transformèrent en griffes terrifiantes, et la lueur rouge de ses yeux devint furieuse et prédatrice, animée d’une intention meurtrière.

Malheureusement…

Elle savait qu’elle ne pourrait pas tuer le Démon Supérieur.

Peut-être que si elle avait le temps d’observer et d’étudier l’abomination, d’apprendre ses forces et ses faiblesses, d’acquérir une connaissance approfondie de ses pouvoirs et de comprendre le fonctionnement de son esprit pervers, elle aurait une chance.

Mais elle était obligée de l’attaquer aveuglément, sans préparation concrète, de ce fait, ses chances étaient proches de zéro. La simple taille de ces abominations était déjà un obstacle, sans parler de tous les traits et Attributs impies qu’elles possédaient.

Siord et Ceres étaient gravement blessés et ne se joindraient plus au combat.

…Mais ce n’était pas grave.

Il y avait une raison pour laquelle Seishan avait survécu le plus longtemps parmi tous ceux qui avaient été envoyés au Rivage Oublié. Cette raison était qu’elle savait comment se sortir de la situation la plus désespérée… avant de noyer ses ennemis dans le gouffre de désespoir auquel elle avait échappé.

En ce moment, par exemple, il y avait peu de chances de vaincre le Démon Supérieur. Par conséquent, il n’y avait aucune raison d’essayer.

Au lieu de cela, son objectif était simplement d’attirer son attention — ce qu’elle avait déjà fait — et de l’immobiliser pendant un moment.

Après tout, ils n’étaient pas venus ici pour tuer un Démon Supérieur.

Ils étaient venus conquérir une Citadelle.

Et tandis que Seishan dansait avec la mort en subissant la colère de l’abomination, sa sœur Hel se faufilait dans la Citadelle pour s’emparer de sa Passerelle.

Le Démon Supérieur leva sa massue, élevant Seishan toujours plus haut au-dessus de la surface de l’eau.

L’espace d’un instant, elle se retrouva au niveau de son énorme tête et vit les cascades de sang qui s’écoulaient de sa gueule et de ses narines.

Elle frissonna, sentant son Défaut l’appeler de quelque part au plus profond d’elle-même. Seishan lécha ses lèvres rouges et séduisantes.

Ah. Je veux le goûter…

***

« Avancez ! »

La Septième Légion, meurtrie, s’élança à nouveau vers l’avant. Les soldats qui battaient en retraite trébuchaient entre eux, saignant et tenant à peine debout. Leurs visages pâles et leurs yeux enfoncés étaient empreints d’une terreur insensible.

En atteignant la ligne de front, Rain vit un tapis de cadavres couvrir le sol partout où elle regardait. La plupart appartenaient à d’affreuses Créatures du Cauchemar, mais beaucoup étaient ceux d’humains — certains maladivement mutilés, d’autres étrangement intacts.

Le nombre de morts était tel que l’ancienne jungle semblait incapable de tous les avaler, sa faim profane assouvie pour la première fois depuis des éons.

Que tout soit maudit…

L’Armée du Chant persistait à tenir bon, mais son point de rupture se rapprochait. Une fois qu’ils l’auraient atteint et que la ligne de front se serait effondrée, un massacre encore plus cruel aurait lieu, et tous seraient dévorés par les Créatures du Cauchemar en furie.

« Restez en vie ! En avant toute ! Pour la Reine ! »

Le cri de Tamar lui fit reprendre ses esprits.

Saisissant la poignée de son tachi noir, Rain serra les dents et s’arc-bouta.

Un instant plus tard, les Créatures du Cauchemar étaient sur eux.

Sans espoir. C’est sans espoir…

Ils avaient beau se battre, tuer, mourir… le déluge d’abominations n’en finissait pas.

Et ces Créatures du Cauchemar n’étaient qu’un moindre mal. Même si le corps d’expédition parvenait à toutes les éradiquer, les véritables horreurs des Creux ne tarderaient pas à arriver, attirées par l’odeur irrésistible du sang.

Rain sentit un frisson glacial lui parcourir l’échine lorsqu’elle réalisa qu’elle pouvait, en fait, mourir ici aujourd’hui.

Ses sueurs devinrent froides, et elle inspira d’un souffle tremblant.

Mais ensuite…

Quelque chose d’imperceptible changea dans le monde.

C’était comme si la chaleur étouffante de Godgrave se dissipait un peu, et qu’une brise fraîche caressait doucement sa peau.

Rain ne se contentait pas de l’imaginer. Elle voyait ses compagnons d’armes réagir, eux aussi, à cet étrange changement.

Même les Créatures du Cauchemar étaient affectées. Leur assaut incessant devint plus lent, pendant un moment, puis se calma.

Qu’est-ce que…

Confuse et peinant à croire ce qu’elle voyait, Rain fixa les abominations. Les abominations s’étaient en fait arrêtées, et reniflaient maintenant l’air, grognant, et… et…

On aurait presque dit que certaines d’entre elles se recroquevillaient de peur.

…Loin derrière elle, au milieu de la clairière inondée, le Démon Supérieur gargantuesque tomba sans bruit.

Et, au même moment…

Rain se figea de terreur.

Les innombrables cadavres qui jonchaient l’immense étendue de la jungle furent tous animés d’un même mouvement.

Les Créatures du Cauchemar mortes, les humains tombés au combat… tous remuèrent, bougèrent, puis se levèrent lentement du sol.

Loin derrière elle, le Démon Supérieur tué émergeait lui aussi de l’eau sanglante, ses yeux morts rivés vers l’avant, sans la moindre émotion.

Rain recula d’un pas, son visage devenant encore plus pâle que d’habitude.

La… la Reine…

Un instant plus tard, la légion des morts s’anima et se lança à l’assaut de la horde cauchemardesque.

Peu de temps après, la bataille était terminée.

La Reine des Vers était enfin arrivée à Godgrave.