6209-chapitre-1921
Chapitre 1921 – Des Légendes à Foison
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Là, devant eux, la jungle se fendit et révéla une vaste étendue d’os blanc. Elle était presque entièrement inondée, mais l’eau était si peu profonde qu’elle atteignait à peine les tibias d’un humain. Plus étonnant encore, la clairière inondée était complètement dépourvue de l’infestation écarlate — il n’y avait ni arbres, ni lianes, ni herbe, ni mousse…
C’était comme si l’ancienne jungle avait peur de s’approcher de la colline sombre qui trônait au cœur de l’étendue vide et avait reculé de peur.
La colline était haute et de forme étrange, ses pentes sombres et arides. De temps à autre, d’étranges ondulations s’en échappaient et se propageaient dans l’eau peu profonde, jusqu’à la lisière de la jungle. Comme si quelque chose d’énorme respirait quelque part là-bas, derrière la colline, le poids mesuré de ses respirations se répercutant dans les os anciens.
Rain et sa cohorte n’étaient pas loin de l’arbre tombé sur lequel se tenait Dame Seishan, et elle put donc l’observer de près.
À cet instant, la Sainte régalienne se retourna, regardant sa sœur depuis la hauteur considérable de l’ancien tronc.
Debout au-dessus des masses meurtries de la Septième Légion, elle était comme une divinité sinistre. Sa beauté d’un autre monde était à la fois époustouflante et glaçante — la Princesse Seishan avait l’air subtilement inhumaine à cause de sa peau grise et soyeuse, et la moitié inférieure de son visage exquis était maculée de sang cramoisi, comme si elle avait déchiré les Créatures du Cauchemar Supérieures avec ses dents.
Elle ressemblait à un esprit malveillant invoqué dans le monde par un grand sacrifice de sang.
…Malgré cela, Rain se calma à la vue de la gracieuse princesse. Son cœur fut envahi par un sentiment apaisant de tranquillité, et elle sentit ses peurs se dissiper.
Ce sentiment de paix et de sécurité était comme une bouffée d’air frais dans la chaleur étouffante de cet enfer sombre et épouvantable.
Cependant, Rain se sentait étrangement troublée.
Parce que, pour elle… ce n’était pas le genre de calme bienfaisant. C’était plutôt le genre de fausse relaxation que les prédateurs mortels instillent dans leur proie avant de planter leurs crocs dans la chair de la victime.
Mais ce prédateur est de notre côté. C’est bien… non ?
Dame Seishan, quant à elle, s’adressait à sa sœur d’une voix agréable et veloutée :
« Que ressens-tu, Hel ? »
Chante-Mort, qui s’appuyait sur l’arbre tombé, la tête baissée, tressaillit et leva les yeux. Son capuchon glissa, révélant sa chevelure luxuriante et son beau visage.
En ce moment, cependant, ce visage était déformé par une terrible grimace. Ses beaux yeux étaient écarquillés, envahis par la peur.
« L-la mort… la mort arrive ! Notre sang coulera à flots, notre chair pourrira, nos yeux seront dévorés par des corbeaux affamés, nos viscères deviendront un festin pour les asticots ! Il n’y aura pas d’espoir, pas d’échappatoire, pas de soulagement, pas de salut… la mort arrive ! Elle est là ! »
En entendant cette terrible prophétie, Rain frémit. Même Tamar sembla pâlir, serrant plus fort la poignée de sa zweihander.
Dame Seishan, en revanche, semblait imperturbable. Elle sourit et hocha patiemment la tête.
« Oui, oui. C’est ce que tu dis depuis que nous sommes à l’orphelinat. Je suis sûre que nous mourrons un jour, toi et moi… mais maintenant ? Que ressens-tu actuellement ? »
Chante-Mort fixa sa sœur pendant quelques instants, son visage étant un masque de terreur. Elle soupira subitement et secoua la tête.
« Oh, ça. Eh bien… »
La petite princesse fronça les sourcils et se gratta maladroitement l’arrière du crâne. Au bout d’un moment, elle reprit d’un ton nonchalant :
« C’est un Démon Supérieur, je suppose. »
Chante-Mort était peut-être nonchalante, mais tous les soldats qui l’entendirent frissonnèrent.
Rain en fit de même.
Fou… c’est complètement fou !
Que faisait-elle ici, dans une Zone de Mort, à entendre parler de Démons Supérieurs ? Les Créatures du Cauchemar Supérieures étaient des créatures dont les humains connaissaient théoriquement l’existence, mais qu’ils n’étaient jamais censés rencontrer. Elles faisaient partie des légendes — le genre de légendes trop terrifiantes pour être racontées dans l’obscurité. Les abominations Supérieures étaient synonymes de mort avant même la naissance de Rain…
Ce n’est pas pour rien que les régions du Royaume des Rêves où elles vivaient étaient appelées Zones de Mort !
Mais à présent, les règles et les lois qui semblaient inviolables changeaient rapidement. Des humains Suprêmes étaient présents dans le monde, et des gens comme Rain se retrouvaient soudainement à côtoyer des Créatures du Cauchemar Supérieures.
Elle en avait déjà vu plusieurs mourir dans la jungle, et en avait aperçu d’autres se déchaîner dans la horde des abominations les plus faibles.
Mais ces terribles êtres n’étaient que des Bêtes et des Monstres.
Un Démon… un Démon était un être différent.
Parce que les Démons étaient intelligents, et possédaient leur propre volonté maligne.
D-damnation…
Seule Dame Seishan restait calme.
Elle tourna son visage ensanglanté vers la colline lointaine, resta silencieuse quelques instants, puis hocha la tête.
« Ainsi soit-il. Dans ce cas… guerriers de l’Armée du Chant, écoutez-moi ! »
Sa robe cramoisie bougeait dans le vent tandis qu’elle parlait d’une voix mélodieuse :
« Fortifiez cette position et tenez bon. Hel, Siord, Ceres — avec moi ! Nous revendiquerons cette Citadelle… au nom de la Reine ! »
Chante-Mort soupira à nouveau, rajusta sa robe sombre et sauta sur l’arbre tombé. Au même moment, Dame Seishan descendit — le tronc faisait plusieurs mètres de haut même couché sur le côté, aussi Rain ne la vit pas atterrir dans l’eau peu profonde, elle entendit seulement l’éclaboussement.
Peu après, deux Saints rejoignirent les filles de Ki Song au bord de la clairière — l’un d’eux était la belle harpie que Rain avait déjà vue, l’autre était le canidé à trois têtes.
D’après ce qu’elle savait, les deux étaient des descendants des Clans d’Héritier de moindre envergure, comme Tamar, et avaient atteint l’état de Sainteté avec Dame Seishan en tant que membres de sa cohorte.
Rapidement, les quatre Saints disparurent en direction de la colline lointaine.
Et quelques instants plus tard…
La colline se mit soudain à bouger, remuant et déployant lentement ses immenses membres.
Rain la fixa un instant avec horreur, puis se força à détourner le regard et baissa les yeux.
En fait, le Démon Supérieur ne se cachait pas derrière la colline. C’était la colline — une bête gargantuesque qui sommeillait au milieu de la vaste clairière, et qui se réveillait présentement à l’odeur des âmes Transcendantes.
Rain prit une respiration tremblante et pensa aux quatre courageux Saints.
…Que le Dieu Bête leur vienne en aide d’outre-tombe.
Le Clan Song semblait avoir un lien étroit avec les bêtes et la chasse, aussi pensa-t-elle que cette prière serait appropriée.
Rain envisagea également de prier pour elle-même.
Elle était certaine que si Dame Seishan ne parvenait pas à conquérir la Citadelle et périssait, le reste du corps d’expédition périrait également.
Eh bien…
Au moins, elle avait sa déité sombre personnelle à qui adresser ses prières.